TV : « Swagger », les pieds en banlieue, les yeux au ciel
TV : « Swagger », les pieds en banlieue, les yeux au ciel
Par Isabelle Regnier
Notre choix du soir. Un documentaire fantasque et émouvant autour d’un groupe de collégiens d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis (sur Canal+Cinéma à 19 h 20).
SWAGGER Bande Annonce (Film Français 2016)
Durée : 01:58
Des petits lapins, des perruches, un dromadaire qui s’ébaudissent sur le béton. Des jeunes gens en costume-cravate, veste de fourrure et nœud pap, des histoires plein la tête, des étoiles plein les yeux. Des plans filmés à la grue, de gros zooms, des couleurs qui pètent. Et, pour la bande-son, un cocktail bigarré de rockabilly, de bossa-nova, d’acid jazz, de be-bop, le tout rehaussé d’une petite touche de rap français.
Où sommes-nous ? Dans un documentaire tourné à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, avec les élèves du collège Claude-Debussy. Un fabuleux portrait de groupe qui lorgne du côté du cinéma fantastique, du polar, de la comédie musicale, de la science-fiction, nous propulsant, tant il déjoue, retourne, réduit à rien tous les clichés attachés à la banlieue, à des années-lumière de tout ce que l’on a pu voir jusqu’à présent sur la Seine-Saint-Denis.
Swagger dans une cité à Aulnau sous bois / Kidam / Ronan Merot
Swagger condense en une décharge électro-pop la fougue d’une jeunesse conquérante, gonflée d’espoir, et le blues d’un ghetto déserté par les Blancs où évoluent en vase clos des populations presque entièrement issues de l’immigration d’Afrique noire et du Maghreb. Si ce film émeut tant et suscite un tel enthousiasme, c’est que son objet n’est pas tant la banlieue que la subjectivité de ses personnages, formidables personnalités dont il exalte les sentiments, le désir, l’imaginaire. L’auteur, Olivier Babinet, a passé des années avec les élèves du collège Claude-Debussy dans le cadre de divers ateliers et d’une résidence in situ. Swagger est l’aboutissement d’un fructueux compagnonnage.
Fantasmes pris au pied de la lettre
Dans les espaces vides du lycée, structurés par des jeux d’ombre et de lumière très graphiques et un travail complexe sur le son, les personnages répondent à une série de questions – sur leurs rêves, leurs ambitions, leurs loisirs, leurs peurs, leur rapport à la religion, les Blancs, l’environnement dans lequel ils vivent, Paris, l’amour… Des histoires de déracinement, d’enfants propulsés trop tôt dans l’âge adulte, d’humiliations, s’articulent, chez celui-ci, avec un amour inconditionnel du rock, la culture indienne de ses parents, le souvenir d’une tentation fugace pour la délinquance. Chez cette autre, avec un désir ardent de devenir architecte, pour réparer le tort fait aux habitants des grands ensembles.
SWAGGER - "Il Faut Créer Son Style" - Extrait TEASER (Cannes 2016)
Durée : 01:35
La liberté sidérante avec laquelle les personnages se confient tient autant à la formidable qualité d’écoute du cinéaste qu’au dispositif qu’il a mis en place pour les interviewer. Leur style, leur bagou sont le carburant d’une mise en scène ludique, volontiers artificielle, qui prend leurs fantasmes au pied de la lettre pour leur donner une envergure bigger than life. Ici, un travelling compensé vient isoler une jeune fille qui suffoque de son introversion maladive. Là, le fabuleux Régis et sa copine Salimata sont filmés au ralenti comme les Jay-Z et Beyoncé du collège, fendant la foule de leurs congénères au son d’une techno scratchée poussée à plein régime.
A partir de ces expériences singulières, dont aucune ne se recoupe, Swagger invite à reconfigurer tout ce que l’on pensait savoir sur la banlieue. Les problèmes que dépeignent inlassablement les médias ne sont pas occultés, mais ils affleurent par la bande, comme autant d’éléments d’un contexte à géométrie variable.
Swagger, d’Olivier Babinet (Fr., 2016, 84 min).