À Cannes, les marques misent sur l’éphémère
À Cannes, les marques misent sur l’éphémère
M le magazine du Monde
Plage privée, terrasse huppée, club enfiévré : les endroits les plus courus de la quinzaine sont créés par des marques, qui voient dans le Festival l’occasion idéale pour communiquer. N’en déplaise aux cinéphiles.
À Cannes, il y a les festivaliers qui avalent des films du matin au soir. Et puis ceux qui se divertissent sans interruption. Cette année, après un après-midi à paresser sur le sable de la plage Magnum, ils dîneront peut-être au restaurant intimiste de Nespresso, où le chef Pierre Gagnaire servira un menu inspiré des films de Claude Sautet. Après quoi, ils se déhancheront à la Villa Schweppes, sur les mix de Laurent Garnier ou Kavinsky, enchaînant des cocktails à base de tonic hibiscus. Il y a quelques années, les mêmes traînaient déjà sur les terrasses Martini, Grey Goose ou sur la plage Chivas.
La Plage Magnum, rien à voir avec le nom d’un héros de série télé des années 1980. | Magnum/FHCOM
Depuis le début des années 2010, ces lieux éphémères sponsorisés prennent de plus en plus d’importance dans le quotidien cannois. Les équipes des longs-métrages en compétition y donnent leurs interviews. Des films, ou des produits sans rapport avec le cinéma, y sont lancés. Autrefois hébergées dans des villas, les fêtes les plus courues se déroulent désormais sur ces « plages ». Même le reste du monde, qui ne « descend » pas à Cannes, suit de près ce qu’il s’y passe : le moindre événement est relayé sur les réseaux sociaux.
Cara, Penelope et George, cautions glamour
Le jour, ces spots à l’esprit revendiqué « French Riviera », se déploient sur le bord de mer. Le soir, ils investissent des espaces clos pour limiter le bruit. « Aujourd’hui, à Cannes, tenir un lieu festif en extérieur est devenu quasi impossible », observe Benoît Nicolazo, fondateur de la Villa Schweppes, qui fêtera ses dix ans au club K, dans l’enceinte du Palais des festivals.
La villa Schweppes fêtera ses dix ans dans l’enceinte du Palais des festivals. | Thomas Bismuth
Pour décrocher l’autorisation administrative de la mairie, ces entreprises se montrent sous un jour glamour et grand public, incarné à l’année par leurs égéries (Penélope Cruz pour Schweppes, George Clooney pour Nespresso). « Cette année, Cara Delevingne était un choix idéal, explique Cyrielle Boudier, responsable de la marque Magnum (Unilever). Non seulement elle vient du milieu de la mode, mais elle sera à l’affiche du prochain Luc Besson. »
Dépenser un million d’euros, voire bien plus, pour avoir sa parcelle revêt des intérêts multiples. « Ce festival est l’événement le plus médiatisé au monde après les Jeux olympiques : cela nous offre une couverture internationale », se félicite Géraud de la Noue, directeur général de Baron Philippe de Rothschild, qui déploie son Mouton Cadet Wine Bar sur une terrasse du Palais des festivals. « C’est aussi très inspirant pour nous de rencontrer des créateurs durant quinze jours », ajoute Nathalie Gonzalez, directrice marketing de Nespresso, maison mécène de la Semaine de la critique.
Au restaurant Nespresso, présent sur la Croisette le temps du Festival, pourquoi ne pas rêver de croiser George Clooney… | Emmanuel Nguyen Ngoc
Plus prosaïquement, « ces lieux éphémères permettent aux marques d’attirer du beau monde et, du même coup, de faire parler d’elles sur les réseaux sociaux, décrypte le consultant et scénographe Christophe Pascal, auteur de La Communication événementielle (Dunod, 2017). D’ordinaire, elles payent des célébrités jusqu’à 100 000 euros pour qu’elles assistent à leurs événements. Cannes représente une exception et une aubaine, puisque les stars y viennent pour promouvoir leur film ou se divertir, sans rien exiger en retour. »
La palme du marketing
Beaucoup d’habitués voient dans le succès de ces lieux un nouveau signe de la prise de pouvoir des logiques marketing sur le temple de la cinéphilie. La venue d’une starlette de télé-réalité ne fait-elle pas davantage de bruit que la plupart des films au palmarès ? « Quelque chose du star-system s’abîme sous nos yeux, une innocence et une magie disparaissent sous les assauts de la communication mondiale généralisée », écrivait Thierry Frémaux, le délégué général, dans Sélection officielle, son journal paru en janvier chez Grasset. C’est oublier un peu vite qu’outre un événement artistique majeur, le Festival de Cannes a toujours été une foire – aux vanités – et un marché.
Le Mouton Cadet Wine Bar profite de la couverture médiatique internationale de l’un des plus grands événements mondiaux. | David Zagdoun