« L’UE croise les doigts pour que Macron, qui apparaît comme le seul proeuropéen, l’emporte »
« L’UE croise les doigts pour que Macron, qui apparaît comme le seul proeuropéen, l’emporte »
Nos correspondants à Berlin, Bruxelles, Londres et Rome ont répondu à vos questions sur la perception de la campagne présidentielle française en Europe.
Emmanuel Macron, Talence (Gironde) le 9 mars 2017. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE
Nos correspondants à Berlin, Bruxelles, Londres et Rome ont répondu à vos questions sur la perception de la campagne présidentielle française en Europe.
TheAndroid : Y a-t-il des gouvernements européens ayant clairement indiqué leur soutien pour tel ou tel candidat français et pour quelles raisons ?
Thomas Wieder (Berlin) : En Allemagne, Angela Merkel a décidé cette fois de ne soutenir aucun candidat, contrairement à ce qu’elle avait fait en 2012, où elle avait explicitement soutenu Nicolas Sarkozy. Cette année, la chancelière allemande a en revanche fait savoir qu’elle accepterait de rencontrer tous les candidats qui le souhaiteraient (à l’exception toutefois de Marine Le Pen). Ce qu’elle a fait en recevant à la chancellerie François Fillon (le 23 janvier), Emmanuel Macron (le 16 mars) et Benoît Hamon (le 28 mars).
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Les institutions européennes (Commission, Conseil…) attendent généralement le résultat pour émettre un avis. Elles refusent de s’immiscer dans les débats nationaux.
Philippe Bernard (Londres) : Ce n’est pas le cas au Royaume-Uni, mais la première ministre Theresa May a reçu Emmanuel Macron à la demande de ce dernier et elle a fait savoir qu’elle refuserait de rencontrer Marine Le Pen si celle-ci demandait à la voir.
Jérôme Gautheret (Rome) : Le résultat de la primaire socialiste a été accueilli avec une certaine incrédulité par le gouvernement Gentiloni, et l’actuelle majorité parlementaire (très fragile) ressemble beaucoup au type de coalition que cherche à construire Emmanuel Macron… Personne n’a pris officiellement parti, mais en février, l‘ancien comité référendaire « basta un si » qui rassemblait les pro-Renzi, s’est rebaptisé « in cammino », autrement dit : « En marche ».
Lambda : La perspective d’une victoire de l’extrême droite est-elle prise au sérieux à l’étranger ? La perception n’est-elle pas biaisée par le fait que nous avons un système électoral à deux tours là où beaucoup de pays ont un système avec un président moins fort et une dose de proportionnelle ?
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Une possible victoire de Marine Le Pen inquiète à Bruxelles, parce qu’après le Brexit, ce serait une autre remise en cause assez fondamentale de l’avenir européen. Et, vous avez raison, c’est aussi le fait qu’un président français possède autant de pouvoir qui inquiète au Benelux, où le système électoral force à la constitution de coalitions.
Jérôme Gautheret (Rome) : En Italie, la poussée du FN intrigue et inquiète. Les élections qui comptent, ici, sont les législatives, où domine la proportionnelle, et le scrutin majoritaire n’est pas dans les mœurs. La perspective que Marine Le Pen ne soit pas élue même si elle arrive en tête du premier tour apparaît comme une étrangeté, et celle que le Front national n’ait pas de groupe parlementaire alors même qu’il représente 25 % de l’électorat apparaît comme une aberration.
Thomas Wieder (Berlin) : Plusieurs journaux ont déjà consacré des articles aux conséquences économiques et géopolitiques d’une victoire de la présidente du Front national le 7 mai. L’image de Mme Le Pen est très négative outre-Rhin. Même au sein du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), la candidate du FN est controversée, certains dirigeants du mouvement lui reprochant son programme économique d’inspiration trop « socialiste ». Ces dernières semaines, toutefois, le « risque Le Pen » (titre d’un article récent de la Süddeutsche Zeitung) est un peu moins présent dans la presse allemande, où la montée dans les sondages d’Emmanuel Macron est suivie de très près, et où le score moins élevé qu’attendu de Geert Wilders aux élections législatives néerlandaises a été analysé comme le signe d’un possible coup d’arrêt à la montée des populismes en Europe.
