L’ONU fait son autocritique au Soudan du Sud
L’ONU fait son autocritique au Soudan du Sud
Par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante)
Une enquête met en cause le comportement des casques bleus en marge des affrontements qui ont éclaté à Juba, la capitale, en juillet. Le chef de la mission a été relevé de ses fonctions.
Des casques bleus à Juba, le 3 septembre 2016. | CHARLES ATIKI LOMODONG / AFP
C’est l’histoire d’une mission de maintien de la paix à la dérive qui observe passivement le naufrage du plus jeune Etat du monde, le Soudan du Sud, au bord de l’implosion et de la guerre ethnique. Les civils, et en particulier les femmes, sont les premières victimes de ce conflit qui dure depuis bientôt trois ans. Voilà en substance le constat de Patrick Cammaert, général néerlandais à la retraite mandaté par l’ONU pour diriger une enquête indépendante sur les violences qui ont éclaté à Juba, la capitale du Soudan du Sud, entre le 8 et le 25 juillet dernier.
Ses conclusions « accablantes » pour l’organisation ont fait une première victime : le commandant de la force des Nations unies au Soudan du Sud, qui compte 13 500 casques bleus sous ses ordres, le lieutenant-général kényan Johnson Mogoa Kimani Odienki, dont le secrétaire général a demandé la tête dans un geste très rare et symbolique pour l’ONU. La représentante spéciale du secrétaire général Ellen Margrethe Loj avait déjà pris les devants en annonçant sa démission dès la semaine dernière.
Cinq ans jour pour jour après l’indépendance, la capitale Juba a connu le 9 juillet une vague de violence entre les partisans du président Salva Kiir, d’origine dinka, et ceux de son ex-vice-président Riek Machar, de l’ethnie rivale des Nuer. En dépit des menaces de sanctions internationales, les tensions s’étaient accrues au sujet des retards persistants dans la mise en œuvre de l’accord de paix signé au printemps entre les deux parties.
En quelques heures, Juba s’était embrasée sous les tirs d’artillerie, des tanks et des hélicoptères qui ont largué des obus, dont certains ont atterri à l’intérieur des bases de l’ONU. Trois cents civils auraient trouvé la mort dans ces attaques et de nombreuses femmes – au moins deux cents pour le seul mois de juillet – auraient été violées à proximité des bases de l’ONU sans que les casques bleus ne se portent à leur secours. Plusieurs semaines avant le début des violences pourtant, « la MINUSS et les humanitaires avaient détecté des signes tangibles d’une reprise imminente des hostilités », note le rapport.
Abandon de poste
Le résultat fut une « réponse chaotique et inefficace » des casques bleus, qui se sont révélés incapables d’assurer la protection des civils, qui figure pourtant au cœur de leur mandat. Une « aversion au risque », estime sans ironie le général Cammaert, qui juge les soldats de l’ONU réticents à faire usage de la force. Des soldats chinois ont ainsi abandonné leur poste à au moins deux reprises alors qu’ils étaient en charge d’un « site de protection des civils », sorte de sanctuaire pour les 200 000 Sud-Soudanais déplacés par les combats. Une unité de police népalaise n’a pas bougé lorsque le quartier général de l’ONU à Juba a été vandalisé et pillé.
Pire, le 11 juillet, tandis que des forces gouvernementales pénètrent dans l’enceinte du camp où sont logés des personnels humanitaires et onusiens, soumis « à des violences et notamment des meurtres, intimidations, violences sexuelles et des actes s’apparentant à de la torture », les casques bleus d’origine chinoise, éthiopienne, indienne et népalaise refusent de se déplacer malgré des demandes à l’aide répétées. Leur base se trouve pourtant à moins d’un kilomètre.
Le secrétaire général, Ban Ki-moon, a beau se déclarer « profondément affligé » par les conclusions de ce rapport et « inquiet des graves lacunes identifiées », Alexandra Novosseloff, chercheuse invitée au centre de la coopération internationale à l’université de New York, estime que « ces défaillances sont aujourd’hui la réalité du maintien de la paix ». Pour elle, la situation s’explique entre autres par « un Conseil de sécurité qui donne des mandats trop ambitieux au regard des moyens alloués, des Etats membres qui envoient des soldats qui n’ont souvent pas pris la mesure des situations dans lesquelles ils se retrouvent, et un secrétariat qui fait ce qu’il peut dans ces circonstances. »
Alors que le Conseil de sécurité doit se prononcer sur un embargo sur les armes, un expert note « le manque d’investissement politique » au Soudan du Sud. Faute de volonté politique, l’ONU fera le pari d’« un pourrissement de la situation » et laissera ce dossier symbole de son échec au nouveau secrétaire général, Antonio Guterres.