JO 2016 : la nageuse palestinienne Mary Al-Atrash dans le grand bain
JO 2016 : la nageuse palestinienne Mary Al-Atrash dans le grand bain
Par Nicolas Ropert (Beit Sahour, Cisjordanie, envoyé spécial)
L’athlète de 22 ans, qui représente la Palestine avec cinq autres sportifs à Rio, est engagée sur le 50 m nage libre vendredi. Le manque d’infrastructures a compliqué sa préparation.
Mary Al-Atrash, le 10 juillet, dans la piscine de 25 mètres du centre sportif de Beit Sahour, en Cisjordanie. | Nicolas Ropert
Il y a un peu moins d’un an, elle arrêtait l’université, un diplôme de licence de gestion administrative en poche. Depuis Mary Al-Atrash se consacre pleinement à son objectif : les Jeux olympiques de Rio. Sourire timide, longs cheveux bruns ondulés, la nageuse de 22 ans représente la Palestine cet été au Brésil dans l’épreuve du 50 m nage libre, dont les séries ont lieu vendredi 12 août.
La native de Beit Sahour, près de Bethléem, en Cisjordanie, peine encore à se rendre compte qu’elle fait partie des six sportifs palestiniens présents aux Jeux, soit la délégation la plus importante jamais envoyée par la Palestine depuis sa première participation aux JO, en 1996 (Atlanta). « C’est une chance extraordinaire. Je suis très fière de pouvoir défendre les couleurs de mon pays aux Jeux olympiques », confiait, à la mi-juillet au Monde, la nageuse entre deux longueurs dans la piscine de sa ville, financée par l’organisation chrétienne YMCA.
Pourtant, avec un record personnel à 29’’91 secondes, elle avait manqué à plus de quatre secondes la qualification (le record du monde, détenu par l’Allemande Britta Steffen, est à 23’’73). La jeune fille ne doit sa présence à Rio qu’à une invitation offerte par le Comité international olympique aux pays en voie de développement ne disposant pas des équipements nécessaires. C’est en effet la première difficulté que doit affronter quotidiennement Mary Al-Atrash.
Un bassin de 25 mètres pour s’entraîner
Si elle s’entraîne deux fois par jour, elle doit le faire dans un petit bassin de 25 mètres, alors que les compétitions internationales se disputent dans des piscines dites « olympiques » deux fois plus longues. Il n’en existe ni en Cisjordanie, ni dans la bande de Gaza. « Il y a bien une piscine olympique à Jérusalem [située à une dizaine de kilomètres de chez elle], mais je n’ai pas le permis accordé par Israël pour franchir le check-point », déplore la nageuse. Un argument qui a fait réagir les autorités israéliennes. L’autorité chargée de la coordination des activités dans les territoires palestiniens, le Cogat, qui délivre notamment les permis pour les Palestiniens, s’est fendu d’un communiqué assurant que « la nageuse aurait pu s’entraîner à Jérusalem, si elle avait demandé un permis (…), ce qu’elle n’a pas fait ».
Mary Al-Atrash, le 10 juillet, dans la piscine de 25 mètres du centre sportif de Beit Sahour, en Cisjordanie. | Nicolas Ropert pour "Le Monde"
C’est, dans tous les cas, oublier que franchir les check-points israéliens quotidiennement peut faire perdre plusieurs heures à chaque passage. Ghayda Abu Zayyad, membre du comité olympique palestinien chargée des Jeux de Rio, le reconnaît :
« La vie de nos athlètes est compliquée. Mais plus ils seront nombreux à être qualifiés pour les compétitions majeures, plus on espère pouvoir récolter de l’argent pour construire des stades, des pistes ou des piscines. »
C’est le plan de Jibril Rajoub, à la tête du comité olympique palestinien et membre haut placé du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Celui que tout le monde appelle « le général Rajoub » souhaite obtenir les mêmes succès qu’avec la fédération de football, qu’il dirige aussi. Inexistante sur la scène internationale, l’équipe première s’est qualifiée pour la première Coupe d’Asie en 2015 et occupe actuellement le 115e rang du classement FIFA. Une réussite due notamment à des investissements de la fédération internationale du ballon rond dans les territoires palestiniens occupés.
« La preuve que l’on peut faire de grandes choses ici »
Peu enclin à se plaindre ou à se laisser plaindre, Moussa Nawawre, l’entraîneur de la championne, veut faire des faiblesses de sa protégée ses plus grandes forces. « Certes, les conditions d’entraînement ne sont pas idéales, mais Mary fera son maximum pour défendre l’honneur de la Palestine », lâche sèchement l’homme, polo blanc et sifflet autour du cou. Et d’ajouter :
« La plupart des athlètes palestiniens s’entraînent à l’étranger, mais Mary est la preuve que l’on peut faire de grandes choses ici aussi. »
Avant de rejoindre Rio, la nageuse a tout de même passé quelques jours en Algérie à l’invitation de la fédération locale de natation. Là-bas, elle a pu s’habituer aux bassins de 50 mètres et être entourée de camarades d’entraînement pour progresser.
Restés à Beit Sahour, ses parents attendent le jour J avec impatience. C’est le père, ancien footballeur professionnel, qui a envoyé les trois enfants à la piscine dès qu’ils ont su marcher. Dans la famille Al-Atrash, seule Mary était prête à mettre de côté études et vie privée. Un sacrifice qu’elle ne regrette pas au moment de découvrir le Brésil et la plus grande des compétitions internationales. Elle espère simplement que sa participation incitera d’autres jeunes Palestiniens à se jeter, à leur tour, à l’eau.