Pourquoi l’Italie n’est jamais devenue championne des jeux vidéo de football
Pourquoi l’Italie n’est jamais devenue championne des jeux vidéo de football
Par William Audureau
La Juventus de Turin a l’occasion, contre le Real Madrid, de réaliser ce qu’aucune simulation transalpine n’a jamais su faire : devenir la reine de l’Europe.
Sur les coups de 23 heures, samedi 3 juin, au moment où la finale de Ligue des champions devrait être arrivée à son terme, les supporteurs italiens de la Juventus Turin n’auront que deux recours pour rejouer le match : un jeu vidéo canadien, FIFA 2017, ou son concurrent japonais, Pro Evolution Soccer 2017.
Au pays du calcio, alors même que 40 % des joueurs font du football leur genre de jeu préféré et que la série FIFA trustait les deux premières places des ventes lors du dernier classement annuel public, en 2014-2015, les simulation de football sont rares et méconnues.
Et pourtant, elles existent. A la manière d’un habitué du bas de classement, cela fait même trente ans que les jeux vidéo italiens font le yo-yo entre les coups d’éclat ponctuels sur la scène européenne et longues périodes de disette dans l’anonymat des divisions inférieures.
« Italy’90 Soccer », les débuts artisanaux
Il faut un peu d’imagination pour s’en convaincre, mais oui, les videogiochi di calcio ont eu une sorte d’âge d’or. Il fut court, essentiellement continental, et certainement pas hégémonique, mais il a existé. C’était entre 1987 et 1991, en pleine explosion de l’ordinateur Amiga. Italy’90 Soccer, inexplicablement sorti trois ans avant la coupe du monde auquel son titre fait référence, a sifflé le coup d’envoi de ces années de joyeuse désinvolture. A l’image de certaines équipes précipitamment intégrées alors qu’elles rateront le mondial, comme la France, ces débuts sont très artisanaux.
« A l’époque mes deux frères cadets et moi étions des adolescents passionnés d’ordinateurs et de football », se souvient Davide Dardari, de la société familiale Dardari Bros, pionnière en la matière.
Nous avions remarqué qu’aucun jeu de football n’était disponible sur Amiga, et pour nous amuser, nous avons commencé une première version d’Italy’90 Soccer, dans la perspective de la Coupe du monde à venir en Italie. Nous avons montré une version non définitive à nos amis qui l’ont faite circuler, sur des cassettes. Après quelques semaines, nous avons été contactés par un distributeur italien qui se lançait dans la production. »
AMIGA Italy Soccer '90 ITALY '90 SOCCER OTHER GAME OCS 1990 Simulmondocr QTXa adf
Il s’en vend officiellement 20 000 copies à travers l’Europe, une performance modeste. « Mais le marché était dominé par les pirates et la plupart des personnes possédant un ordinateur Amiga y ont eu accès. Encore aujourd’hui, après 30 ans, on reçoit des e-mails d’utilisateurs qui étaient fans de nos jeux », préfère retenir Davide Dardari, avec la tendre fierté d’un ancien vainqueur de coupe Intertoto.
« Pas la touche “$” pour programmer »
Mais cet âge d’or n’est pas un âge de suprématie. La scène italienne reste en effet dans l’ombre de l’industrie britannique, bien plus performante, à l’image des deux simulations phares de l’époque, Kick Off (1989) puis Sensible Soccer (1992).
Kick Off - GamePlay - 1989
Les programmeurs italiens, malgré leur bonne volonté, semblent peu équipés pour se hisser à leur niveau. « En Italie la culture informatique s’est développée lentement et en retard, comparé aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, notamment au niveau des entreprises », explique Davide Dardari.
Une anecdote d’époque l’illustre. Elle est relatée par Abrial Da Costa, l’agent de Dino Dini, créateur anglais de Kick Off aux origines italiennes : « Dino m’a raconté que les développeurs italiens avaient du mal à programmer, au début, car sur les claviers italiens il n’y avait pas la touche “$” qui sert pour la programmation ! Du coup, il a ramené pas mal de claviers anglais aux Italiens pour qu’ils puissent programmer. »
Pionniers de la 3D
La scène italienne est pourtant loin d’être maladroite. Le jeu I Play 3D Soccer, édité en 1991 par la société Simulmondo, est même l’un des titres les plus audacieux de l’époque : une authentique simulation en trois dimensions, avec caméra de dos, focalisée sur un seul joueur, plus de vingt ans avant qu’Electronic Arts n’en fasse l’un des modes phares de FIFA, « Be a pro ».
Encore aujourd’hui, il fait la fierté du fondateur de Simulmondo, Francesco Carlà. Il s’agit à ses yeux, décrit-il sur Facebook, de la meilleure illustration de son « enthousiasme pour l’innovation et [sa] détermination à expérimenter ce qui n’existe pas encore ». Il connaît un succès notable au Royaume-Uni et en Scandinavie, ainsi que dans les pays latins, assure Francesco Carlà au Monde.