Philippe Bernard (Londres) : Les médias britanniques sont focalisés sur Marine Le Pen d’abord parce qu’ils la considèrent comme porteuse des idées antieuropéennes. Ils tendent à voir dans le succès relatif de la candidate du FN la suite de ce qu’ils ont connu pendant la campagne du référendum sur le Brexit voici juste un an. Enfin, vous avez raison : nous avons ici un système électoral à un seul tour où le candidat ayant remporté le plus de voix est directement élu, et les Britanniques ont du mal à comprendre notre système à deux tours, et se focalisent seulement sur le premier.
Marine Le Pen, à Monswiller (Bas-Rhin), le 5 avril. | LAURENCE GEAI POUR LE MONDE
Julien 59 : Que pensent les autres pays européens de la montée du nationalisme en France ?
Thomas Wieder (Berlin) : Pas un jour ne passe sans qu’en Allemagne l’un des grands journaux du pays ne s’inquiète de la montée du populisme ou du nationalisme en Europe. Il faut ajouter à cela que, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, un parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne (AfD), a des chances d’entrer au Bundestag à l’occasion des législatives du 24 septembre. Fondé en 2013, ce parti europhobe est désormais représenté dans onze des seize parlements régionaux du pays. Cela dit, l’AfD traverse aujourd’hui une véritable crise : encore crédité de près de 15 % des intentions de vote à l’automne 2016, il est aujourd’hui redescendu sous les 10 % dans les sondages.
Jérôme Gautheret (Rome) : L’Italie, qui il y a dix ans encore était farouchement proeuropéenne, est de plus en plus tentée par le repli sur soi. Si cela ne provoque pas l’émergence d’une force nationaliste au sens traditionnel, c’est sans doute parce que la nation elle-même, est tout sauf une réalité incontestée. On sera donc antisystème (Mouvement 5 étoiles) ou anti-immigration et régionaliste (Ligue du Nord) sans se revendiquer nationaliste.
Philippe Bernard (Londres) : Le vote pour le Brexit est d’abord une victoire du nationalisme et la campagne présidentielle française ne peut qu’être perçue à travers ce prisme au Royaume-Uni. Le nationalisme n’est d’ailleurs pas limité à l’UKIP (extrême droite) mais est très présent dans les « grands » partis. Au Royaume-Uni, le problème se complique à cause des quatre « nations » – Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord et Angleterre - qui le composent. Le Brexit reflète la montée du nationalisme anglais contre le nationalisme écossais. De ces quatre « nations », seuls l’Angleterre (53,4 %) et le Pays de Galles (52,5 %) ont voté majoritairement pour le Brexit.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Les responsables européens ont bien compris le sentiment des opinions publiques, en France et ailleurs. Ils soulignent donc que la construction européenne n’exige pas moins de patriotisme. La recherche d’identité est un phénomène généralisé, même en Europe du Nord. L’enjeu est de la rendre compatible avec la construction d’une certaine unité.
Terrasse : Ne pensez-vous pas qu’un second tour avec Marine Le Pen serait un vrai référendum sur l’Europe, vu l’écho qu’en feront les médias européens ?
Philippe Bernard (Londres) : La présidentielle dans son ensemble (et pas seulement le second tour) est perçue comme un référendum sur l’Europe parce que, encore une fois, les Britanniques la rapportent celui sur le Brexit. Mais ils la voient aussi comme une élection mettant aux prises les “gagnants” et les “perdants” de la mondialisation.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Peut-être sera-ce aussi, d’ailleurs, depuis ce matin, un référendum inattendu sur la politique internationale, la relation avec Washington, avec Moscou, avec Assad… Intéressant de voir que beaucoup de candidats sont pris à contre-pied par l’action de Trump. Notre éditorialiste Arnaud Leparmentier notait que 10 des 11 candidats (!) furent des partisans du non en 2005 sur le projet de Constitution, ou lors du vote sur le traité de Maastricht.
Jérémie : Comment sont perçus les plans A et B de La France insoumise en Allemagne à Bruxelles ? L’idée d’un front de pays du sud de l’Europe pour un changement des traités européens fait-elle débat en Italie et ailleurs ?
