En Ethiopie, la colère des familles qui pleurent leurs proches ensevelis sous une montagne d’ordures
En Ethiopie, la colère des familles qui pleurent leurs proches ensevelis sous une montagne d’ordures
Par Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
A Koshe, dans la banlieue d’Addis-Abeba, un pan entier des trente hectares de la plus grande décharge du pays s’est effondré, tuant au moins 65 personnes.
Quand Baye est rentré du travail ce soir-là, il n’avait plus rien. Plus de maison, plus de femme. Un seul de ses trois enfants a réussi à s’enfuir en courant lors du gigantesque éboulement d’ordures qui a eu lieu, samedi 11 mars, dans la plus grande décharge d’Ethiopie, en périphérie de la capitale, Addis-Abeba. Les deux autres ont été tués avec plusieurs dizaines d’habitants.
Selon le dernier bilan officiel donné lundi, au moins 65 personnes sont mortes et des dizaines d’autres blessées. « Des habitations ont été ensevelies sous les déchets, les gens étaient chez eux », explique Tsegue, un habitant qui n’a pas souhaité donner son vrai prénom. Un flanc de la montagne de détritus s’est détaché dans la soirée, emportant des dizaines de baraques de fortune faites de bois, de tôle et recouvertes de bâches.
La famille de Tsegue, un trentenaire corpulent, est saine et sauve, mais son meilleur ami a perdu deux enfants. Son visage se rembrunit quand il évoque cette dizaine d’élèves de l’école primaire qui révisaient ensemble dans la même maison. Aucun n’a survécu. Ou cette famille de neuf personnes décimée par l’avalanche d’ordures, dont les causes ne sont pas encore déterminées.
Centrale au biogaz
Non loin de la décharge au-dessus de laquelle tournoient les oiseaux, certains habitants se recueillent sous une tente, et des pleureuses gémissent. « Enat, enat ! », crie une jeune fille, réclamant sa mère en amharique, l’une des langues éthiopiennes. A côté d’elle, des femmes dansent, se cognent la poitrine et brandissent la photo encadrée d’un enfant, d’un parent, d’un ami.
Dans le quartier Koshe, les habitants sont tristes, et en colère. « Ce sont des gens qui vivent ici, pas des pierres sur lesquelles on peut jeter ses ordures », crache une mère de famille. « On a demandé au gouvernement d’arrêter de déverser les déchets ici, ils ont arrêté pendant un moment et puis ils ont recommencé », raconte Tsegue, dégoûté.
Ce dépotoir complètement saturé d’ordures, vieux de cinquante ans, était censé fermer au profit d’une nouvelle décharge à Sendafa, dans la région Oromia. Mais le projet, soutenu financièrement par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), est au point mort : en 2016, alors que des manifestations antigouvernementales secouaient le pays, des contestataires ont bloqué les camions-bennes et protesté contre le projet.
C’est donc dans la décharge de Koshe, qui s’étend sur une trentaine d’hectares, que des tonnes et des tonnes de détritus des 4 millions d’habitants de la capitale ont continué d’être déversés. « Ils auraient pu construire un mur de béton pour retenir les ordures », lâche un résident. Mais le chantier entrepris par la municipalité d’Addis-Abeba – et toujours en construction – consistait plutôt à bâtir une centrale au biogaz exploitant les déchets.
Trier les ordures pour gagner trois sous
« Nous avons essayé de les faire déménager de nombreuses fois », explique au Monde Afrique Dagmawit Moges, porte-parole de la municipalité. Ce que ces familles extrêmement pauvres n’ont pas fait. « Ils ne voulaient pas car ils considèrent que leur vie est directement liée aux déchets », poursuit-elle. Les travailleurs informels triant les ordures pour gagner trois sous sont nombreux parmi les victimes. « On nous avait dit qu’on nous relogerait, mais rien n’a été fait », lâche un père de famille, ajoutant qu’il ne pouvait se permettre d’habiter ailleurs.
Recherche des corps des victimes de l’éboulement d’ordures sur la décharge de Koshe, en banlieue d’Addis-Abeba, le 13 mars 2017. | Tiksa Negeri/REUTERS
Il devra pourtant déménager. Les habitations de la décharge sont désormais vides. La police interdit aux badauds de se rendre sur le lieu de l’éboulement. Pour ne pas perturber le travail de fouille, dit un agent. Les pelleteuses continuent de soulever des tas d’ordures pour tenter de retrouver des corps. Michael, la vingtaine trapue, les cheveux frisés, a donné un coup de main en transportant « beaucoup beaucoup » de corps dimanche, dit-il, et un lundi matin. « Il y a encore beaucoup de gens là-bas », pense une grand-mère à la mâchoire tatouée. Les familles des victimes identifiées, elles, n’ont pas encore récupéré les corps.
Tous les résidents qui vivaient sur la décharge devraient être prochainement réinstallés ailleurs. La porte-parole de la municipalité d’Addis-Abeba précise que près de 300 personnes à risque l’ont déjà été dans un refuge du quartier. « Il n’y a plus personne qui vit là-bas maintenant, lâche un adolescent sur un ton ironique en jetant un regard vers le dépotoir. Enfin, sauf ceux qui sont encore enterrés… » Pour beaucoup, les travaux d’excavation ne font que commencer.