La polémique française sur le « burkini » en a peut-être inspiré une autre, moins médiatisée et au propos inversé, mais tout aussi regrettable. Cela se passe au Maroc et concerne aussi le corps des femmes. Omar Al-Kzabri, responsable religieux populaire dans le pays, et imam de la grande mosquée Hassan II de Casablanca, a lancé le 14 août sur sa page Facebook une charge contre la « nudité obscène » de certaines femmes dans son pays.

Sur deux continents, le même phénomène : des hommes décident de ce que peuvent ou pas porter les femmes. Ces polémiques ne sont pas anodines, elles découlent d’une volonté de restreindre leur liberté. Malgré les réelles avancées ces dernières décennies pour l’égalité des droits, le chemin est encore long.

Même ineptie, même intolérance

Notre époque est celle de la résurgence de revendications identitaires et de l’islamophobie dans une Europe engluée dans la crise économique. Qui fait le lit de ce que le sociologue français Gaël Brustier appelait les « paniques morales » de l’Occident.

Cette époque est aussi, dans les pays musulmans comme au Maghreb, marquée par un reflux du progressisme et l’avènement d’un conservatisme incarné par l’arrivée au pouvoir de formations porteuses d’un islam politique rigoriste.

En France, cette controverse du « burkini », sous le couvert d’une laïcité à géométrie variable, semble finalement se résumer à cela : déshabiller la femme. Les censeurs des plages de la Côte d’Azur préfèrent certainement le string brésilien échancré à une tenue qui ne laisse pas, hélas, transparaître de paires de fesses tatouées.

Au Maroc, même ineptie, même condescendance et, surtout, même combat contre le bikini et autres tenues « courtes ». En juillet, une page Facebook marocaine, fermée par la suite, incitait les utilisateurs du réseau social à parcourir les plages marocaines pour prendre des photos volées de femmes en maillot de bain afin de les désigner à la vindicte publique.

Les femmes, à qui personne ne demande leur avis, sont ainsi entre le marteau de ceux qui veulent les déshabiller et l’enclume d’autres qui veulent les recouvrir d’un large voile de chasteté. En 2016, des individus des deux côtés de la Méditerranée ont ainsi comme projet politique de déposséder la femme de sa liberté de choisir son mode de vie et ses tenues vestimentaires.

Infantilisation

En prétextant libérer les femmes des griefs de mâles intégristes dominants ou, au contraire, d’un Occident pourvoyeur d’obscénités, on les emprisonne dans une infantilisation blessante pour justifier une peur de l’envahissement ou d’une hypothétique dilution nationale.

En France, les opposants au « burkini » justifient leur attitude par la sauvegarde des « valeurs françaises » que menacerait l’islam. Au Maroc, l’imam Al-Kzabri invoque un fantasque « complot dont les responsables ont voulu tuer la pudeur, les valeurs, les principes » d’un pays dont le chef d’Etat est aussi le commandeur des croyants.

L’imam Omar Al-Kzabri n’est pas isolé dans sa posture de parangon de la vertu. Sur le continent, des millions d’hommes pensent comme lui et décident de restreindre la liberté des femmes pour des considérations religieuses ou sociales. Dans une chronique précédente, j’évoquais le cas de la chanteuse sénégalaise Déesse Major arrêtée pour une tenue jugée sexy suite aux vociférations d’une bande d’intolérants illuminés. Récemment, j’ai rencontré à Dakar quelqu’un qui jugeait « l’accoutrement des femmes » responsable du faible niveau de pluie enregistré dans la capitale sénégalaise… Sans rire !

Avec des discours comme ceux de l’imam Al-Kzabri, il n’est pas surprenant que les actes de viols ne soient pas toujours condamnés dans nos sociétés, au motif que la victime aurait dû s’habiller plus décemment.

La polémique ridicule sur le « burkini » en France et les saillies liberticides de l’imam de Casablanca participent d’une volonté commune de refuser le droit des femmes à la souveraineté sur leur corps. Ces censures sont intolérables et doivent mobiliser l’énergie des progressistes. Les femmes n’ont pas à exécuter les injonctions de ceux qui œuvrent au quotidien contre leurs droits. Se baigner en « burkini » ou flâner en minijupe en ville sans aucune appréhension ni regard inquisiteur seraient déjà un bon début.