Sur les réseaux sociaux, les chiffres très gonflés de la candidature olympique de Los Angeles
Sur les réseaux sociaux, les chiffres très gonflés de la candidature olympique de Los Angeles
En deux mois, le nombre d’abonnés de la page Facebook de LA2024 a été multiplié par cinq. De nombreux indices pointent vers un achat de « fans ».
Le bandeau de la page Facebook soutenant la candidature de Los Angeles aux Jeux olympiques de 2024. | LA-2024
Avec plus d’un million de personnes qui « likent » sa page Facebook, la candidature de Los Angeles aux Jeux olympiques de 2024 semble, au moins sur les réseaux sociaux, avoir pris un temps d’avance sur celle de Paris avec ses 235 000 abonnés. Mais dans le détail, de nombreux éléments jettent le doute sur la « sincérité » des fans de Los Angeles : plusieurs études publiées ces derniers jours montrent qu’une bonne partie des abonnés de LA2024 ont en réalité été achetés.
La pratique est connue, et plutôt ancienne : pour des tarifs variant de quelques centaines d’euros à plusieurs centaines de milliers, des entreprises spécialisées proposent d’augmenter artificiellement le nombre d’abonnés d’une page sur Facebook, Twitter ou YouTube, soit en utilisant des comptes automatisés, soit en tirant partie d’un réseau d’abonnés humains via une petite application.
Mais si la technique est simple à mettre en place, elle est aussi très visible : comme le note le chercheur Nicolas Vanderbiest, l’un des premiers à avoir remarqué des anomalies sur les comptes de LA2024, ce dernier a crû de manière exponentielle dans un laps de temps très court : plus de 700 000 inscrits supplémentaires ont rejoint sa page Facebook en l’espace de six semaines, à partir de février – en l’espace de deux mois, l’audience de la page a été multipliée par cinq. Une analyse détaillée de la courbe de croissance, réalisée par l’entreprise spécialisée SocialBakers et que le Monde a pu consulter, montre que l’essentiel de la croissance a eu lieu en l’espace de quinze jours – durant les deux dernières semaines de février, LA2024 a engrangé environ 400 000 fans.
« Fans » au Pakistan et au Népal
Par ailleurs, l’analyse détaillée de la provenance des comptes montre que cette croissance ne peut être « naturelle ». Principalement parce que la quasi-totalité des nouveaux fans proviennent d’une poignée de pays : Bangladesh, Pakistan, Népal, Indonésie – autant de pays qui ne comptaient quasiment aucun fan de LA2024 auparavant. En comparaison, toujours selon les chiffres collectés par SocialBakers, la quasi-totalité des fans de Paris2024 à la même période proviennent de France, auxquels s’ajoutent quelques nouveaux inscrits vivant dans des pays proches – Algérie et Tunisie, puis Brésil et Egypte.
Autre indice tendant à montrer que la page de Los Angeles accueille des « fans » fort peu intéressés par la candidature californienne, le nombre de réactions et de partages de LA2024 n’ont que peu augmenté, malgré l’explosion de son nombre de fans. Malgré son nombre de fans supérieur, le post le plus populaire de Los Angeles depuis janvier 2016, la publication du logo de la candidature, n’a recueilli que 120 commentaires et 674 partages. La vidéo de promotion de la candidature parisienne a, elle, recueilli plus de 700 commentaires et pus de 12 000 partages. En moyenne, calcule Socialbakers, les fans de Paris interagissent davantage avec la page de candidature que leurs homologues suivant Los Angeles.
L’analyse détaillée des chiffres laisse peu de doute sur le fait que des fans de LA2024 aient été achetés, et de manière massive. Le compte Twitter de Los Angles 2024 a lui aussi connu un important pic d’abonnements, avec un quart de « followers » s’y étant abonnés au cours du mois écoulé, comme le note Nicolas Vanderbiest. Surtout, si les achats de fans sont par nature plutôt visibles, il est beaucoup plus complexe de prouver qui les a achetés, puisque n’importe qui peut acheter des fans pour un tiers. Par le passé, des cas d’entreprises ou de candidats politiques achetant des fans pour leurs concurrents et adversaires, afin de les dénoncer pour « tricherie », ont déjà existé. Une possibilité à laquelle Los Angeles a discrètement fait allusion, expliquant dans un entretien à l’AFP qu’il « n’est pas surprenant que cette histoire vienne à l’origine de Paris », après la publication de plusieurs articles dans les médias français.
En théorie, le CIO tient compte du soutien populaire
Dans le même entretien, le comité de candidature de Los Angeles s’est défendu en expliquant que « toute la campagne de publicité sur Facebook a été achetée directement à travers Facebook », et que « la publicité sur Facebook est plus efficace dans les pays où il y a moins de concurrence de la part d’autres marques ». « Les membres du CIO qui voteront [pour l’attribution des JO 2024] se trouvent en dehors des Etats-Unis, notamment au Pakistan », souligne encore le comité de candidature, qui ajoute avoir fait « très peu de promotion sur Facebook aux Etats-Unis depuis le début de la campagne à l’international le 3 février ». Des arguments discutables, en regard de l’ampleur de la croissance des pages. D’autant que la page de Los Angeles publie exclusivement des messages en anglais, langue qui est courante au Bangladesh et au Népal mais qui n’est parlée que par une minorité de la population au Pakistan et en Indonésie.
Pour l’attribution des Jeux, le CIO tient théoriquement compte du soutien populaire dans les pays candidats, élément difficile à mesurer en dehors de sondages. Mais il semble peu probable que le nombre de fans d’une page soit un élément de nature à emporter une décision.