« Si t’aimes le sucré, l’autre préfère le salé, ben l’autre t’impose pas le salé, il te propose un poulet-ananas. » Maud Bettina-Marie et Juliette Tresanini sont devenues, depuis l’ouverture de leur chaîne YouTube « Parlons peu, parlons cul(ture) ! », en septembre 2015, les reines de la métaphore. Ici, elles expliquent à « Nico » ce qu’est « un bon coup ». Pas « un ténor du plumard », pas non plus nécessairement « un beau brun ténébreux à l’aise en slip », ou quelqu’un qui « dit oui à tout ».

Être un bon coup (feat. SOPHIE/MEUFISME - NICOLAS BERNO) - Parlons peu, Parlons Cul
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Les deux humoristes et comédiennes, autoproclamées « fille très sympa » et « experte en tout », décryptent chaque mois dans leurs sketchs plusieurs questions autour de la sexualité.

Leurs vidéos sur la fellation, le point G, la masturbation féminine ou les sextapes ont été vues sur YouTube plus de 36 millions de fois. Elles se hissent ainsi à la première place du podium des Françaises spécialisées dans l’éducation sexuelle, juste devant Léa Choue, Clemity Jane ou Sexpédition (et derrière la prêtresse de la catégorie, l’Américaine Laci Green et ses 139 millions de vues).

« Des ados dont le seul modèle était YouPorn »

Juliette Tresanini et Maud Bettina-Marie se sont rencontrées il y a cinq ans, sur le tournage de la série Bref. L’une jouait la petite amie, l’autre l’ex d’un même protagoniste. Une espèce de coup de foudre amical. Très vite, elles veulent travailler ensemble, et se décident à « parler peu, parler cul ».

« On se disait qu’il y avait vraiment un sujet. Parce que souvent, c’était affreusement tabou, limite “sale” de parler du corps de la femme, ou de la sexualité en général, alors qu’il n’y a aucune vulgarité là-dedans, tant qu’on en parle avec de jolies valeurs et des messages chouettes. On tombait aussi sur des ados dont le seul modèle était YouPorn. »

La faute au « manque d’intermédiaire », selon Juliette. De son côté, elle comprend qu’il ne soit pas toujours facile de parler de sexualité à un adolescent, que l’on soit ses parents… ou pas.

« J’avais une prof de biologie qui avait essayé de nous expliquer comment mettre un préservatif, se souvient-elle. Elle faisait ça avec tellement de maladresse et de gêne que ça en devenait malheureusement presque grotesque. En plus ça collait aux doigts, tout le monde rigolait, on avait l’impression d’assister à quelque chose de bizarre, et, du coup, ce n’était pas très utile. » Résultat, son éducation sexuelle, l’humoriste l’a surtout forgée en écoutant l’émission radio de Difool sur le sujet, le soir après l’école.

Le succès des vidéos en chinois et en arabe

Ailleurs qu’en France, les vidéos sur l’éducation sexuelle font aussi recette. En Chine par exemple, on trouve sur le YouTube local, Youku, de tels contenus en version animée. « D’où viennent les bébés ? » ; « Qu’est-ce que les poils pubiens ? » ; « Que faire en cas de grossesse non désirée ? » ; « Comment choisir sa pilule ? » ; « La masturbation masculine est-elle nocive ? » sont autant de questions que se posent les internautes, et qui trouvent ici une réponse.

La plus populaire de ces explications tracées à main levée comptabilise à elle seule 7 millions de vues. Un succès qui, selon Joanna Herat, chargée des questions liées à l’éducation pour la santé à l’Unesco, n’aurait pas grand-chose d’étonnant.

Elle explique que la Chine fait partie des nombreux pays dans lesquels aborder le thème de la sexualité à l’école reste rare. « Il y a des cours dans le programme, mais c’est uniquement centré sur l’aspect biologique, regrette-t-elle. Ce n’est pas un cursus complet et bien défini, au sens où on pourrait l’entendre en Europe. » Elle poursuit :

« Je dirais que dans les pays arabophones, c’est encore plus compliqué. Dans certains d’entre eux, on stigmatise beaucoup les gens qui ont des relations sexuelles avant le mariage. Les adultes disent que les adolescents [n’en] ont pas le droit, soit parce que cela va à l’encontre de leurs normes culturelles, morales ou religieuses, soit parce qu’ils sont persuadés que ça n’arrive pas, de toute façon. Or, si l’on regarde certaines données comme l’âge moyen de la première relation sexuelle, ou le nombre de jeunes filles qui tombent enceintes, on se rend vite compte que si. »

« Ils vous traitent de salope, ensuite ils écoutent »

Alyaa Gad, une docteure égyptienne de 47 ans qui vit aujourd’hui à Zurich (Suisse), a grandi avec ce « tabou », et les peurs qui vont avec. A 14 ans, elle se souvient par exemple avoir embrassé un garçon sur la joue, et s’être, pendant un an, demandé à s’en ronger les sangs si elle n’allait pas tomber enceinte à cause de cela. Elle venait pourtant d’une famille qu’elle décrit comme « très éduquée ».

