Les intox du FN sur les « privilèges » des migrants face aux Français
Les intox du FN sur les « privilèges » des migrants face aux Français
Par Adrien Sénécat
Le parti d’extrême droite diffuse une série de tracts qui oppose la situation des migrants aux étudiants, agriculteurs ou mal-logés français. Avec des arguments trompeurs et erronés.
Des cadres du Front national, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen en tête, partagent depuis jeudi 3 novembre des messages signés « Jeunes avec Marine » qui opposent la situation des migrants avec différents groupes de citoyens français. Chacune de ses publications a été partagée des centaines de fois sur Facebook et Twitter, comme on peut le voir sur la seule page du sénateur FN David Rachline.
David Rachline / Facebook
Sauf que cette campagne de communication se base sur des exemples déformés, voire complètement malhonnêtes.
1. L’agriculteur qui « vit avec 284 euros par mois »
CE QUE DIT LE FN
Facebook / David Rachline
POURQUOI C’EST FAUX
Aucun détail n’est donné sur « Pierre », l’agriculteur en retraite, mais cette présentation est pour le moins étonnante. Toute personne de nationalité française de plus de 65 ans qui réside dans le pays peut en effet bénéficier au minimum de l’Allocation de solidarité aux personnes âges, qui représente 801 euros par mois pour une personne seule sans revenus. Bien au-delà des 284 euros avec lesquels l’agriculteur retraité vivrait, selon le FN.
Du côté des demandeurs d’asile, le chiffre de 330 euros mensuels correspond à l’Allocation pour demandeur d’asile versée à une personne seule sans place d’hébergement (le montant est de 204 euros avec hébergement). Cette aide ne concerne que le cas de l’asile, pas les autres migrants.
Plus largement, les exploitants et salariés agricoles n’ont pas un régime de retraite des plus favorables. C’est d’ailleurs pour cela que le gouvernement a engagé en 2013 un plan de rattrapage des petites retraites du secteur. Mais il est dans tous les cas erroné d’affirmer qu’un agriculteur retraité serait moins bien loti qu’un migrant qui touche 330 euros par mois.
2. Les migrants logés au détriment des étudiants
CE QUE DIT LE FN
Facebook / David Rachline
POURQUOI C’EST TROMPEUR
Là aussi, aucune précision n’est donnée sur le cas de cette prétendue « Julie ». On sait en revanche sur quels critères le Centre régional des œuvres universitaires (Crous) de Lille gère son parc de logements étudiants, comme il l’explique sur son site Internet :
« Les logements sont attribués en priorité aux étudiants déjà logés qui demandent leur maintien dans la même résidence, aux étudiants boursiers gérés par Campus France, aux étudiants de niveau BAC + 5 et plus, puis aux étudiants dont le niveau d’études est le plus élevé. »
A titre d’exemple, un étudiant enfant unique dont la famille gagne 25 000 euros annuels est boursier, selon le calculateur du Crous. C’est également le cas pour un foyer avec trois étudiants dans l’enseignement supérieur qui déclare 60 000 euros par an de revenus.
L’académie de Lille accueille environ 160 000 étudiants chaque année, selon les chiffres ministériels, pour seulement 10 175 places de logements au Crous de Lille. L’académie fait à ce titre partie des plus mauvais élèves en France, selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2015.
Tous les publics ne sont pas affectés de la même manière par cette situation. « Pour les étudiants boursiers, ça va, mais c’est très compliqué d’avoir accès aux logements étudiants pour les autres, surtout les étudiants étrangers », note Anouar Benichou, président du syndicat étudiant UNEF à Lille.
Quant aux migrants accueillis à Lille après le démantèlement du camp de Calais, il s’agit de « 80 bénéficiaires de l’asile, inscrits par ailleurs à l’université Lille-III », indique-t-on au Centre national des œuvres universitaires (Cnous). Par ailleurs, la résidence Galois sur le campus de Villeneuve-d’Ascq, qui accueille ces demandeurs d’asile, est vouée à la destruction et ne devait accueillir personne au cours de l’année universitaire 2016-2017. La nature du bâtiment utilisé ainsi que le faible nombre de cas concernés fait qu’il est pour le moins disproportionné d’imputer le manque de logements étudiants à Lille à ces demandeurs d’asile.
3. Les logements sociaux « saturés par l’immigration »
CE QUE DIT LE FN
Facebook / David Rachline
POURQUOI C’EST TROMPEUR
Le FN prend là aussi des libertés avec la réalité, pour plusieurs raisons :
1. Les Français ne sont pas privés d’aides. D’abord, le parti d’extrême droite occulte les différents dispositifs d’hébergement d’urgence, de transition, puis de réinsertion dont les Français peuvent bénéficier. Sans nier l’ampleur du mal-logement, qui touche selon la Fondation Abbé-Pierre 3,8 millions de Français, dont 141 500 sans domicile et 85 000 dans des habitations de fortune, il est trompeur de laisser penser qu’une femme avec un enfant serait privée de toute aide de l’Etat.
2. Les migrants n’ont pas tous accès au logement social. Les migrants en situation irrégulière ou en cours de régularisation n’ont pas accès aux logements sociaux. Les réfugiés, quant à eux, ne peuvent y avoir accès qu’à la marge, dans des zones qui disposent de logements vacants, comme l’explique le ministère de l’intérieur sur son site.
Quant aux nouveaux arrivants en France en situation régulière, ils étaient 26 % à occuper un logement social en 2010, selon des statistiques ministérielles. Sachant qu’ils paient dans ce cas un loyer, comme tout autre occupant.
Il faut également rappeler qu’un peu plus d’une personne sans domicile sur deux (53 %) est de nationalité étrangère, selon les chiffres de l’Insee pour l’année 2012. Alors que les étrangers représentent 6,4 % de la population.
3. Les logements sociaux ne sont pas « saturés » uniquement à cause de l’immigration. Les ménages immigrés (naturalisés français compris) représentaient environ un résident en HLM sur six (16,5 %) en 2006, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.