L’Etat condamné pour avoir laissé partir une mineure en Syrie
L’Etat condamné pour avoir laissé partir une mineure en Syrie
Par Jean-Baptiste Jacquin
La jeune fille de 17 ans avait franchi sans encombre la frontière à Orly alors qu’elle était inscrite sur le fichier des personnes recherchées
C’est une première. L’Etat a été condamné, mercredi 26 avril, pour faute après avoir laissé partir en Syrie une jeune fille de 17 ans. Le Conseil d’Etat estime qu’il y a eu « négligence » des contrôles à Orly, et chiffre à 15 000 euros l’indemnité due aux parents pour le préjudice moral ainsi subi. L’affaire remonte à 2013, avant l’émergence de l’organisation Etat islamique.
Le 5 juin 2013, Isabelle (le prénom a été changé) quitte sans rien dire le domicile de ses parents en Seine-Saint-Denis. Devant ce qui ressemble à une fugue, la police est alertée et la jeune fille est inscrite sur le fichier des personnes recherchées. L’angoisse va durer de longs mois sans la moindre nouvelle ni information. Jusqu’à ce coup de fil d’Isabelle qui annonce à ses parents qu’elle est « dans un pays en guerre ». Le soulèvement des Syriens contre le régime de Bachar Al-Assad a commencé vingt mois plus tôt.
Entre-temps, la jeune fille s’est trouvé un petit ami et s’est convertie à l’islam. Aucun signe précurseur d’une telle inclination n’avait été décelé avant sa « fugue ». Elle aura un enfant de ce compagnon franco-algérien en Syrie. Lui a été tué au combat depuis, tandis qu’Isabelle, avec laquelle ses parents ont aujourd’hui « quelques contacts », selon Dominique Brouchot, leur avocat, « ne manifeste pas le désir de rentrer en France ».
460 mineurs en zone irako-syrienne
Les parents ont attaqué l’Etat en responsabilité après avoir appris que leur fille avait rejoint la Syrie très simplement. Elle a pris l’avion le 11 novembre 2013 de l’aéroport de Paris-Orly pour Istanbul avant de gagner la frontière syrienne. L’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs avait été supprimée en 2012, mais les possibilités juridiques pour s’opposer à leur départ à l’étranger avaient été renforcées.
Le Conseil d’Etat constate que « les fonctionnaires en charge du contrôle des frontières à l’aéroport ne se sont pas opposés à cet embarquement, faute d’avoir consulté, ou d’avoir consulté correctement, le fichier des personnes recherchées, contrairement à ce que prescrit la circulaire du 20 novembre 2012 ».
Jusqu’ici le Conseil d’Etat exigeait une faute lourde pour reconnaître l’existence d’un préjudice moral. « Désormais une faute simple suffit dès lors qu’elle est démontrée », se félicite M. Brouchot. Dans une affaire similaire concernant un garçon de 16 ans, la responsabilité de l’Etat avait été écartée par le Conseil d’Etat en 2015 alors que le ministère de l’intérieur avait pu produire le relevé des consultations du fichier des personnes recherchées démontrant qu’il avait bien été regardé au moment où le jeune homme passait la frontière.
La loi du 3 juin 2016 a restauré l’obligation d’une autorisation de sortie du territoire pour les mineurs non accompagnés de leurs parents. Selon les chiffres donnés en janvier 2017 par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, 460 mineurs français étaient dans la zone irako-syrienne, dont un tiers nés sur place et la plupart des autres emmenés par leurs parents. Mais quelques-uns y sont allés de leur propre chef, comme Isabelle.