Jeudi 17 août, Paris, rue des Lombards. La rue de la soif et, par temps ordinaires, la rue du jazz. Paris sous ses meilleurs atours : 16 °C, petites pluies, vent de nord-nord-ouest (35 nœuds). Paris est une ville d’Atlantique Nord, les touristes l’oublient souvent.

A l’affiche du Sunset-Sunside, 60, rue des Lombards : Alain Jean-Marie, « Be Bop » Trio. Le trio piano-contrebasse-drums : la formule la plus courue. Ça peut aller du trio bar, souvent convenable, à toutes les prétentions du dernier jeunot que trop d’histoire écrase. « Be Bop », tu parles d’une affiche : c’est surtout un acte de sincérité.

Alain Jean-Marie, avec Philippe Aerts et Lukmil Perez, c’est le sommet des sommets

Alain Jean-Marie (pianiste né en 1945 à Pointe-en-Pitre, Guadeloupe), avec Philippe Aerts (contrebassiste né à Bruxelles en 1964, désomais parisien) et Lukmil Perez (batteur né à La Havane, installé en Europe depuis 1999), c’est le sommet des sommets. La loyauté du jeu, la morale du trio, une science sans faille, surtout si elle s’affiche « be bop », par référence à la première révolution en jazz.

Dans la rue, la foule déambule verre en main. Dans les esprits, le « jazz » est mort, le « be bop » ne dit plus rien à personne, on cueille des remords « sous le fouet du plaisir, ce bourreau sans merci » (Baudelaire). Divine surprise, le sous-sol du Sunset–Sunside est bourré à craquer. Seul Alain Jean-Marie est capable de cette prouesse. Il crée aussi des salles mixtes qu’on ne voit plus en « jazz » : nombre d’Antillais de Paris se mêlent aux Japonais toujours gourmands de ce style, et aux fidèles du pianiste.

Rythmique impeccable

Le plus discret des pianistes au CV long comme la rue des Lombards est toujours très attendu. Son trio ? Le Guadeloupéen, le Belge et le Cubain. Se connaissent-ils ? Oui, par la musique. Jouent-ils régulièrement ensemble ? Pas forcément, hélas – pratiquement pas d’engagements en festivals, il doit y avoir des raisons socio-économiques ou paresseuses. Bricolent-ils à l’amiable ? Oui, si l’on en juge par les cachets ; non, quand on en juge par leur engagement de musiciens, et le génie de leur triple entente.

Le répertoire ? Des standards, des mélodies aimées ou que l’on croit reconnaître, toutes sortes d’allusions à Dodo Marmarosa ou Lennie Tristano, juste pour connaisseurs, mais aussi pour passants ordinaires. Car leur force à eux, le « Be Bop » Trio, c’est de changer une authentique science en enchantement général. Un premier set de feu, un délicieux calypso pour conclure le deuxième. Sans doute sont-ils encore en train de jouer. Il suffit à Alain Jean-Marie d’égrainer quatre arpèges en forme d’anacrouse et d’entrer dans le vif du sujet, pour être rejoint par une rythmique impeccable.

Le « Be Bop » Trio d’Alain Jean-Marie est ce qui peut arriver de mieux au « jazz »

Après quoi, tout se déroule selon les grandes règles de la conversation, sans effet, sans frime, mais avec quel goût ! Quelle manière ! Quelle invention, messeigneurs ! Tout tenant dans les touchers, l’écoute, la circulation des inconscients et l’amour de la musique. Trio clef de la série « Pianissimo » offerte par le Sunset-Sunside en plein mois d’août maussade, le « Be Bop » Trio d’Alain Jean-Marie est ce qui peut arriver de mieux au « jazz ». Ce « jazz » que l’on fête si souvent sans lui. Leçon, joie, retour aux fondamentaux, pas l’once d’une tricherie.

Tout le guingois vient évidemment de ce joli mot passe-partout de « jazz » et de son renversement héroïque dans le « be bop » : Charlie « Bird » Parker, Bud Powell, Monk, mais aussi, sous les doigts d’Alain Jean-Marie, Phineas Newborn et tout ce qui s’en suit. Vous n’en saurez pas plus qu’en entrant, mais vous aurez tout compris à la sortie. D’autant qu’ils récidivent le vendredi 18 août, avant de laisser la place à Elisabeth Kontomanou & Laurent Courthaliac (le 19), Gauthier Toux Trio (le 22), Fred Nardin & Jon Boutellier (le 24), Mario Canonge et l’immense René Urtreger (les 25 et 26), etc. Une série de concerts « Pianissimo » que concluront encore des Antillais de la jeune génération : Gregory Privat et Sonny Troupé (les 31 août et 1er septembre), en passant par l’étonnant Edouard Ferlet (le 30).

Alain Jean-Marie et le « Be Bop » Trio, dans le cadre de « Pianissimo volume XII », jusqu’au 2 septembre. Sunset-Sunside, 60, rue des Lombards, Paris 1er, vendredi 18 août à 21 heures. www.sunset-sunside.com