Base-ball : les Cubs de Chicago, 108 ans de disette et une intégration raciale ratée
Base-ball : les Cubs de Chicago, 108 ans de disette et une intégration raciale ratée
Par Anthony Hernandez
Surnommée « Lovable Losers » (perdants magnifiques), la franchise de Chicago, qui espère enfin (re)gagner la World Series, a été à la traîne sur l’ouverture aux joueurs noirs.
Les Cubs de Chicago ont attendu 1953, six ans après les Dodgers de Brooklyn, pour ouvrir leur franchise au premier joueur noir. | Kiichiro Sato / AP
Deux victoires en 1907 et en 1908 et plus rien ou presque, à part une finale en 1945. La franchise de base-ball des Cubs de Chicago peut au moins s’enorgueillir d’un record : celle de la plus longue disette des quatre Ligues sportives majeures nord-américaines (NBA, NFL, NHL et MLB). A égalité après les deux premiers matchs de la finale contre les Indians de Cleveland, les Cubs ont l’opportunité de mettre fin à une malédiction vieille de 108 ans. Ils peuvent accomplir cet exploit dès ce week-end en remportant leurs trois matchs à domicile dont le premier dans la nuit de vendredi à samedi. La World Series se joue en effet au meilleur des sept rencontres.
LOL! Bill Murray in the White House press room GO CHICAGO CUBS
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Surnommée « Lovable Losers » – les « perdants magnifiques » –, la franchise de Chicago est une référence culte dans la culture nord-américaine. L’acteur Bill Murray est son plus grand fan. Vendredi dernier, vêtu d’un sweat de son équipe favorite, il s’est incrusté en salle de conférence de presse de la Maison Blanche pour livrer ses pronostics. Dans un entretien au Chicago Tribune, il avait révélé qu’un titre des Cubs était plus important qu’un Oscar. La « lose » légendaire des Cubs a également été mise en scène au cinéma. Sorti en 1986, le deuxième opus de Retour vers le futur leur faisait un clin d’œil en prédisant que la franchise remporterait la World Series en… 2015.
Le paradoxe des Cubs
Mais un pan de l’histoire des Cubs est moins connu et repose sur un paradoxe. Malgré le statut de Chicago, grande ville du base-ball noir, les Cubs ont été à la traîne sur la question de l’intégration des joueurs afro-américains au sortir de la deuxième guerre mondiale. Professeur à Sciences Po, spécialiste de l’histoire des Etats-Unis, Pap Ndiaye effectue un rappel salutaire : « Jusqu’aux années 1940, les Noirs évoluaient dans des ligues réservées, les Negro Leagues. Chicago comptait plusieurs équipes fameuses, dont les American Giants. Elles évoluaient dans les deux stades principaux de la ville quand les équipes blanches, les Cubs et les White Sox, étaient en déplacement. »
Dans le pays, une campagne a lieu pour ouvrir la Ligue majeure de base-ball aux joueurs afro-américains. Des comités de citoyens se forment et la presse noire milite. « Le Chicago Defender pousse alors pour l’intégration des joueurs noirs dans les grandes équipes. Il y a une pression pour la déségrégation qui commence à se faire insistante, rappelle Pap Ndiaye. On attend alors que les Cubs, vieux club déjà en mauvaise posture, s’ouvrent. Ils auraient pu puiser dans ce réservoir de brillants joueurs noirs de Chicago. »
Cubs Win World Series - Back To The Future 2
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Il n’en est rien. Le tournant est pris par les Brooklyn Dodgers, qui embauchent l’idole Jackie Robinson, premier Noir à évoluer en Ligue majeure le 15 avril 1947. Le natif de Géorgie remporte six titres de champion et de multiples récompenses individuelles. Depuis, son numéro 42 est retiré du base-ball, plus aucun joueur n’a le droit de le porter, et un « Jackie Robinson Day », le 15 avril, lui est dédié à partir de 2004. Les Cubs manquent, eux, ce tournant encore quelques années durant. « Le propriétaire Phil Wrigley a tergiversé. Il ne fermait pas la porte mais disait que le public n’apprécierait pas. C’est dû au vieux Wrigley, très conservateur, mais aussi au fait que Chicago est une ville très ségréguée », explique Pap Ndiaye.
Deux ans plus tôt, les White Sox, l’autre équipe de Chicago, avaient sauté le pas en enrôlant le Cubain Minoso. « Il faut attendre finalement 1953 pour qu’Ernie Banks devienne le premier Noir à jouer pour les Cubs. C’est très tard si l’on compare à ce qui se passe ailleurs. Cela a contribué aux difficultés sportives de ce club », livre l’auteur d’une Histoire de Chicago (éd. Fayard).
Une statue à l’effigie d’Ernie Banks, le premier joueur noir de l’histoire des Cubs de Chicago. | JONATHAN DANIEL / AFP
Alors que la MLB s’ouvre aux joueurs noirs dans les années 1950, le base-ball garde l’image d’un sport de classe moyenne blanche. Contrairement au basket et à la NBA, qui n’accueille son premier joueur noir qu’en 1950 mais qui devient le grand sport dominant en captant l’essentiel des athlètes afro-américains. « Le pourcentage de joueurs afro-américains dans le base-ball a atteint un pic de 18 % dans les années 1980, avant de baisser à 7 % aujourd’hui [ce qui est inférieur à la part de la population noire aux Etats-Unis, qui est de 13 %]. Dans le même temps, le pourcentage de joueurs hispaniques est passé de 11 % à 27 % », éclaire Pap Ndiaye.
La situation géographique des Cubs n’a pas aidé à favoriser l’intégration raciale et explique pourquoi le président Barack Obama est supporteur des White Sox, lui qui a vécu presque en continu à Chicago entre 1985 et 2008. « Les Cubs sont implantés dans la branche nord de la rivière, ce qui explique leur attache aux classes moyennes blanches. Les Chicago White Sox, c’est le club de South Side, là où la population noire réside et où Barack Obama a longtemps vécu », souligne Pap Ndiaye.