Bethesda Game Studio : le développeur qui refaisait toujours le même jeu
Bethesda Game Studio : le développeur qui refaisait toujours le même jeu
Par Corentin Lamy
Le studio américain réédite « Skyrim », l’un de ses plus gros succès, cinq ans après sa sortie. L’occasion de revenir sur le « style Bethesda », qui n’a pas changé en vingt-cinq ans.
« The Elder Scrolls V : Skyrim » | Bethesda
Il y a des studios qui ont accouché d’une œuvre si forte qu’on a l’impression qu’ils n’ont fait que ça. C’est un peu le cas de Bethesda Game Studio, dont l’histoire personnelle et celle de sa série The Elder Scrolls semblent se confondre. Skyrim, le dernier épisode en date, bénéficiait vendredi 28 octobre d’une réédition haute résolution, disponible sur PC, PlayStation 4 et Xbox One.
Si Skyrim est l’épisode le plus connu et le plus joué de la saga, en vérité, ce n’est que la énième itération d’une méthode, sinon d’une vision, que Bethesda ne cesse de décliner depuis 2002, année de la sortie de Morrowind. Une méthode tellement systématique qu’on soupçonnerait presque ce studio de la lointaine banlieue de Washington de ne savoir faire que ça.
L’ADN de Bethesda
Le « style Bethesda » est en fait né bien avant les Elder Scrolls. Avec le jeu The Terminator (1990), le studio pose les bases de ce qui va devenir son ADN : des mondes ouverts comme autant de pages vierges tendues au joueur ; des jeux conçus comme autant d’instruments avec lesquels expérimenter ; des univers comme une réalité alternative, virtuelle avant l’heure, dans laquelle se perdre. Et c’est sans doute à The Terminator que penseront les développeurs quand ils mettront en chantier Arena (1994), le premier épisode des Elder Scrolls, et sa suite, Daggerfall (1996).
Terminator (1990) - DOS - Walkthrough/Let's Play
Durée : 14:43
Des jeux trop grands (il faut littéralement une semaine pour traverser le terrain de jeu de Daggerfall de bout en bout), trop ambitieux, trop vides, générés automatiquement par des ordinateurs dénués de sensibilité artistique. Des impasses ludiques fascinantes, mais des impasses tout de même. Au tournant du siècle, et alors que l’industrie du jeu vidéo change de méthode, de public, de plates-formes, de fonctionnement, Bethesda doit, lui aussi, changer. Ou mourir.
Improbable fulgurance
Morrowind (2002), c’est le produit de cette volonté de modernisation. Ce troisième Elder Scrolls est né dans la douleur, au terme de six ans de développement en pointillé, alors que Bethesda a frôlé la faillite à plusieurs reprises. Il tente beaucoup de choses, souvent avec succès, rarement avec beaucoup de maîtrise. C’est le royaume de l’approximation géniale, de la fulgurance improbable.
On soupçonne que le produit final a quelque chose d’accidentel, ne serait-ce que parce qu’il ne ressemble à rien de connu. Et surtout pas à ses ancêtres Arena et Daggerfall. Là où ces derniers étaient gigantesques et génériques, Morrowind est un produit calibré, où chaque détail est conçu à la main. Une aventure plus ramassée, plus écrite. Tout en conservant ce qui est au cœur des jeux Bethesda depuis The Terminator : la volonté de recréer un monde, peut-être pas réaliste, mais au moins crédible.
Une image soigneusement cultivée
Toutes proportions gardées, cet Elder Scrolls III est un carton qui remet le studio sur les rails. Depuis, Bethesda refait Morrowind, inlassablement. Oblivion (2006) ? C’est Morrowind au pays du Seigneur des anneaux. Skyrim (2011) ? Morrowind chez Game of Thrones. Fallout 3 (2008) et 4 (2015) ? Morrowind dans un monde post-apocalyptique. Chacun est un succès plus important que le précédent : si le studio (qui, encore récemment, ne comptait qu’une centaine d’employés) ne sort ses jeux qu’au compte-gouttes, ceux-ci vont à chaque fois chasser sur les terres des plus gros blockbusters.
Skyrim Special Edition – Gameplay Trailer #2
Durée : 01:26
On aurait pourtant tort de penser qu’ils ne savent faire que ça. Comme l’explique Todd Howard dans une interview donnée à Pixels, Bethesda est une sorte d’anomalie dans l’industrie actuelle – c’est du moins l’image que le studio cultive. Celle d’une société qui a traversé trente ans d’histoire du jeu vidéo sans perdre son âme. Avec des compromis, parfois, mais sans compromission.
Leur logique : faire ce qui leur plaît, en se fichant des études marketing. Avec, dans l’idée, que s’ils aiment leurs jeux, les joueurs les aimeront aussi. Parce qu’eux-mêmes, en fin de compte, sont des joueurs avant tout.