ATARI ST I PLAY 3D SOCCER (SIMULMONDO)
Mais la Botte doit faire face à un autre problème structurel : le piratage endémique, bien plus développé que dans les autres pays d’Europe. « Le marché était complètement envahi de copies illégales, spécialement en Italie », se rappelle Davide Dardari, dont Simulmondo fut le premier éditeur. « Cela signifiait de faibles revenus pour les entreprises et des possibilités limitées d’investir ou atteindre une masse critique. »
Le « Hugo Délire » du football
Certains titres transalpins connaissent bien un important succès. Mais uniquement sur la scène locale, et sur des modèles économiques atypiques. C’est le cas de CalcioMio - jeu dont aucune image n’existe en ligne - qui fut développé pour une émission de la RAI TV.
« Ils m’avaient demandé de préparer de nouvelles idées avec des jeux vidéo pour la télévision, se remémore Francesco Carlà. Donc nous avons inventé une série de jeux jouables de chez soi avec un clavier téléphonique. Les plus populaires étaient Tobia, Zacko, et surtout CalcioMio, jouable à huit à la maison en même temps. » Une manne financière pour l’entreprise, qui publie également en 1997 le premier jeu de gestion d’équipe italien.
SoccerChamp, publié en 1997, sera le dernier jeu de football du leader italien du secteur, Simulmondo. | Simulmondo
Mais ces succès locaux ne lui permettent pas d’exister là où le marché du jeu vidéo est le plus porteur, c’est-à-dire à l’international : la compagnie Electronic Arts Canada, avec FIFA, à partir de 1993, et sa rivale japonaise Konami, avec International Superstar Soccer (1994) puis ISS Pro Evolution Soccer (1999), s’imposent durablement comme les deux maîtres incontestés du marché au niveau mondial. De son côté, Francesco Carlà a des envies d’ailleurs. En 1999, après douze années d’activité, la principale entreprise de jeu vidéo italienne met la clé sous la porte.
Retour en seconde division
Pour l’industrie locale, c’est une catastrophe : là où les succès des années 1990 ont permis aux grands éditeurs internationaux de grandir, tant en termes de budget que de notoriété, l’Italie se retrouve de nouveau au point de départ. Organisation artisanale, équipes éparses, financements faméliques… A partir des années 2000, le futur quadruple champion du monde de ballon rond n’est plus qu’une sélection d’amateurs sur la scène vidéoludique.
« De ce que j’en sais, maintenant pour produire un jeu de football, il vous faut au moins 50 personnes et donc d’énormes budgets », énumère avec fatalisme Davide Dardari, qui s’est retiré de l’industrie en 1992, et édite désormais avec ses frères de petits jeux de beach volley sur smartphones. Quand au football, la fratrie Dardari a lâché l’affaire. « Trop dur de concurrencer les jeux actuels, les joueurs ont d’autres goûts que dans les années 1980-1990, et nous n’avons pas le temps… »
Depuis les années 2000, la scène transalpine est réduite à jouer dans la division inférieure, celle par exemple des advergames, des jeux vidéo publicitaires souvent bas de gamme. Ainsi de Nutella Football Game sur PC en 2005.
Le seul pot de Nutella qui ne fait pas grossir (sauf si vous mangez le disque du jeu, et encore). | Nutella
Car oui, il y a bien eu un jeu de football officiel estampillé de la célèbre marque italienne de pâte à tartiner. A l’époque, Nutella était également un sponsor du calcio. Le titre, entièrement en 3D, ultra-véloce et assez rudimentaire, est loin de pouvoir concurrencer les ténors du genre. Offert dans certains pots de Nutella en édition limitée, il sert surtout de produit d’appel pour les jeunes gourmands.
Il gioco più nutelloso di sempre
La mini remontada
Ce que l’on suspecte moins, c’est que le Nutella fut un tremplin. Le développeur du jeu publicitaire en question, Gianluca Troiano, a en effet réussi à capitaliser sur cette modeste expérience, comme il le raconte au Monde :
« J’ai commencé à développer des jeux il y a 23 ans, à l’origine sur l’Amiga de Commodore. En 2006, j’ai sorti le jeu Nutella Football Game sur PC et en 2009 ICO Soccer sur Nintendo DS, pour n’en mentionner que deux. Monter mon studio était une suite naturelle ».
Ico Soccer (Nintendo DS) - Castellano
Spécialisée dans les videogiochi di calcio, sa jeune entreprise The Fox Software incarne aujourd’hui le retour discret mais réel du jeu de football italien sur la scène internationale. En 2011, celle-ci a lancé sur smartphone Active Soccer, une simulation vue du dessus, à la mode des jeux des années 1990, et qui a réussi à se hisser à son lancement à la première place des téléchargements sur le magasin d’applications de Google. En tout, elle cumulera 50 000 joueurs, un score suffisamment honorable pour se faire une petite réputation, lancer une suite, puis une version améliorée.
Active Soccer 2 DX - Gameplay Trailer | PS4
Sorti fin 2016 sur PS Vita, Xbox One et PlayStation 4, Active Soccer 2 DX côtoie désormais le blockbuster FIFA et son concurrent Pro Evolution Soccer sur consoles de salon, comme si après une décennie de purgatoire, le jeu vidéo italien retrouvait enfin l’élite.
Nommé aux Drago de oro, la compétition récompensant chaque année le meilleur jeu vidéo italien, le titre de Gianluca Troiano a convaincu sur smartphones, mais moins sur consoles, où sa version Xbox One affiche un piètre 53 % de note moyenne dans la presse spécialisée. La saison prochaine, il visera le maintien.