Lorsqu’elle a ouvert, il y a six ans, sa chaîne YouTube en arabe sur la santé, Alyaa Gad s’est vite retrouvée plongée à nouveau dans ce puits de questionnements. « Quatre-vingt-dix-neuf questions sur cent que j’ai reçues portaient sur la sexualité », se remémore-t-elle. Tout naturellement, elle s’est mise à y répondre. Avec pour seul mantra : « D’abord ils vous ignorent ; ensuite ils rient de vous ; puis ils vous traitent de salope ; enfin, ils écoutent et apprennent. »

Endometriosis بطانة الرحم المهاجرة
Durée : 04:28

Après les réactions « négatives » ou « enragées » du début, les insultes par centaines…, la médecin, grâce à son ton professionnel et avec ses schémas, inspire aujourd’hui une certaine confiance. « Un parfait inconnu pourrait m’arrêter dans un centre commercial de Dubaï ou de Bahreïn pour me poser la question la plus embarrassante qui soit sur sa sexualité », plaisante Alyaa Gad.

Son public ? Majoritairement des jeunes de 20 ans venant d’Egypte, d’Arabie saoudite, du Maroc, d’Irak ou d’Algérie, soit 44 millions de vues au total.

Des contenus d’une « indécente exubérance »

Même s’il est probable que Joanna Herat ne doute pas de la qualité des vidéos d’Alyaa Gad, elle met en garde contre certains contenus. « Comme pour toute vidéo sur Internet », il faudrait, selon elle, se montrer vigilant :

« Il est clair que des vidéos postées en ligne peuvent être un très bon moyen d’information. Mais il faut que ce soit de la qualité. Suivant les pays, ça peut devenir difficile pour un jeune de 15 ans de savoir si ce qu’il regarde sur Internet est fiable, et il ne le fera pas forcément. »

Cette réserve n’est pas sans rappeler un article publié dans le New York Times en septembre 2016. La journaliste Amanda Hess s’y offusque de ces « reines de l’éducation sexuelle sur YouTube », qui n’ont « pas besoin d’un doctorat ». Elle qualifie ces « filles lambda » qui se filment dans leur dortoir et bâtissent un empire en « érigeant en modèle un niveau de libération sexuelle que les abonnés ne peuvent atteindre eux-mêmes », d’« amatrices », produisant des contenus « voyeuristes » et d’une « indécente exubérance ».

Dérapages contrôlés

Dans les faits, les dérapages sont rares. On se souviendra tout de même d’une vidéo publiée par Kelly Angelini, qui avait à l’époque KayEhHey pour pseudonyme. La jeune femme, plutôt d’ordinaire spécialisée lifestyle ou maquillage, avait partagé sa vision toute particulière de « la première fois », et de comment la réussir.

Avec une pudeur outrancière, sans jamais prononcer le mot « sexe », elle racontait comment les filles devaient rester « classiques et sophistiquées » sans être « too much », ne pas transpirer parce que « ça fout la honte ». Comment leur hygiène était plus importante que celle de leur partenaire pour garder « cette image de princesse ». Ou encore, comment il fallait s’épiler pour ne pas « dégoûter et gâcher l’instant ».

Le consentement se cachait derrière un maladroit « quand y a envie, ça facilite la chose », et la conclusion, elle, était toute trouvée : « Il faut se faire violence » pour que ça passe.

Consciente de ses erreurs, la youtubeuse s’était ensuite excusée, et avait supprimé la vidéo de sa chaîne.

PREMIÈRE FOIS AVEC UN GARÇON : EXPLICATIONS
Durée : 08:38

Pas profs, mais responsables

Pour la plupart des youtubeuses qui parlent d’éducation sexuelle, le sujet est pris très au sérieux, même lorsqu’il est abordé avec humour. Juliette Tresanini et Maud Bettina-Marie, les deux copines rigolotes de la websérie Parlons peu, parlons cul(ture) !, nous confiaient lire des magazines de santé, aller à des conférences de sexologie, en écouter d’autres, aller voir des médecins, leur demander des documents, voire les inviter en vidéo.

« On n’est pas profs, concède Juliette Tresanini, mais clairement, si au départ on ne faisait que des choses qui nous font rire, on a vite pris conscience de la responsabilité qu’on avait vis-à-vis de notre communauté. »

Par souci du détail, et goût du réalisme, quelques éducateurs sexuels de YouTube vont encore plus loin. Souvent décriées, les vidéos d’une Norvégienne mettent ainsi en scène de vrais modèles, avec de vrais pénis. Les images en question squattent YouTube depuis un an, et la plate-forme, elle, n’y voit a priori rien à redire. Les contenus à caractère sexuel ou la nudité sont en effet autorisés, dès lors qu’ils ne sont pas choquants et, surtout, qu’ils ont une visée éducative.

A noter dans le cas présent, une limitation d’âge a toutefois été posée. Il faut donc avoir 18 ans ou plus pour comprendre comment son corps évolue… pendant la puberté.