La « décoration corporelle » face aux risques sanitaires
La « décoration corporelle » face aux risques sanitaires
Par Arthur Le Denn
DERMATOLOGIE. 15 % des Français portent au moins un tatouage. Se faire poser de faux ongles est aussi devenu courant. Des pratiques que l’Académie de pharmacie trouve dangereuses.
L’Académie nationale de pharmacie propose une meilleure sensibilisation des professionnels de santé à la décoration corporelle et des tatoueurs aux questions sanitaires. | MeChaNiCal (Flickr)
Inflammations, infections ou allergies… Environ 6 % des personnes tatouées seraient confrontées à des problèmes de santé, selon de récentes études allemandes. En France, jusqu’à 600 000 personnes pourraient être concernées. Un chiffre en hausse, du fait de la popularité grandissante du tatouage. L’Académie nationale de pharmacie consacrait, mercredi 14 juin, une séance thématique sur la question. En est sortie une série de recommandations, à l’intention des professionnels de santé.
L’institution préconise notamment de faciliter l’information des personnes souhaitant se faire tatouer en les incitant à s’adresser au corps médical. Il attire également l’attention sur les dangers d’Internet, qui incite à l’utilisation de produits non-contrôlés et à des pratiques dangereuses. Le dernier volet propose une meilleure sensibilisation des professionnels de santé à la décoration corporelle et des tatoueurs aux questions sanitaires. Avec un fil rouge tout au long de la séance : encourager les publications scientifiques sur tout effet indésirable décelé, dans l’objectif de compléter l’arsenal réglementaire.
« De façon logique, les risques augmentent avec la multiplication des pratiques », explique le docteur Nicolas Kluger. Dermatologue à l’hôpital universitaire d’Helsinki (Finlande), il est à l’origine de la première consultation française spécialisée, à l’hôpital Bichat, à Paris. « Cela va permettre de limiter le risque de complications et de trouver les meilleures solutions thérapeutiques, indique-t-il. Mais aussi de mener des recherches sur cette problématique trop peu explorée. »
Encadrer les pratiques
La profession de tatoueur est désormais réglementée. La banalisation des aiguilles stérilisées à usage unique a permis de rendre le risque de contamination infectieuse quasi-nul, à condition de suivre à la lettre les conseils du tatoueur pour la cicatrisation de la plaie. A l’heure actuelle, les médecins sont davantage confrontés aux réactions allergiques causées par les encres, notamment rouges. « Il nous est impossible de prévoir comment réagira une personne à une certaine encre, précise le Dr Kluger. Il existe des types de peau considérés comme étant à risque. On surveille de près les maladies cutanées et, parfois, certains grains de beauté. »
Les tatouages semi-permanents peuvent, eux aussi, se révéler allergisants. Le henné n’existant pas sous forme noire dans la nature, on le mélange avec diverses substances pour obtenir la couleur désirée. Le paraphénylènediamine (PPD), un puissant allergène que l’on retrouve dans les encres pour imprimante en fait partie. Comme pour le tatouage, une seule préconisation lorsque le doute subsiste : vérifier avec son dermatologue qu’il n’y a pas de contre-indication.
D’autres « pratiques frontières » sont dans la ligne de mire de l’Académie nationale de pharmacie, comme les bars à sourire ou les bars à ongles. S’emparant des tendances, certaines professions autoproclamées ont émergé, non sans exposer leurs clients à des brûlures ou des hypersensibilités. Une directive européenne de 2012 a permis de réserver aux chirurgiens-dentistes l’utilisation des produits contenant plus de 0,1 % de peroxyde d’hydrogène (la molécule pour éclaircir les dents).
En revanche, le métier de prothésiste ongulaire, un temps réglementé, ne l’est plus depuis 2016. « Un certificat de qualification professionnelle doit être à nouveau exigé compte tenu des dangers, estime le Dr Edith Duhard, dermatologue à Tours. Il faut informer les consommatrices sur les risques et effectuer un contrôle régulier sur les lampes UV utilisées pour durcir les ongles. La protection des mains lors des périodes d’exposition est essentielle pour prévenir la formation de mélanomes. »
Prévoir le risque pour éviter les regrets
Face au succès grandissant de la décoration corporelle, évaluer les risques auxquels s’exposent les adeptes est devenu un enjeu majeur pour les scientifiques. Et dans ce domaine, pas le choix : ce sera du cas par cas. « On doit adopter une approche pragmatique, estime le toxicologue Hervé Ficheux. Les risques changent en fonction de la dose, de la fréquence et de la voie d’administration du produit. » La méthode adoptée consiste à associer le degré de toxicité de la molécule utilisée aux modalités de son exposition dans le corps. « Soyons bien clairs, insiste Hervé Ficheux. Le risque zéro n’existe pas. »
Par ailleurs, l’engouement pour les tatouages a mécaniquement entraîné une hausse des détatouages. Que les remords soient d’ordre esthétique ou médical, suite à d’éventuelles complications, près de 40 % des personnes tatouées regrettaient leur choix en 2014. Seul le corps médical est en mesure de pratiquer le détatouage au laser. Une technique qui, elle non plus, n’est pas dépourvue de risques. « Elle peut entraîner une hyperpigmentation post-inflammatoire, explique la dermatologue Isabelle Catoni. L’idée est de traiter uniquement ceux qui peuvent être effacés pour diminuer l’exposition. De plus en plus d’interventions se révèlent inefficaces, du fait des nouvelles encres et techniques utilisées par les tatoueurs. »