L’européen Galileo achète l’Institut supérieur de management de Dakar « pour un projet panafricain »
L’européen Galileo achète l’Institut supérieur de management de Dakar « pour un projet panafricain »
Propos recueillis par Salma Niasse (contributrice Le Monde Afrique, Dakar)
L’ISM, qui fête ses vingt-cinq ans d’existence, s’associe au leader du marché européen de l’éducation pour booster son développement continental.
Cérémonie de remise de diplômes de l’Institut supérieur de management de Dakar (ISM). | CHRYS JEAN 2015/ISM
Pour ses vingt-cinq ans fin janvier, l’Institut supérieur de management (ISM) de Dakar a fait les choses en grand. L’école privée, qui a formé depuis sa fondation par Amadou Diaw en 1992 près de 20 000 étudiants dans les domaines du management, du droit des affaires ou de l’informatique, a officiellement ouvert son capital à Galileo Global Education (GGE), propriété du fonds d’investissement américain Providence Equity Partners. Galileo aurait ainsi acquis 65 % du groupe ISM. Un mariage célébré en grande pompe au Grand Théâtre de Dakar.
Leader européen du marché de l’éducation, troisième au rang mondial, Galileo Global Education compte plusieurs dizaines d’écoles parmi lesquelles le prestigieux Cours Florent à Paris, Bruxelles et Montpellier, la Paris School of Business ou encore l’Institut supérieur des arts appliqués (Lisaa) dans cinq villes françaises. Et si le groupe a choisi le Sénégal comme porte d’entrée en Afrique, c’est parce que l’enseignement supérieur privé y connaît une ascension fulgurante avec près de deux cents écoles.
Sureffectifs dans les amphithéâtres des universités publiques, déficit de professeurs, insuffisance du budget alloué : même l’Etat, en proie à la crise, envoie ses bacheliers vers le privé. Selon Mamadou Ngingue, président de la Conférence des établissements privés d’enseignement supérieur, entre 40 000 et 45 000 étudiants sénégalais, soit près de 40 % de l’effectif, sont aujourd’hui inscrits à des formations privées, qui attirent notamment en raison de leur ouverture à l’international.
Rencontre croisée à Saint-Louis entre Amadou Diaw et Marc-François Mignot-Mahon, entrepreneur sénégalais et président de Galileo.
Pourquoi l’ISM, qui se décrit comme une école africaine, n’a pas cherché des investisseurs africains ? Pourquoi Galileo n’a-t-il pas préféré une école française implantée au Sénégal ?
Marc-François Mignot-Mahon Notre stratégie est différente. On est plutôt partisan de trouver des partenaires qui appartiennent au territoire, en l’occurrence l’ISM en Afrique, plutôt que d’exporter des écoles européennes en Afrique. Je comprends l’idée de prendre des étudiants français, de les emmener en Afrique avec des professeurs français, mais ce n’est pas la nôtre. Chez GGE, on veut proposer à nos étudiants un semestre ou une année d’études à Dakar, dans une école africaine. Sinon, nous ne sommes pas certains que la valeur ajoutée soit la même. Avoir une expérience multiculturelle, c’est aller s’immerger dans la culture de l’autre !
Amadou Diaw De notre côté, il ne s’agissait pas spécifiquement d’un besoin d’argent. Au-delà de ça, il y a une expertise, des méthodes et des outils. Parmi les fonds qui investissent dans l’éducation et qui nous ont approchés, il n’y avait pas de véritable opérateur dans le secteur de l’éducation, sauf Galileo.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
M.-F. M.-M. Un ami commun nous a présentés en septembre 2016 à Dakar. Nous savions qu’Amadou Diaw discutait depuis longtemps avec d’autres. Nous étions convaincus, parce que nous connaissions déjà bien l’ISM. Quand j’ai revu Amadou Diaw, nous avons écrit à deux le projet sur une page. On ne s’en est pas écartés.
A. D. J’ai appelé mon avocat le lendemain matin. Il m’a conseillé de comparer avec deux ou trois autres candidats, mais je lui ai dit : « Non, c’est ça que je veux ! »
Quel est le montant de cette entrée dans le capital ?
M.-F. M.-M. Les clauses de confidentialité ne nous permettent pas d’en parler. Galileo est majoritaire, mais a maintenu Amadou Diaw comme associé et ce sur dix ans minimum. Cela arrive rarement. Dans le secteur, ce genre de contrat porte en général sur trois à six ans.
A. D. Ah non, pas dix ans ! Pour moi, c’est pour la vie ! (Rires.)
Les programmes de l’ISM ont une dimension panafricaniste. L’arrivée de Galileo va-t-elle changer la donne ?
