La difficile mise en place de l’étiquetage alimentaire
La difficile mise en place de l’étiquetage alimentaire
Par Pascale Santi
De nombreux produits ne présentent pas les quatre logos de couleur qui doivent être expérimentés.
Un supermarché près de Lyon, en 2010. | PHILIPPE DESMAZES / AFP
L’expérimentation grandeur nature d’un étiquetage nutritionnel sur les produits de la grande distribution est lancée depuis lundi 26 septembre. Mais les observations réalisées en magasin suscitent déjà des questions, dans un contexte miné par la polémique. Durant dix semaines, quatre logos vont être testés dans quarante magasins des marques Casino, Carrefour Market et Simply Market (groupe Auchan) en Ile-de-France, en Normandie, dans les Hauts-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, vingt magasins servant de témoins.
Le but de la mesure, votée dans la loi santé de janvier : mettre en place un système de marqueurs colorés qui rendraient plus lisibles les informations nutritionnelles des aliments transformés. S’il fonctionne, cet outil pourrait permettre de lutter contre l’augmentation des maladies cardio-vasculaires, du diabète ou de l’obésité (qui touche 17 % des Français).
Mais l’industrie agroalimentaire redoute qu’on lui impose un système qui la stigmatiserait. Après plusieurs années de bataille avec les entreprises, la ministre de la santé, Marisol Touraine, a chargé, début 2016, sa direction générale de la santé, la DGS, de mener une étude qui doit comparer quatre systèmes d’étiquetage alimentaire : celui de la grande distribution, celui de l’agroalimentaire, les feux tricolores appliqués au Royaume-Uni et un système à cinq couleurs développé par des chercheurs de Paris-XIII/Inserm (baptisé « Nutri-Score »). En juillet, Le Monde montrait une accumulation des conflits d’intérêts autour de cette évaluation, jetant le doute sur son impartialité.
Plusieurs rayons des magasins sont concernés par l’étude : produits traiteur frais emballés, plats cuisinés, ainsi que pains, pâtisseries et viennoiseries industriels. Initialement prévus dans l’expérimentation, les produits laitiers frais (hors laits) ne sont finalement pas inclus, alors qu’ils contiennent souvent de nombreux sucres cachés.
Un peu plus d’une semaine après le début de l’opération, il apparaît que de nombreux produits ne sont pas étiquetés. Ainsi, dans le Carrefour Market de Milly-la-Forêt (Essonne) qui teste le système inspiré des feux tricolores britanniques, de nombreuses marques n’ont pas de logo dans les rayons plats cuisinés et traiteur frais, comme Panzani, Lustucru, William Saurin…
« Un travail de titan »
Or, il semble indispensable que tous les aliments d’un même rayon, ou presque, soient étiquetés pour établir des statistiques fiables. Comme l’indiquait Noël Renaudin, le président du comité scientifique mis en place par le ministère de la santé, dans une lettre du 12 avril, il importe que « l’étiquetage (…) soit aussi proche que possible de l’exhaustivité et que le contrôle qualité (…) soit d’une grande exigence ».
Dans le magasin Casino de Maisons-Laffitte (Yvelines), qui teste le Nutri-Score, qui va du vert au rouge, « 41 produits sur 186 du rayon traiteur frais n’ont pas de Nutri-Score affiché », a constaté Stéphane Gigandet, le président de l’association Open Food Facts. « Un seul produit rouge a été photographié sur les 186 », ajoute-t-il. Même constat d’un groupe de consommateurs et de diététiciens qui s’est rendu dans huit supermarchés : environ 50 % des aliments n’ont pas d’étiquette. Et des produits sont parfois étiquetés différemment selon les magasins. « C’est un véritable travail de titan que d’étiqueter les produits, confie l’une des salariées du Carrefour Market de Luzarches (Val-d’Oise). Il faut faire attention à ce que ni la marque ni le nom du produit ne soient masqués. »
Interrogé, le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS), financé par l’industrie agroalimentaire, qui réalise l’étude, réfute ces constats. « Les entreprises n’ont pas refusé, mais sont volontaires » pour participer à cette expérimentation, répond Daniel Nairaud, directeur général du FFAS. « Nous étiquetons de l’ordre de 30 000 produits par jour, les premiers contrôles des diététiciens et les vérifications des directeurs des magasins sont très bons », affirme-t-il. Il faut rappeler que l’étiquetage sera facultatif, Bruxelles ne l’ayant pas rendu obligatoire.
Une « farce »
Aujourd’hui, le consommateur est-il en mesure de comparer très rapidement et facilement la composition d’un produit avec celle d’un autre de la même catégorie ? « La réponse est non », assure Ingrid Kragl, la directrice de l’association Foodwatch France, qui qualifie l’expérimentation de « farce ».
De nombreuses questions se posent sur sa méthodologie. Quelle sera sa puissance statistique ? « Le problème de l’expérimentation, c’est qu’elle ne porte que sur un nombre très limité de rayons. Et la durée est courte », précise le professeur Serge Hercberg, qui dirige l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l’Inserm, qui a conçu le Nutri-Score. Open Food Facts va demander la diffusion publique des données recueillies « afin que chacun puisse les analyser », ajoute M. Gigandet.
Reste la question du coût de l’expérimentation – 2,2 millions d’euros. Alors que la part des industriels est majoritaire (52 %), la direction générale de la santé et l’Assurance-maladie contribuant à plus de 1 million d’euros, aucune information n’a été donnée sur les entreprises qui participent à ce financement.