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : A Bruxelles, à savoir du côté des institutions de l’Union, c’est le silence radio. On y espère, et on y mise assez clairement, sur une victoire d’Emmanuel Macron, voire de François Fillon. Par ailleurs, tous les responsables excluent un changement des traités à court terme. Cela n’exclut pas des propositions pour changer le fonctionnement actuel de l’UE. Celle qui tient la corde a trait à l’Europe “à plusieurs vitesses”, censée permettre des avancées sans susciter de perpétuelles divisions et querelles.
Thomas Wieder (Berlin) : En Allemagne, pas vraiment. La campagne de Jean-Luc Mélenchon y est à vrai dire peu suivie pour le moment.
Jérôme Gautheret (Rome) : En Italie, hormis le Parti démocrate, au pouvoir, les autres partis sont très réservés sur l’Europe, voire franchement hostiles. Au point que le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord (respectivement 30 % et 12 % environ dans les sondages) exigent un référendum sur la sortie de l’euro. L’idée de changer l’Europe de l’intérieur en modifiant les traités, en revanche, a très peu de crédit. Et celle d’un axe des pays du Sud, dominé par la France et l’Italie, pas plus, en grande partie parce que la France est vue comme uniquement préoccupée par sa relation avec l’Allemagne.
Comprend po ! : Que pense nos voisins des affaires, et que se passerait-il chez eux ?
Jérôme Gautheret (Rome) : En Italie, les mésaventures de François Fillon ont d’abord fait sourire, puis les journaux, un à un, se sont lassés. Et les observateurs n’ont pas manqué de souligner ironiquement que la corruption n’est pas, selon les clichés en vogue au nord de l’Europe, réservée aux Italiens. Les Cinq étoiles prônent l’impossibilité d’être élu après une condamnation, et ce positionnement est sans doute la raison principale de leurs succès électoraux.
François Fillon, à Toulon, le 31 mars. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Médias et responsables politiques du Benelux sont totalement sidérés par la campagne française. Le fait qu’un président ne se représente pas a déjà surpris, les primaires un peu plus encore, les affaires à répétition n’en parlons pas… Quant au fait que des candidats ne se rendent pas à la convocation de juges ou restent dans la course en adoptant une rhétorique trumpienne, c’est proprement incompréhensible ici.
Thomas Wieder (Berlin) : L’affaire Fillon a été ravageuse en Allemagne, d’autant plus que les premières révélations du Canard enchaîné sont sorties vingt-quatre heures seulement après la venue de François Fillon à Berlin et son entrevue avec Angela Merkel à la chancellerie. D’une façon générale, les Allemands n’ont pas compris que M. Fillon puisse continuer à être candidat.
Philippe Bernard (Londres) : Que François Fillon poursuive sa campagne électorale alors qu’il est mis en examen est quelque chose d’absolument incompréhensible au Royaume-Uni où la carrière d’hommes politiques a été brisée définitivement pour des affaires de notes de frais trafiqués.
Simon2 : Macron est considéré en France comme le « candidat de la finance et des banques » mais qu’en est-il dans les autres pays ?
Thomas Wieder (Berlin) : Macron bénéficie pour l’instant d’une très grande bienveillance en Allemagne. A part à l’extrême gauche, son passage par la banque Rothschild ne lui est pas reproché. Avant tout, les Allemands voient chez lui un Européen convaincu et quelqu’un qui cherche à gouverner au centre en dépassant le clivage gauche-droite, ce qui « parle » aux Allemands, habitués des gouvernements de coalition.
Jérôme Gautheret (Rome) : A Rome, Emmanuel Macron est sans doute vu comme le candidat le plus rassurant. Au début, son ascension a beaucoup été comparée à celle de Matteo Renzi, malgré les différences évidentes de leurs itinéraires. En tout cas son passé de banquier n’est jamais relevé comme un problème en soi.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Les accusations contre Macron font plutôt sourire aux Pays-Bas, où les carrières politiques sont plus courtes qu’en France. En Belgique, le centrisme est une composante forte du paysage politique et, pendant très longtemps, toutes les coalitions se sont bâties autour de lui, donc on apprécie. Du côté de l’UE, on croise les doigts pour que Macron, qui apparaît comme le seul proeuropéen véritable, franchisse en tête la ligne d’arrivée.
Vincent : Le questionnement sur l’Europe est au cœur de la campagne, quels sont les points de vue des Allemands sur la France dans l’Europe ?
