Le réveil du vote latino n’aura pas suffi à Hillary Clinton
Le réveil du vote latino n’aura pas suffi à Hillary Clinton
Par Nicolas Bourcier (Tampa, Miami (Floride), envoyé spécial)
Les discours de Donald Trump contre les migrants mexicains ont mobilisé contre lui les électeurs hispaniques. En vain.
Des manifestants anti-Trump le 29 juin 2015 à Chicago. | Charles Rex Arbogast / AP
Le « géant endormi » s’est réveillé. La minorité hispanique, ainsi surnommée par la presse, a été piquée au vif par l’effet Trump et s’est rendue en masse dans les bureaux de vote. Elle n’a toutefois pas pu empêcher l’incroyable et stupéfiante victoire du candidat républicain. A regarder les chiffres, les données récoltées dans les Etats à forte présence hispanique indiquaient de manière univoque, avant même le mardi 8 novembre, une poussée électorale exceptionnelle des votes anticipés.
En Caroline du Nord, le taux de participation des Latinos dépassait de 85 % celui obtenu quatre ans auparavant. En Floride, sur les 6,2 millions de votes anticipés, un million venait des Latinos, soit 75 % de plus qu’en 2012. Et près de 36 % d’entre eux participaient pour la première fois à une élection. La défaite n’en sera que plus amère.
L’Amérique hispanique semble donc s’être imposée comme un important réservoir électoral, une vague bleue (couleur des démocrates) incapable toutefois de faire pencher l’issu du scrutin.
Annoncé en 2012, le réveil latino avait fini par se perdre dans les décomptes statistiques, largement dominés par l’incroyable avance de Barack Obama au sein de l’électorat blanc et noir du nord du pays. Les chiffres étaient têtus, le vote hispanique n’avait pas augmenté par rapport aux élections de 2008, et ce malgré la poussée démographique et les débats sur une réforme de l’immigration qui, finalement, ne verra pas le jour.
Electrochoc
Cette année-là, les Latinos ont voté à une majorité des deux tiers pour le candidat démocrate, qui avait promis de leur « ouvrir le chemin vers la citoyenneté ». Mais M. Obama a privilégié la réforme de l’assurance-santé. Il a donné des gages aussi aux républicains en poursuivant la sécurisation de la frontière lancée par son prédécesseur, George W. Bush, et procédé à près de 375 000 reconduites à la frontière par an.
Depuis, quelque 803 000 jeunes Hispaniques ont atteint chaque année 18 ans, l’âge de voter. Mais la participation des Latinos aux élections est restée systématiquement faible, à 47 % en 2012 contre 67 % pour les Noirs. Ils ont aussi adopté moins rapidement la nationalité américaine, par rapport aux autres étrangers. Une donnée encore plus prononcée chez les migrants mexicains.
« Contrairement aux personnes venues d’Asie ou d’Amérique centrale qui cherchent à s’installer ou à étudier, les Mexicains sont des migrants avant tout économiques, avec l’idée pour une grande partie des plus âgés de revenir au pays une fois à la retraite », souligne Mark Lopez, directeur de recherche au Pew Research Center.
En 2013, sur les 8,8 millions de résidents légaux éligibles à une naturalisation, près de 2,7 millions étaient mexicains, soit le nombre le plus important de ressortissants étrangers recensés par les autorités. Mais seuls 36 % d’entre eux avaient choisi de devenir citoyens américains. Ce taux est de 68 % pour tous les autres immigrés légaux.
En juin 2015, le discours de candidature de Donald Trump à New York fait l’effet d’un électrochoc. Il compare les migrants mexicains à des « violeurs » et des « trafiquants ». Un peu plus tard, il promet de construire un mur le long de la frontière « payé par Mexico » et d’expulser « deux millions de criminels étrangers durant [sa] première heure à la Maison Blanche ».
Motivées par la crainte de voir l’homme d’affaires appliquer son programme, des familles entières latinas se sont ruées sur les urnes. Au point où le nombre de nouveaux électeurs hispaniques est devenu « véritablement historique », a souligné Daniel Smith, professeur de sciences politiques à l’Université de Floride. Et d’ajouter, à quelques jours du scrutin et sans ironie aucune : « Donald Trump a fait plus que n’importe quel candidat démocrate. »
Mouvement amplifié
De son côté, Hillary Clinton a su saisir l’opportunité d’accompagner et d’amplifier le mouvement. Elle l’a fait avec un réel sens politique et avec succès. Avant même le début des primaires, l’ex-secrétaire d’Etat et ses équipes ont saisi très tôt le potentiel inexploité des électeurs hispaniques – 27,3 millions, selon les derniers chiffres, soit 26 % de plus qu’en 2012. Dans le Nevada, dès les premiers jours de campagne, Hillary Clinton a rencontré les groupes de femmes et mis en avant ses projets sur l’éducation, la santé.
A la fin de chaque meeting, les femmes présentes étaient invitées à inscrire le nom et le contact de cinq autres femmes susceptibles de soutenir la candidate. Ce programme, appelé « Mujeres in politics », a eu un tel écho qu’il a été repris dans les autres Etats à forte population hispanique. Mardi soir, le Nevada a voté pour la candidate démocrate.
La candidate et ses proches ont su rappeler ses jeunes années de militance, lorsque, dans les années 1970, Hillary accompagnait au Texas les jeunes sans-papiers dans leurs démarches administratives. La campagne démocrate a multiplié aussi les rencontres avec les jeunes migrants, ceux que l’on appelle les « Dreamers », enfants des sans-papiers qui ont obtenu, avant les élections de 2012, une exemption temporaire de poursuites, mais attendent leur régularisation formelle. Un peu partout, les affiches « La Hillary ¡ Estoy Contigo ! » (je suis avec toi) ont fleuri dans les officines démocrates.
Au sujet des sans-papiers, Hillary Clinton a eu une approche bien plus souple que certains membres de son propre parti. Elle s’est même payé le luxe de critiquer l’actuel président, Barack Obama, au sujet de sa politique d’expulsion. Surtout, elle avait promis de lancer une réforme de l’immigration au cours de ses cent premiers jours à la Maison Blanche. De quoi satisfaire une grande partie de la minorité latino résidente sur le sol américain. De quoi aussi susciter les crispations côté républicains et alimenter un discours anti-Hillary.
« L’histoire de ces élections sera peut-être celle de la mobilisation des Hispaniques », avait estimé Lindsey Graham, quelques jours avant les résultats des élections. Le sénateur républicain de Caroline du Sud et anti-Trump n’avait pas complètement tort. Seulement voilà, la mobilisation n’a pas suffi.