A Alep, les habitants abandonnés sous les bombes
A Alep, les habitants abandonnés sous les bombes
Par Madjid Zerrouky, Marc Semo
Les forces du régime syrien et de ses alliés progressent, alors que la diplomatie occidentale est impuissante.
Les « casques blancs » de la défense civile syrienne viennent en aide à une habitante, dimanche 20 novembre à Alep. | THAER MOHAMMED / AFP
A Alep-Est, le « pire » est atteint quotidiennement depuis des semaines. Les derniers tracts largués par les hélicoptères du régime promettent des jours encore plus sombres aux habitants. Qualifiés de « chers compatriotes », les habitants sont appelés par « le haut commandement des forces armées » à « s’abstenir de sortir dans les rues » et à s’« éloigner des combattants ». Il ne s’agit plus d’une injonction à quitter la zone rebelle, mais d’une invitation à se terrer sous le déluge.
Au total, 143 civils dont 19 enfants ont péri en une semaine de bombardements à l’artillerie et depuis les airs, dans Alep-Est, tandis que 16 autres civils, dont 10 enfants, ont été tués par les tirs rebelles dans Alep-Ouest contrôlé par le régime, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Au pilonnage venu du ciel et ses dizaines de bombes et barils d’explosifs qui s’abattent tous les jours depuis mardi 15 novembre s’ajoutent d’intenses combats au sol : les forces gouvernementales resserrent leur emprise en attaquant depuis deux jours sur trois axes, depuis le nord, l’est et le sud.
Dans le sud de la zone insurgée, où le chef militaire du groupe salafiste Ahrar Al-Cham, à Alep, a été tué mardi 22 novembre dans le quartier de Cheikh Saïd, des affrontements violents ont opposé toute la journée rebelles et miliciens chiites irakiens et iraniens, appuyés par l’artillerie et des chars. « Nous avons fait face à six assauts en douze heures », affirmait mardi soir un combattant rebelle.
Dans l’est de l’enclave, un tiers du quartier de Masaken Hanano, l’un des plus disputés de la ville, est désormais contrôlé par les forces gouvernementales. Sa prise permettrait au régime de « séparer le nord d’Alep-Est du reste » des secteurs assiégés, a souligné l’OSDH. Un combattant affilié à une brigade de l’Armée syrienne libre, joint sur la messagerie WhatsApp, a admis « que la stratégie du régime et de ses alliés était bien de transformer Alep en Ghouta [la région de Damas] ». Assiégés, pilonnés depuis des années et coupés les uns des autres, plusieurs bastions rebelles proches de la capitale syrienne se sont résolus à capituler ces derniers mois.
Maillon essentiel du dispositif militaire de Damas, le Hezbollah aurait renforcé ses positions dans la région d’Alep, même si la décision d’engager pleinement ses hommes dans une coûteuse bataille urbaine n’a pas été prise. Selon des sources proches du mouvement, relayées par la presse progouvernementale syrienne, le parti libanais reste dans l’expectative face à la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis et ses implications sur la politique israélienne à son égard.
« Génocide »
« Le temps est compté et nous menons une course contre la montre », a reconnu l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, en visite dimanche à Damas, estimant que la situation dans les quartiers rebelles de l’est d’Alep est toujours plus désespérée. Face à ce carnage continu et à la destruction systématique des hôpitaux, dénoncés comme des « actes atroces » par l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, la communauté internationale reste largement impuissante.
« Abdiquant leur leadership et leurs responsabilités, les Etats-Unis se rendent complices d’un des plus grands actes de génocide des temps modernes », a tweeté le sénateur et ancien candidat à la présidence américaine John McCain, qui n’a jamais ménagé son soutien à la révolution syrienne. Outre les bombes et la faim, et il y a désormais aussi une équation internationale clairement défavorable pour la rébellion anti-Assad.
Déjà réticents à toute forme d’engagement au-delà de la lutte contre l’Etat islamique, les Etats-Unis vont, après l’installation de Donald Trump à la Maison Blanche, se désintéresser encore plus d’un dossier syrien que le président élu compte bien gérer en accord – voire en sous-traitance – avec les Russes. Les deux autres soutiens occidentaux de la rébellion, la France, avec un François Hollande en fin de règne, et un Royaume-Uni empêtré dans le Brexit, sont impuissants. Le temps joue donc en faveur du régime et de ses alliés russes. Leur reconquête de l’est d’Alep n’aurait aucune conséquence opérationnelle pour la coalition engagée contre l’EI. Sa portée symbolique serait en revanche énorme, car la rébellion perdrait son dernier bastion dans une grande ville syrienne.
« Bonne mémoire »
Les Occidentaux essaient donc de maintenir la pression, au moins dans les mots, et notamment en dénonçant les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le régime. Devant le Conseil de sécurité, Samantha Power a nominalement mis en garde dix généraux et deux colonels syriens, responsables d’attaques contre des cibles civiles ou de tortures. « Ils doivent savoir que leurs exactions sont documentées et qu’un jour ils devront rendre des comptes », a lancé l’ambassadrice américaine rappelant que « les nations civilisées ont bonne mémoire ».
Moscou tente maintenant d’empocher les dividendes politiques de son intervention lancée en septembre 2015. Le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, accuse désormais l’envoyé spécial de l’ONU de « saboter » les négociations de Genève entre le régime et l’opposition pour une transition politique, affirmant que « les opposants patriotiques et le gouvernement syrien n’ont probablement pas d’autre choix que d’organiser eux-mêmes un dialogue intersyrien ».