TV : « Otages d’Arlit : pourquoi la France a retardé leur libération ? »
TV : « Otages d’Arlit : pourquoi la France a retardé leur libération ? »
Par Jacques Follorou
Notre choix du soir. Eclairante sur les dessous de la libération des Français enlevés au Niger, l’enquête d’« Envoyé Spécial » pèche par manque de recul (sur France 2 à 20 h 50)
Une enquête d’« Envoyé spécial » se penche sur les négociations ayant conduit à la libération des sept otages français enlevés, le 16 septembre 2010, par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) sur un site d’extraction d’uranium au Niger, puis déplacés au nord du Mali. Si une bonne part des éléments rapportés dans ce reportage étaient déjà connus, il a le mérite de réunir des témoins des deux principaux réseaux sollicités par les entreprises privées et l’Etat pour libérer ces otages.
D’un côté le plan A, porté par un ex-membre du service action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Jean-Marc Gadoullet, reconverti dans le privé et proche de son ancienne « maison », et donc de l’Etat. De l’autre, le plan B, incarné par Pierre-Antoine Lorenzi, à la tête d’une société de sécurité après qu’il eut travaillé auprès du directeur de la DGSE, proche du ministère de la défense. Les deux filières sont mandatées par l’Etat. La première permettra de faire libérer, en février 2011, trois premiers otages, dont Françoise Larribe. La seconde obtiendra, en octobre 2013, le retour des quatre derniers Français détenus.
Depuis, ces deux réseaux expriment un certain ressentiment, pour des questions d’argent. Jean-Marc Gadoullet, aujourd’hui engagé dans un litige commercial, considère qu’il a été injustement évincé d’une négociation et que ses services n’ont pas été rémunérés à leur juste valeur. Pierre-Antoine Lorenzi indique, pour sa part, que le refus du directeur de la DGSE de verser 3 millions d’euros en surplus de la rançon a conduit à la trahison des engagements pris vis-à-vis d’AQMI et des petites mains ayant participé à la libération des otages, ce qui l’a mis en danger.
Si le récit de ces bisbilles est éclairant, les déductions faites par les auteurs de l’enquête le sont beaucoup moins. L’enquête, intitulée « Otages d’Arlit : pourquoi la France a retardé leur libération ? », conclut que la multiplication des filières de négociation avec AQMI a prolongé la durée de détention. Elle accuse également le chef d’état-major particulier du chef de l’Etat, sous les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, d’avoir sciemment bloqué la libération d’un otage d’Arlit.
Point de vue émotionnel
Pour convaincre, à ce stade de l’enquête, il aurait été utile de prendre du recul et de mettre en perspective la politique française en matière de paiement des rançons et de se défaire du seul point de vue émotionnel, certes légitime, des familles d’otages, ou de prendre trop à son compte les règlements de comptes entre réseaux concurrents. Est-ce manquer à ses responsabilités que de refuser de céder à un chantage outrancier des preneurs d’otages ? Les auteurs de l’enquête semblent considérer qu’il est normal que la France accepte de payer 12, 30, 40 voire 90 millions d’euros pour libérer ses ressortissants.
Marc Feret à son retour en France le 30 octobre 2013. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Refuser de payer un prix fort pour un seul otage sur les quatre restants, comme cela est reproché dans le reportage, n’est-ce pas, au contraire, tenter de protéger ses ressortissants à travers le monde en faisant savoir que les Français ne sont pas « des banques sur pattes » comme l’avait formulé Bernard Kouchner en 2013. Par ailleurs, à la même époque, Paris était sous une forte pression de l’ONU, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne pour qu’il soit mis fin au paiement de rançons à travers le monde. Une pratique qui retardait, disait Washington, l’implication militaire de la France au Sahel face aux djihadistes et qui devenait absurde, à partir du 11 janvier 2013, date de l’intervention au sol dans le nord du Mali, puisque cela revenait à financer ceux qui tiraient sur les soldats français.