La Lucha, un mouvement citoyen qui veut aussi faire entendre la voix des Congolaises
La Lucha, un mouvement citoyen qui veut aussi faire entendre la voix des Congolaises
Par Lou Marillier (contributrice Le Monde Afrique, Goma)
Le mouvement citoyen pour le changement a été créé en 2012 à l’initiative de Micheline Mwendike pour dénoncer le terrible quotidien que subissent les Congolais.
Mars 2012, dans un restaurant de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Trois hommes sont réunis par une certaine Micheline Mwendike, 27 ans. Cette dernière s’occupe des plaidoyers pour l’ONG Heal Africa, témoin direct et révolté de la misère dans son pays. Le mouvement congolais citoyen Lutte pour le changement, Lucha, est né. « Je peux dire que la Lucha a commencé sous l’impulsion d’une femme », dit aujourd’hui Micheline.
Mais les femmes resteront en minorité quand le groupe deviendra l’un des mouvements militants les plus médiatisés et les plus reconnus du pays. L’un des plus réprimés aussi par les autorités de Kinshasa.
« Coup d’Etat constitutionnel »
Fin octobre, une douzaine de militants de la Lucha étaient interpellés lors d’un sit-in devant le siège de l’Union africaine (UA) dans la capitale congolaise, et relâchés dans la même journée. Ils condamnaient le soutien de l’UA au report de l’élection présidentielle à avril 2018, décidé par un « dialogue national » entre le gouvernement et une partie de l’opposition. Le deuxième mandat du président Joseph Kabila arrive à son terme le 19 décembre et la Constitution l’empêche de se représenter. Mais l’habile chef de l’Etat congolais a obtenu, en mai, de la Cour constitutionnelle, saisie par les parlementaires de la majorité, le droit de se maintenir en poste tant qu’un nouveau président n’était pas élu. La Lucha, à l’instar de l’opposition, a dénoncé un « coup d’Etat constitutionnel » sur son compte Facebook.
Si être militant en RDC est dangereux, être militante l’est encore plus. La RDC a été classée 144e sur 148 pays dans l’indice d’inégalité de genre de l’ONU, notamment pour le manque de représentativité et le statut économique des femmes. Aujourd’hui, la détermination des femmes de la Lucha reste pourtant inchangée, dans un contexte extrêmement tendu.
En juin 2016, un militant de la Lucha dénonce l’impossible accès à l’eau potable pour les habitants de Goma alors que la ville congolaise est située au bord du lac Kivu, l’un des plus grands d’Afrique. | JUNIOR D.KANNAH/AFP
Micheline Mwendike se souvient de sa première arrestation. Elle remonte au 28 juin 2012. Après avoir scandé « A la Lucha ! » lors d’un rassemblement, elle est enfermée huit jours dans les cachots de l’Agence nationale de renseignement. Elle y dort à même le sol, sous un balcon, faute de cellules pour les femmes.
Entre 500 et 600 membres
Dans cette même phase embryonnaire, en 2012, Claudia Chuma débat à Goma avec des militants pour dénoncer le chômage des jeunes, le manque d’eau, « de problèmes nobles sur lesquels nous, en tant que jeunes, on pouvait vraiment s’impliquer et trouver une solution ». La plupart des revendications de la Lucha concernent en effet des enjeux locaux. Seulement 15 % de la population de la RDC a accès à l’électricité. Même à Goma, située sur les rives du lac Kivu, l’un des plus grands d’Afrique, l’eau potable est rare.
La Lucha grandit lentement mais sûrement. Difficile, même pour ses membres, de connaître le nombre de militants actifs. Le mouvement est décentralisé, organisé en cellules, et l’engagement souvent confidentiel. Il compte entre 500 et 600 membres, selon Soraya Aziz Souleymane, qui dirige la cellule de plaidoyer de la Lucha. Environ 10 % sont des femmes, évalue Grâce Kabera, militante à Goma. Soraya Aziz Souleymane précise : « On s’assure qu’on donne aux femmes dans la société un rôle très visible », dans les plaidoyers par exemple, mais la Lucha lutte équitablement pour tous.
Les femmes occupent un rôle indispensable, quoique nettement moins valorisé, dans l’économie congolaise. Un rapport de la Monusco, la Mission des Nations unies en RDC, souligne que 70 % de l’agriculture et 60 % du secteur informel sont tenus par les femmes.
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« Souvent, on ne parle pas de la femme comme d’une actrice, mais comme d’une victime, malgré le rôle qu’elle joue dans la société congolaise », déplore Micheline. A l’étranger, on retient en général que la RDC est l’un des pays les plus violents du monde envers les femmes. Elle est même qualifiée de « capitale mondiale du viol » par Margot Wallström en 2011, alors envoyée spéciale de l’ONU pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits. Micheline considère ces stéréotypes réducteurs et décourageants.
« Terroristes »
« Quand une femme milite, ça a un impact particulier, même dans le gouvernement. On l’a vu quand Rebecca a été arrêtée, le monde entier en a parlé », explique Grâce Kabera. Rebecca Kavugho fait partie des six militants condamnés à six mois d’emprisonnement après une journée de grève en février 2016. Le porte-parole du gouvernement avait alors qualifié les militants de la Lucha de « terroristes » en réponse au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme qui avait désigné leur procès de « harcèlement de la société civile ».
Micheline Mwendike étudie désormais les sciences politiques à Florence, en Italie, mais demeure très active au sein du mouvement. Grâce, Claudia et Soraya sont restées en RDC. « On a très peur, mais on ne laisse pas cette peur nous arrêter », précise Soraya.
Rebecca Kavugho qui devait être libérée à la mi-août, a bénéficié comme les cinq autres d’une grâce présidentielle, un mois plus tôt. Peu après, à Goma, le président Joseph Kabila s’est entretenu pour la première fois avec des militants de La Lucha, qu’il nie maintenant considérer comme des « terroristes ».
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Ces gestes d’apaisement ne furent ni un premier pas vers des élections, comme le montre l’actualité, ni même, selon Soraya, un adoucissement de la répression. La libération des militants, assure-t-elle, n’a en rien calmé non plus les ardeurs de la Lucha, au regret du gouvernement. « Il y a beaucoup plus de risques aujourd’hui, ils sont très fâchés », explique-t-elle. Fin septembre, elle assurait que la seule raison pour laquelle ils n’avaient pas été arrêtés depuis le mois d’août était que la Lucha n’avait pas encore fait d’action d’envergure. Mais cela va reprendre, assure Soraya : « Une par semaine. » Parole tenue. Pour l’ensemble du mois d’octobre, pas moins de 17 personnes ont été interpellées dans le Nord-Kivu à l’occasion de diverses actions pacifiques.