« Insoumis contre la sélection en master ! », « Faire battre le cœur de la France contre la sélection ! », « En marche contre la sélection ! »… Les quelques étudiants venus aux aurores à l’entrée du campus pour tenter de bloquer l’université Paul-Valéry-Montpellier III ont gardé le sens de l’humour. Mais la mobilisation n’est pas au rendez-vous ce jeudi 30 mars : seule une petite trentaine d’étudiants participent à l’assemblée générale, dans cette grande université d’arts et de sciences humaines de 20 000 étudiants, réputée pour son âme révolutionnaire.

La réforme de la sélection en master, qui prend forme avec l’ouverture des processus de recrutement de certains masters dès avril, est pourtant dans toutes les têtes. « Nous allons encore être une promotion crash test », réagit Océane, en licence professionnelle en Métiers de l’animation, qui vient d’avoir une explication de ses enseignants sur comment cela va se passer pour rejoindre le master en Développement social qu’elle vise l’an prochain.

COLCANOPA

La loi, adoptée en décembre 2016 au Parlement, entre en application avec un certain flou artistique dans les établissements, obligés en quelques mois de déterminer les masters qui seront sélectifs, les capacités d’accueil et les critères d’entrée. Désormais, les étudiants peuvent être sélectionnés à l’entrée du master 1 (ancienne maîtrise), alors que jusqu’ici, la sélection était le plus souvent pratiquée - illégalement - entre la première et la deuxième année de master (le master 2, ex-DESS ou DEA).

« Que vont faire ceux qui n’ont pas de place ? »

Si la jeune étudiante montpelliéraine est plutôt confiante pour elle, elle ne décolère pas : « La fac, c’est le dernier endroit où il n’y a pas de sélection : que vont faire ceux qui n’ont pas de place et pas l’argent pour se payer une école ? Ils vont se retrouver avec une licence, qui ne vaut rien sur le marché du travail. » C’est la grande crainte des étudiants disséminés sur le campus fleuri aux allures de labyrinthe, pour cette année de transition, même si beaucoup estiment plus logique d’être sélectionnés à l’entrée du cycle master qu’au milieu.

« Des centaines d’étudiants de Paul-Valéry vont rester sur le carreau, alerte Fabien Bon, élu du Syndicat de combat universitaire de Montpellier (SCUM), qui tentait de bloquer la fac dans la matinée. Car les enseignants ont baissé les capacités d’accueil en les adaptant aux effectifs actuels de master 2. » Si, sur le papier, le nombre de places ouvertes dans la cinquantaine de masters de Paul-Valéry, qui ont tous mis des capacités d’accueil, est quasiment au même niveau que le nombre d’étudiants actuellement inscrits en master 1, cela ne veut pas dire grand-chose : certaines filières ne font en effet jamais le plein, quand d’autres sont assiégées de demandes.

« Dans nos disciplines les plus sous pression, en psychologie, en info-communication ou en AES, nous risquons d’avoir au moins 300 étudiants de chez nous sans place dans leur filière », reconnaît le président Patrick Gilli. « Mais nous n’avons ni les locaux, ni les enseignants pour accueillir plus d’étudiants et préserver la très bonne insertion professionnelle à la sortie de nos masters, justifie-t-il. 

Le point noir en psychologie

« A l’échelle de l’ensemble des universités en France, il doit y avoir assez de places pour tous - hormis le cas particulier de la psychologie », ajoute-t-il. Une assurance, donnée également par le ministère de l’éducation nationale, qui doit être effective grâce au droit à la poursuite d’études, instauré également par la réforme. Chaque étudiant recalé pourra demander au recteur de lui faire trois propositions de master. Mais les étudiants sont sceptiques : « Ce sera un droit fantôme », craint Thomas Lévy, l’un des porte-parole de Solidaires Étudiants à Paul-Valéry, faute de places suffisantes dans de nombreuses filières.

Avec une discipline où l’hécatombe paraît inévitable : la psychologie. Un gros bouchon est attendu : à Paul-Valéry, si 615 étudiants suivent actuellement une première année de master, il n’y aura plus que 340 places l’an prochain.

Les masters de psycho laissent déjà sur le carreau un grand nombre d’étudiants entre le master 1 et le master 2. Menant au titre de psychologue, ils ne peuvent accueillir qu’un nombre limité d’étudiants, bien inférieur à la demande. Jusqu’ici, des masses d’étudiants redoublaient leur première année de master, pour retenter leur chance jusqu’à décrocher une place en master 2. Mais avec ce changement de règles en cours d’année, acté dans une partie des facs de psychologie, comme Paul-Valéry, c’est le plongeon dans l’inconnu.

Pression

« Nous n’avions pas vraiment le choix : soit nous nous lancions dans cette opération crash test, soit nous devenions université poubelle », regrette Manon Rousselot, en troisième année de psychologie. Car si nous restions sans sélection en master 1 [ce que certaines facultés de psychologie ont choisi, comme à Toulouse Jean-Jaurès, en gardant l’ancien modèle pour cette année transitoire], nous allions devoir accueillir un raz-de-marée d’étudiants recalés des autres facs, alors qu’on est déjà dans de très mauvaises conditions d’études. »

Face à ce dilemme, les enseignants montpelliérains ont préféré cette mise en place précipitée. « Nous n’avons déjà pas les moyens d’accompagner les étudiants, de suivre leur mémoire, de leur assurer des stages, explique la directrice du département, Arielle Syssau. La sélection est donc une bonne chose, même si cette réforme en cours d’année est très problématique. » La professeure ne voit pas bien comment son équipe va pouvoir examiner des milliers de dossiers de candidature et y répondre dans les délais prévus.

La pression sur les étudiants est également forte, dans ce timing inédit. « On a un mois pour préparer nos dossiers de candidature, alors qu’on entre en pleine période d’examens, lâche Manon Rousselot. Et c’est tout notre avenir qui est en jeu… »