Thomas Wieder (Berlin) : L’Allemagne porte un regard ambivalent sur la France. Avec des nuances, la droite conservatrice d’Angela Merkel comme le Parti social-démocrate de Martin Schulz déplorent que la France n’aient pas fait ces dernières années les réformes structurelles susceptibles, selon eux, de moderniser son économie et de la rendre vraiment compétitive. D’un autre côté, l’Allemagne attend énormément de la France, qu’elle considère comme son partenaire privilégié en Europe, notamment pour toutes les questions diplomatiques et militaires. Une attente qui est encore plus forte aujourd’hui après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.
Baptiste : Le débat à 11 a-t-il été perçu comme un exercice démocratique ou plutôt une farce grotesque ?
Philippe Bernard (Londres) : Le débat a été salué par le Guardian comme « un exemple de démocratie en action ». Les journaux britanniques ont été fascinés par l’audace des candidats d’extrême gauche qui n’existent pas chez eux. Mais les commentaires tournent aussi autour du fait qu’en France, on débat autour de principes, d’idées, alors qu’au Royaume-Uni, les discussions portent sur des sujets plus concrets et sur des réalités budgétaires.
François Fillon et Jean-Luc Mélenchon, pendant le débat sur BFM-TV et CNews, le 4 avril. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
Thomas Wieder (Berlin) : En Allemagne, le débat de mardi a permis de faire découvrir certains « petits » candidats, comme Philippe Poutou qui a eu droit à un article dans le quotidien de gauche Die Tageszeitung. Mais il a aussi fait prendre conscience aux Allemands de la prégnance de l’euroscepticisme en France.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Il y a eu un écho plus particulier en Belgique francophone, où les ménages regardent massivement les chaînes françaises. Le débat a ouvert tous les journaux radio du matin et les quotidiens y ont donné un large écho.
Stéphane : Comment est perçue la proposition d’une Europe à deux vitesses ?
Thomas Wieder (Berlin) : C’est un sujet discuté de longue date en Allemagne, une idée qui a été défendue avec vigueur par Wolfgang Schäuble, l’actuel ministre des finances, en 1994… Angela Merkel a repris l’idée, il y a quelques semaines, en évoquant une « Europe différenciée », au sein de laquelle pourraient aller plus loin en matière de coopérations communes.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Les crises multiples qu’a traversées l’UE ont entraîné des clivages nord-sud (crise grecque) ou centre-est (les réfugiés) tandis que le Brexit attaquait l’idée même du projet. Pendant ce temps, le « moteur » franco-allemand semblait grippé et la position globale de la France affaiblie. L’Europe à plusieurs vitesses (un projet assez ancien, qui existe d’ailleurs déjà pour l’euro, Schengen, le parquet européen…) s’impose donc comme une sorte de remède. L’Europe à deux vitesses signe aussi l’échec des derniers élargissements, trop rapides, pas assez exigeants.
Jérôme Gautheret (Rome) : A Rome, le débat se focalise moins sur les institutions que sur deux questions : les migrants, où l’Europe est accusée d’abandonner le pays, et l’euro, perçu comme contraire aux intérêts italiens. Dans cette logique, il s’agit moins d’ébaucher un nouveau schéma institutionnel que de reprendre les instruments de sa souveraineté.
Philippe Bernard (Londres) : C’est un débat suivi de très loin au Royaume-Uni où l’UE est largement considérée comme un projet sans avenir. Mme May répète cependant que même après le Brexit, son pays (dont 40 % des exportations partent dans l’UE) a besoin d’une Europe forte. Mais le couple franco-allemand, cœur de la relance de l’Europe est précisément celui que les Britanniques ont toujours cherché à défaire. Le Brexit est de ce point de vue un signe d’échec.
Rick60 : Comment sont perçus les « petits candidats » chez nos voisins ?
Jérôme Gautheret (Rome) : Vu d’Italie, la présidentielle est une étrangeté, mais les petits partis, en revanche, n’ont rien d’incongru. La chambre des députés et le Sénat totalisent vingt-trois groupes parlementaires, et des micropartis sont incontournables dans la constitution de majorités.