M.-F. M.-M. C’est même le contraire ! On s’est associés pour un projet panafricain. Et on va s’appuyer sur l’association des anciens élèves de l’ISM pour déclencher les opportunités entrepreneuriales. Nous allons voir avec tout ce réseau sur quels territoires on peut déployer l’école.
A. D. Il y a une âme ISM et cela ne doit pas changer. Ce sont les garanties sur le plan académique et universitaire. C’est la touche africaine qui leur a plu. Galileo possède beaucoup d’écoles de design, d’art, de culture.
Quels sont vos projets à venir ?
M.-F. M.-M. On va organiser un campus à Dakar dont l’ISM sera propriétaire. On va ouvrir l’ISM digital, en double diplôme avec les meilleures écoles européennes du secteur qui sont dans notre groupe, mais aussi l’ISM design, pour 2018. Au niveau du continent, on va identifier les managers, les besoins et les territoires. Il y a une chose que j’ai apprise en travaillant en Afrique, c’est que nous, nous ne savons pas. On s’est donc associés avec des gens qui savent.
A. D. C’est cette forme de modestie qui nous a frappés chez Galileo, parce qu’en vérité, Marc-François Mignot-Mahon connaît bien l’Afrique. De notre côté, nous avions des besoins organisationnels, après vingt-cinq ans dans une entreprise où il n’y avait qu’un seul actionnaire. Après l’assise nationale, la vocation internationale. Cela passe par les étudiants qui viennent de partout, par les professeurs, puisque, très tôt, j’ai veillé à ce qu’il y ait parmi eux des Ivoiriens, des Béninois, des Chinois.
Les frais de scolarité annuels d’environ 1 500 euros vont-ils augmenter ?
M.-F. M.-M. Nous sommes sensibles à la mission sociale qui a été portée par Amadou Diaw. Donc l’objectif n’est pas d’agir sur les tarifs. Notre positionnement, ce n’est ni l’excellence discriminatoire avec études à plusieurs dizaines de millions de francs CFA par an, ni l’éducation de masse à bas coût. On se situe dans une pédagogie de qualité. Cela a un prix et des rendements modérés, en général inférieurs à 10 %. Le deuxième procédé est d’ouvrir une fondation qui va prolonger le geste d’Amadou Diaw en matière de bourses d’études, afin que davantage de jeunes puissent intégrer l’ISM.
Pourtant, les prix du master et du bachelor sont indistincts à l’ISM, quelles que soient les disciplines. C’est économiquement non viable. Partout dans le monde, il y a une distinction des prix suivant les années et les disciplines enseignées. Avec le temps, l’objectif est de trouver un point d’équilibre sans changer les règles du jeu. Ceux qui sont entrés ne doivent pas avoir de variation de prix.
Quels sont vos axes de développement ?
A. D. Nous avons déjà une activité dans le primaire et le secondaire. Aujourd’hui, nos cinq lycées figurent sur la liste des dix premiers du pays. Je suis convaincu que cela peut être un élément fort si nous voulons nous développer à l’intérieur des pays et des villes secondaires, en accord avec nos objectifs qui sont d’accompagner les ressources humaines du continent depuis la base.
M.-F. M.-M. Nous ne sommes pas des experts du marché africain. Si c’est un projet construit, on amènera des moyens et on accompagnera l’ISM.
La faiblesse de l’enseignement public au Sénégal a-t-elle été une aubaine ?
M.-F. M.-M. Je ne le formulerai pas ainsi. Nous allons où nous sommes utiles, en conciliant le développement économique et la mission d’intérêt général. L’éducation n’est pas un business comme un autre, parce qu’on transforme la vie des autres. On a donc de fortes responsabilités.
A. D. Nous essayons de faire en sorte que [cette faiblesse] s’atténue. Lorsque j’ai commencé en 1992, il y avait déjà une crise. A l’époque, il y avait 25 000 étudiants dans le public et l’ISM avait une classe de 25 personnes et j’étais seul sur le marché. Aujourd’hui, plus d’un tiers des élèves du supérieur sont dans le privé. Ce qui fait ma fierté, d’ailleurs.
La crise est toujours là et n’est bonne pour personne. Je collabore autant que je peux avec les ministres de l’enseignement supérieur parce que je suis convaincu que le développement de l’enseignement privé, l’introduction d’outils et méthodes pédagogiques ont permis de résorber bien des problèmes du public. Et le public a une expertise, par exemple dans le domaine de la recherche, qui nous sert. il faut établir davantage de synergies.