L’avenir de Deutsche Bank au cœur des spéculations
L’avenir de Deutsche Bank au cœur des spéculations
Par Anne Michel
Les dirigeants de l’établissement bancaire considèrent ne pas avoir besoin de l’aide du gouvernement allemand. Le titre s’effondre en Bourse.
A la Bourse de Francfort, le 26 septembre. Inquiets pour l’avenir de la Deutsche Bank, les investisseurs vendent massivement leurs actions, entraînant une chute continue du cours depuis plusieurs mois. | DANIEL ROLAND / AFP
L’Allemagne ne laissera pas tomber la Deutsche Bank. Telle est la conviction profonde des marchés financiers, alors qu’enfle le débat sur un éventuel soutien financier public à la première banque privée du pays, en proie à une crise financière sans précédent.
Le spectre de Lehman Brothers – du nom de la banque d’affaires américaine lâchée par Washington, dont la faillite déclencha la crise financière mondiale de 2008 – hante les esprits.
« Il ne faut pas croire ce qui se dit aujourd’hui en Allemagne au sujet d’une non-intervention des autorités. Le sujet est bien trop important pour l’économie allemande », a déclaré Andreas Utermann, patron des investissements d’Allianz Global Investors (l’un des grands gérants d’actifs européens), sur la chaîne de télé financière Bloomberg, lundi 26 septembre. Le gouvernement interviendra si la situation financière devient critique, a-t-il ajouté.
La veille, le magazine allemand Focus avait créé l’émoi et le buzz, en affirmant, de « sources proches du gouvernement », que la chancelière Angela Merkel se refusait à apporter son soutien à la Deutsche Bank, à un an des élections générales en Allemagne. Mme Merkel aurait signifié son point de vue au président du directoire de la banque, John Cryan, lors d’une entrevue restée confidentielle dans le courant de l’été.
« Capable de relever seule les défis »
« Cette question n’est pas à l’agenda. Deutsche Bank est capable de relever seule les défis qui l’attendent », avait rétorqué la banque. Selon son porte-parole, le groupe bancaire n’a pas besoin de l’aide du gouvernement allemand en dépit de la crise sans précédent qui l’affecte. Et ne l’a pas demandée.
Fragilisée par les années de récession et désormais menacée d’une amende record de 14 milliards de dollars (12,4 milliards d’euros) par les Etats-Unis pour sa responsabilité dans la formation de cette crise dite des subprimes (ces crédits immobiliers américains à risques, disséminés sur toute la planète), la Deutsche Bank vit un enfer boursier.
Inquiets pour l’avenir de la banque, les investisseurs procèdent en effet à des ventes massives d’actions, entraînant une chute continue du cours depuis plusieurs mois. Lundi 26 septembre le titre a cédé 7,54 % touchant en séance son plus bas niveau historique. La valeur du groupe bancaire en Bourse a fondu de moitié depuis le début de l’année, pour s’établir à 14,7 milliards d’euros, au lieu de 31,2 milliards euros encore le 31 décembre 2015.
La banque respecte tous les ratios financiers et n’a pas à ce jour de problème d’insuffisance de capital. Elle ne devrait pas en avoir tant que les Etats-Unis n’auront pas présenté leur facture pour règlement, ce qui ne devrait ne pas intervenir avant l’élection présidentielle de novembre.
Crainte d’une crise de liquidités
Mais cette désaffection des investisseurs fait redouter une éventuelle crise de liquidités… C’est-à-dire des difficultés à se refinancer : la capacité à refinancer ses activités étant aussi un élément vital pour une grande banque. Or, le bilan de la Deutsche Bank est colossal, autour de 1 500 milliards d’euros, ce qui représente 12 % environ du PIB de la zone euro !
De son côté, Alain Tchibozo, analyste du secteur bancaire chez Mediobanca à Londres, souligne :
« Le fait qu’Angela Merkel dise, selon la presse allemande, qu’il n’y aura pas d’intervention publique veut justement dire que le gouvernement est attentif à la Deutsche Bank. La banque est précisément dans le viseur des autorités. Il est évident qu’en cas de difficultés financières majeures, si des problèmes de refinancement survenaient pour l’établissement financier, si ses clients ne lui faisaient plus confiance ou si les autres banques décidaient de ne plus lui prêter d’argent sur le marché interbancaire, l’Etat allemand lui garantirait l’accès à des liquidités en banque central. Le niveau de capitalisation de la Deutsche Bank n’est pas le problème. »
De tels dispositifs de soutien avaient été mis en place, provisoirement, lors de la crise financière de 2008, notamment pour les banques françaises. Il s’agissait d’éviter que la crise de confiance qui affectait alors l’ensemble du secteur bancaire et l’empêchait de se refinancer (les banques ne se prêtant plus entre elles) assèche leurs liquidités et entraîne la chute des banques.
Trois types de « contreparties »
Selon les analystes financiers, les « contreparties » de la banque – soit, en clair, les établissements qui lui assurent son refinancement, en lui prêtant de l’argent sur les marchés, lui permettant donc de faire tourner son portefeuille d’activités – se répartissent en trois catégories : les grandes institutions financières de la zone euro (à hauteur d’environ 40 %), les investisseurs asiatiques et les groupes financiers américains. Les deux derniers groupes étant les plus susceptibles de se désengager, en cas de graves secousses financières…
Surveillé de près outre-Rhin, le « dossier » Deutsche Bank l’est aussi des autorités bancaires européennes comme de l’ensemble des Etats, du fait de l’interconnexion des systèmes bancaires et en regard des risques qu’il représente pour la sphère financière. Il l’est aussi des grands concurrents européens de la banque. Qui savent qu’in fine toute aide publique envers la banque – notamment en capital – conduirait la Commission européenne à exiger des compensations, dont une réduction du bilan de l’ancien fleuron bancaire allemand.