Philippe Bernard (Londres) : Le système électoral britannique à un tour a été conçu pour perpétuer un système bipartisan et ne permet l’émergence d’aucun petit parti. Le UKIP (extrême droite) a remporté 12,6 % des voix aux législatives de 2015 mais un seul député. L’équivalent de l’extrême gauche est souvent présente sous la bannière du Labour. C’est le cas du leader actuel Jeremy Corbyn.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Il n’y a pas de président dans les trois monarchies constitutionnelles du Benelux. Mais beaucoup de « petits » partis déjà présents dans les parlements et qui rêvent de profiter de la crise de la politique pour accroître leur audience. Aux Pays-Bas, un fractionnement considérable va obliger quatre partis au moins à trouver un accord pour gouverner. En Belgique, trois partis néerlandophones et un francophone gouvernent en coalition. Au Luxembourg, libéraux, socialistes et Verts sont alliés. Autant dire que les joutes gauche-droite françaises amusent et étonnent.
Lucas : Quel bilan tirent les pays européens du mandat de François Hollande ?
Thomas Wieder (Berlin) : On parle peu de Hollande ces temps-ci en Allemagne. La dernière fois qu’il en fut question de façon nourrie dans la presse, ce fut à l’automne 2016, au moment de la parution du livre de nos confrères Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un président ne devrait pas dire ça… ». L’ouvrage avait donné lieu à des jugements assez négatifs à son égard.
Philippe Bernard (Londres) : François Hollande a totalement disparu des radars médiatiques au Royaume-Uni avec une conséquence préoccupante : les positions de la France au plan international sont souvent passées sous silence. Par exemple sur la Syrie et la riposte à l’emploi d’armes chimiques.
Jérôme Gautheret (Rome) : A Rome, on attend la suite. Reste l’impression d’un rendez-vous manqué entre Paris et Rome, qui ont été incapables de faire bouger les lignes à Bruxelles sur les questions budgétaires. Et celle d’une France sourde aux appels à la solidarité sur les migrants.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : Pour les Européens, je crois qu’il restera l’image d’un homme qui a beaucoup dit qu’il ferait, mais qui a fait peu… Globalement, la position française est affaiblie à Bruxelles, malgré la qualité de ses diplomates. Les proeuropéens ont été déçus par le manque d’engagement concret de Paris.
Ben : Quel regard portent nos partenaires européens sur la forte indécision des électeurs ?
Philippe Bernard (Londres) : Cette forte indécision incite les Britanniques à dresser un parallèle avec le référendum sur le Brexit et l’élection de Trump, et donc à envisager la victoire de Mme Le Pen. Les sondages français sont minutieusement disséqués, comme ils ne l’ont jamais été. La campagne déclenche deux espoirs antagonistes : les Brexiters extrémistes rêvent d’une victoire de Mme Le Pen sans forcément en mesurer l’implication et les partisans de l’Europe espèrent la victoire d’Emmanuel Macron.
Louis : Une sortie de la France de l’Europe et de l’euro entraînerait-elle la fin de l’UE ? Ne peut-on imaginer une union puisse subsister autour de l’Allemagne et des pays d’Europe du Nord ?
Jérôme Gautheret (Rome) : On peut tout imaginer, mais sans la France, union politique et monétaire centrée sur l’Europe du Nord, n’accueillerait pas forcément à bras ouverts l’Italie, le Portugal ou la Grèce.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles) : L’idée court à Bruxelles qu’un « Frexit » ne signifierait pas nécessairement la fin de l’UE. Un noyau autour de l’Allemagne et incluant les pays du Nord et du Benelux, voire une Pologne adhérant à l’euro, pourrait, selon certains, subsister et trouver sa cohérence. Simplement, cela ne s’appellerait ni l’Europe, ni a fortiori l’Union européenne… Une précision : pas mal d’acteurs croient distinguer dans les récents propos de Mme Le Pen un virage sur le « Frexit ». Parce que, disent-ils, elle sait que la dette du pays et l’épargne de ses habitants seraient rapidement sous pression.
Tonton Danijel : Y a-t-il parmi les tenants du Brexit au Royaume-Uni une attente d’un « Frexit » pour affaiblir l’UE dans les négociations ?
Philippe Bernard (Londres) : C’est une idée qui n’est exprimée que du côté du UKIP (extrême droite) mais qui existe implicitement dans l’esprit de beaucoup d’observateurs. En substance : si Marie Le Pen gagnait, la France « ferait comme nous », cela ferait exploser l’UE et faciliterait grandement les négociations difficiles attendues sur le Brexit.