Des employés d’Alstom manifestent devant l’usine de Belfort pour protester contre la fermeture du site, le 15 septembre 2016. / SEBASTIEN BOZON / AFP

Le destin du constructeur du TGV devait se jouer, en ce mardi 26 septembre, dans l’immeuble de verre et d’acier qui lui tient lieu de siège, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Alstom est censé réunir dans l’après-midi un conseil d’administration destiné à donner son accord à la fusion de l’entreprise française avec les activités ferroviaires du conglomérat allemand Siemens. Au même moment, à 800 kilomètres de là, à Munich, un conseil de surveillance côté Siemens devait prendre une décision parallèle.

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Selon l’agence Reuters, l’entreprise allemande choisira de se marier avec Alstom plutôt qu’avec le canadien Bombardier, comme envisagé jusqu’à la fin de l’été. Aucune des entreprises n’a fait le moindre commentaire, mais il apparaît clair que l’union des deux rivaux, qui a la bénédiction des pouvoirs politiques respectifs, est, sauf surprise, sur les rails.

Les formes envisagées de la fusion, révélées par Le Monde, le 22 septembre, sont à peu près dessinées. Siemens détiendrait la moitié du capital du nouvel ensemble constitué de l’actuel ­Alstom et des activités matériel roulant, signalisation et systèmes ferroviaires de Siemens. Selon Les Echos, le siège de Siemens-Alstom (15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, plus de 1 milliard de résultat d’exploitation) serait fixé à Saint-Ouen, et l’actuel PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge en prendrait la direction opérationnelle.

« Contexte difficile »

Patron français mais pouvoir réel allemand, compte tenu du poids que prendrait Siemens dans le capital, notent plusieurs observateurs. Cette situation préoccupe les représentants des salariés français. « Nous allons militer pour une montée de l’Etat au capital si l’opération se fait », note un syndicaliste. La puissance publique a en effet à sa disposition une clause qui lui permet d’acquérir 20 % d’Alstom auprès de Bouygues.

Un an après le choc de la fermeture annoncée puis annulée de l’usine de Belfort, l’inquiétude revient parmi les salariés. « Tout ça arrive dans un contexte difficile, précise Philippe Pillot, responsable syndical FO pour le groupe. Une partie de Valenciennes est en chômage technique. Il y a de vraies préoccupations pour les sites qui fabriquent les TGV. Belfort n’est pas tiré d’affaire et La Rochelle va se trouver en difficulté dès 2018 sans nouvelles commandes. »

« Ils sont meilleurs que nous en signalisation, en automatismes, dans le tramway, dans les locomotives diesel… », énumère un membre du conseil d’administration d’Alstom SA. De fait, une partie des activités des deux entreprises se recoupent. Parmi les fleurons de Siemens, le train rapide ICE est un concurrent redoutable du TGV. L’avance allemande dans l’automatisation et la signalisation ferroviaire de pointe – des activités très rentables – lui permet d’ailleurs d’afficher une marge opérationnelle supérieure de trois points à celle d’Alstom (8,7 % en 2016 contre 5,8 %).

« Mariage par obligation »

Géographiquement, en revanche, les deux groupes sont plutôt complémentaires. Seule l’usine allemande Alstom de Salzgitter (Basse-Saxe) se retrouve en situation frontale face aux sites d’assemblage européens de Siemens, presque tous situés outre-Rhin. Salzgitter (2 500 salariés) est le plus grand site industriel d’Alstom dans le monde. Et c’est un fleuron. Il produit les prototypes des trains Coradia à hydrogène, dans lesquels Alstom a pris une avance notoire sur ses concurrents.

Les syndicats allemands de Siemens regardent depuis quelques années avec scepticisme la stratégie de Joe Kaeser, le directeur général du conglomérat, qui souhaite donner plus « d’agilité » au groupe en conférant aux différents départements davantage de liberté financière et entrepreneuriale. « Continuer de démanteler le groupe mettrait en danger la ­marque Siemens et l’entreprise », ont averti Birgit Steinborn, représentante des salariés, et Jürgen Kerner, codirecteur du syndicat IG Metall.

A quelques heures de la décision fatidique, les syndicats français, conscients de la montée en puissance du géant chinois du ferroviaire CRRC, restent partagés sur la nécessité de la fusion. « C’est un mariage par obligation, note M. Pillot. Pour l’avenir d’Alstom, c’est à la fois une solution et un problème. »