« A l’ENA, alors que tous ne rêvaient que d’un stage dans une grande ambassade occidentale, lui voulait découvrir l’Afrique. Comme il était déjà ambitieux, il a choisi le plus grand pays : le Nigeria », se souvient le Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou, camarade de la promotion Senghor d’Emmanuel Macron à l’Ecole nationale d’administration et membre de son équipe de campagne. « C’est vrai que ses ambitions politiques étaient déjà perceptibles à l’époque », se remémore pour sa part Jean-Marc Simon, l’ambassadeur de France qui l’a accueilli en 2002 pour six mois à Abuja.

Quelle sera la politique africaine d’Emmanuel Macron, dont l’âge – 39 ans – pourrait lui permettre de s’affranchir du passé avec plus d’aisance que ses aînés ? Qui l’incarnera ? Qui seront ses relais sur le continent ? Sans gouvernement formé et en l’absence de nominations aux postes clés sur l’Afrique, les ministères des affaires étrangères, de la défense, de l’économie, du développement ainsi qu’à l’Elysée, il faut s’en tenir aux discours de campagne et aux interviews d’avant le scrutin, observer quelles sont les personnalités qui l’ont entouré sur ce sujet afin d’esquisser les grands traits de ce que pourrait être son action au sud de la Méditerranée.

« Perception concrète »

« Le discours est encore en construction, mais les arches du pont, qui déterminent de quelle rive à quelle rive l’on va, sont construites. Ses conseillers sont maintenant dans la réalisation du tablier », explique dans une métaphore l’avocat Jean-Pierre Mignard, un ami de François Hollande rallié depuis plusieurs mois à Emmanuel Macron, qui avait accompagné le candidat d’En Marche ! dans un voyage en Algérie. C’est à cette occasion qu’avait éclaté une polémique après que le candidat eut déclaré à une télévision algérienne que « la colonisation est un crime contre l’humanité ».

Sauf surprise, le nouveau chef de l’Etat pourrait bien, sur le continent, mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur. Il devrait d’ailleurs s’y rendre dans les prochains jours pour « saluer les troupes » de la force « Barkhane », déployées par François Hollande au Sahel.

« La continuité devrait l’emporter sur la transformation. Il y a des acquis du gouvernement précédent qu’il va conserver, comme la sortie de l’univers louche de la Françafrique », prévient Jean-Michel Severino, l’ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD) qui compte parmi les « penseurs » de la politique africaine du nouveau locataire de l’Elysée. « Alors que Hollande avait commencé son mandat en se désintéressant des sujets africains, Emmanuel Macron a lui vécu six mois au Nigeria et il a une perception concrète des questions de développement. L’investissement entrepreunarial l’intéresse et il fait parfaitement le lien entre les problèmes de développement et les problèmes politiques », détaille l’auteur d’Entreprenante Afrique (Odile Jacob, 2016), très critique du peu de cas qu’aura fait François Hollande de l’aide publique au développement, « le seul véritable outil dont dispose la France pour agir sur les problèmes structurels ».

De tous ceux qui nourrissent sa réflexion et celle de son conseiller diplomatique, Aurélien Lechevallier, émerge une croyance : « Emmanuel Macron sera un président tourné vers l’Afrique, qu’il considère comme stratégique. »

Selon Jules-Armand Aniambossou, « la nouvelle offre reposera sur trois caractéristiques fortes » :

« Une vision transversale des liens entre les pays africains afin de rompre avec la segmentation entre les différents thèmes que sont le commerce, le climat, la sécurité, les migrations, la culture, la démocratie, le développement ; un grand partenariat entre l’Afrique, l’Europe et la Méditerranée qu’il appelle les routes de la liberté et de la responsabilité ; et enfin, au-delà des Etats, une mobilisation des entreprises, des ONG, de la société civile avec une place particulière pour les diasporas et les binationaux qui sont des sources de richesses sociétales et économiques. »

Cette promesse, que certains pourraient qualifier de catalogue de bonnes intentions, offre de grandes ressemblances avec les vœux formulés par François Hollande au début de son quinquennat. Promotion de la Francophonie, des sociétés civiles, défense des grands principes démocratiques sans sacrifier les intérêts. Sur les questions économiques, Emmanuel Macron, comme il l’a dit à Jeune Afrique, « adhère totalement aux préconisations du rapport Védrine-Zinsou », dont les quinze recommandations, « pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France » sont pour bonne part restées lettre morte depuis sa publication en décembre 2013. Lui aussi passé par la banque Rothschild, l’économiste et éphémère premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou, apparaît comme l’un des inspirateurs de ce jeune président, dont les principaux contacts avec des chefs d’Etat africains – Macky Sall et Alassane Ouattara, notamment – se sont établis lorsqu’il officiait au ministère de l’économie.

« Diplomatie au bras armé fort »

Si des changements de méthode peuvent être attendus, les questions sécuritaires du continent devraient, elles, être traitées dans une parfaite continuité avec le quinquennat Hollande. Jean-Yves Le Drian est l’un des ralliés de poids qui ont contribué à l’élaboration de son discours sur la défense. A la lecture des entretiens accordés par Emmanuel Macron avant son élection, notamment au Monde Afrique, celui-ci n’envisage pas, « à court terme », d’arrêter l’opération « Barkhane » au Sahel et espère mobiliser davantage les partenaires européens, l’Allemagne en tête, qui jusque-là déléguaient à la France le rôle qu’elle ne peut et ne veut plus tenir de « gendarme de l’Afrique ». Les pays africains affectés par le djihadisme, essentiellement ceux réunis dans le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), sont également invités à tenir un plus grand rôle dans la lutte anti-terroriste. Et l’Algérie, qu’il considère à juste titre comme un acteur incontournable sur ce dossier, « doit être pleinement impliquée », au risque de l’échec.

« Le cap est très fortement fixé. Tous les signaux montrent qu’il va poursuivre des interventions militaires et que sa diplomatie aura un bas armé fort. La France a cette capacité d’action mais isolée, elle ne sert à rien », résume Jean-Michel Severino. Tout le défi sera désormais de transformer ces interventions militaires en succès diplomatiques. Plus de quatre ans après le déclenchement de l’opération « Serval », l’un des temps forts de la présidence Hollande, le Mali n’a toujours pas retrouvé sa stabilité et la situation sécuritaire se dégrade tandis que la présence militaire française est de plus en plus contestée par ceux-là même qui avaient applaudi l’intervention en urgence des soldats de l’ancienne puissance coloniale.

Par son âge qui le libère des contingences de l’Histoire, par ses méthodes transgressives, Emmanuel Macron pourrait faire souffler un vent nouveau sur les relations franco-africaines. Reste que, comme le reconnaît l’un de ses proches : « Il y a ce que l’on veut faire et ce que les événements nous contraignent de faire. » Il y a cinq ans, qui aurait imaginé François Hollande, « un capitaine de pédalo », dixit Jean-Luc Mélenchon, en chef de guerre, liquidateur de djihadistes dans les étendues désertiques du Sahel et du Sahara ?