Intelligences des villes et santé
Intelligences des villes et santé
Par Francis Pisani
Nous nous demandons tous comment une ville intelligente peut améliorer les conditions de vie de ses habitants. Ce qui se passe dans le domaine de la santé permet d’y voir plus clair.
Homme vert indiquant que l'on peut traverser une rue. Image Flickr de Dominic ALves. CC BY 2.0 | https://www.flickr.com/photos/dominicspics/3992106452
Première réflexion évidente même si elle est souvent ignorée, l’ère de l’urbanisation massive dans laquelle nous sommes est une vraie menace pour la santé pour au moins deux raisons :
- · Elle est productrice d’agressions (comme la pollution), de stress (comme la circulation) et d’inégalités. Aussi estime-t-on aujourd’hui à un milliard le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles… insalubres, presque par définition.
- · Les services de santé, indépendamment de leurs avatars liés aux multiples tentatives ou expériences de privatisation et aux réductions des budgets des États et des territoires partout dans le monde, ont le plus grand mal à suivre le rythme même de l’urbanisation. Même si certaines villes commencent à sérieusement limiter le droit de fumer (Pékin et Shanghai), à imposer les boissons sucrées (Mexico) ou à limiter le sel dans le pain pour contenir la tension artérielle (Koweït).
Villes intelligentes et santé
La question est donc : les efforts pour les rendre les villes intelligentes contribuent-ils à améliorer la condition sanitaire de leurs habitants ?
En quoi les technologies peuvent-elles aider ?
Prenons quelques exemples.
- · La possibilité de communiquer d’un smartphone par vidéo permet aux médecins de « voir » leurs patients « à domicile » plus fréquemment. Établie à Nashville dans le Tennessee, la société Dose Helathcare permet aux patients de s’offrir une visite virtuelle de leur médecin qui peut même leur faire parvenir les médicaments dont ils ont besoin.
- · À Dubaï, l’application E-Etermenan (assurance en arabe) pour le suivi des maladies non contagieuses devrait permettre d’offrir un service « préventif, prédictif, personnalisé et participatif » et d’économiser 500 millions d’euros en traitement du diabète, des maladies cardiovasculaires et de dépistage du cancer du côlon.
- · À Singapour (qui a une des populations les plus âgées du monde), les plus de 60 ans bénéficient d’une carte spéciale appelée Green Man + qui leur permet de traverser une rue en prenant plus de temps.
- · C’est aussi dans cette ville que Selene Chew, une jeune chercheuse, a développé une canne intelligente pour aveugles (BlindSpot). Elle leur permet de communiquer avec leur environnement social et physique pour se déplacer moins dangereusement.
- · Même les nouveaux matériaux de construction peuvent contribuer à améliorer la santé des citadins, comme le promet le projet d’immeubles « avaleurs de pollution » qui devraient voir le jour à Prague, en République tchèque, l’an prochain.
- · De façon plus ambitieuse, les données peuvent être mises à profit. Cela va d’un recours accru de la digitalisation du suivi médical au séquençage génomique pour obtenir des traitements totalement personnalisés, entre autres.
- · Mais, comme toujours, il est vital de bien évaluer les risques que l’on encoure en matière d’exposition des données personnelles.
Gardons-nous cependant d’aller trop loin trop vite dans la mesure où, par exemple, les différents gadgets qui permettent de relever en permanence les données relatives à nos activités physiques ne semblent pas donner les résultats escomptés. En tout cas, les utilisateurs semblent les abandonner au bout de quelques mois.
Développement durable et participation
Les villes, cependant, ne tirent pas seulement leur intelligence de la connectivité. La volonté de plus en plus répandue d’assurer un développement urbain durable y contribue tout autant.
- Deux des dimensions les plus prometteuses sont :
- · La détection de la contamination à laquelle peuvent contribuer les téléphones, les capteurs disposés en de multiples endroits ou même les voitures de Google chargées de prendre les images de « Street View », sont capables, depuis peu, de détecter les fuites de méthane.
- · À côté du recours croissant aux énergies renouvelables, la recherche de l’efficacité énergétique permet de réduire à des coûts raisonnables la consommation d’énergie, en isolant mieux les bâtiments ou en mutualisant les techniques de réchauffement et de refroidissement au niveau du quartier, par exemple.
C’est ainsi que nous arrivons à la troisième dimension indiscutable de la ville intelligente : la participation citoyenne et son impact sur la santé.
- · Copenhague est un bel exemple d’une ville qui prend de plus en plus en compte la santé de tous grâce à la participation de tous. Un des responsables du plan ambitieux mis en place par les autorités explique que « pour que les programmes de santé soient réellement efficaces, il faut établir des partenariats avec la société civile, les employeurs et les individus ». Les citoyens les plus exposés aux risques sont ceux qui, venant d’ailleurs, ont un problème de langue, d’où la mise en place de programmes multilingues.
- · L’agriculture urbaine, source (encore modeste) d’économies sur le transport des aliments, pousse les citadins à un minimum d’exercices physiques et favorsie le lien social dans les jardins partagés. Cela peut se faire sans le moindre recours à la connectivité, même si cette dernière peut aider pour la prise de rendez-vous ou l’organisation de réunions collectives.
Nous insistons depuis longtemps sur le fait que doter les villes de plus d’intelligence est un processus. Au point d’affirmer qu’il n’y a pas de « ville intelligente » mais des agglomérations urbaines qui font de considérables efforts pour le devenir, grâce à des projets du type de ceux que nous récompensons dans les Prix de l’innovation Le Monde-Smart Cities qui seront remis ce vendredi à Lyon.
Le consensus est maintenant que ces efforts impliquent des stratégies de développement durable et la participation citoyenne.
Villes inclusives et ouvertes
Pour qu’une ville participe à l’amélioration de la santé de ses habitants, il faut aussi qu’elle soit inclusive et ouverte. Inclusive au sens où elle lutte contre les inégalités et fait participer tout le monde à l’amélioration des services, comme le montre l’exemple de Copenhague cité plus haut. C’est indispensable si l’on songe que 100 millions de personnes deviennent plus pauvres chaque année. Ouverte à ceux qui arrivent de l’extérieur et que nous avons toujours intérêt à bien accueillir. C’est bien pour cela qu’un grand nombre de municipalités américaines s’opposent à la politique de Donald Trump visant à chasser les sans-papiers. La ville de Hambourg, à l’opposé, s’est organisée – grâce à la participation citoyenne – pour accueillir de façon apaisée des dizaines de milliers de migrants comme l’explique ce reportage du Monde.
De même qu’il n’y a pas de ville intelligente mais des processus pour les rendre plus intelligentes, il n’y a pas une seule forme d’intelligence urbaine, elles sont toutes indispensables : la connectivité, le développement durable, la participation citoyenne, la réduction des inégalités et l’ouverture.
Comment en serait-il autrement puisqu’on distingue au moins neuf types d’intelligence humaine.