Dans « L’Ombre de la guerre », Talion peut envoûter des orcs pour les envoyer se battre à sa place. / Warner Bros. Interactive Entertainment

Disponible, mardi 10 octobre, sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, Le Seigneur des Anneaux : L’Ombre de la guerre est un jeu vidéo inspiré de l’œuvre de J. R. R. Tolkien : il conte l’histoire de Talion, un guerrier humain en terre orque.

L’Ombre du Mordor, le précédent épisode de la série, avait été bien reçu par la critique. Sa suite est pourtant précédée d’une polémique inattendue. En faute : le « Marché » intégré au jeu, annoncé il y a deux mois mais désormais disséqué et mieux compris grâce aux premiers retours. Avec cette boutique intégrée, le joueur peut débloquer divers bonus, soit en y dépensant la monnaie virtuelle trouvée lors de ses aventures, soit avec des euros bien réels.

Grâce à ces coffres au contenu aléatoire, le joueur peut gagner facilement de meilleurs alliés... à condition de payer et d’avoir un peu de chance. / PC Gamer

Des coffres pour les impatients

Le principe est répandu. Popularisé notamment auprès du grand public par le jeu de cartes en ligne Hearthstone, lui-même inspiré de jeux de cartes papier comme Magic ou Pokémon, il revient à acheter une sorte de « pochette-surprise » au contenu aléatoire, ou, en tout cas, calculé en fonction de probabilités invisibles pour le joueur.

Les jeux mobiles gratuits en usent souvent, en abusent parfois. Mais les « gros jeux » vendus au prix fort qui en font l’usage se contentent en général de faire gagner aux joueurs des contenus cosmétiques et totalement facultatifs – comme c’est le cas par exemple dans le très populaire jeu de tir Overwatch. Nouvelles poses, nouveaux vêtements, nouvelles voix pour son personnage préféré : de quoi motiver le joueur à ouvrir son porte-monnaie, sans non plus l’y obliger.

Dans le cas de L’Ombre de la Guerre (que Pixels n’a pas pu tester à temps pour sa sortie), à en croire le test de Polygon, il semblerait en revanche que la difficulté du quatrième et dernier chapitre du jeu, sorte de très long épilogue optionnel, serait calibrée de façon à pousser le joueur à dépenser de l’argent pour acheter des troupes d’élites capables de l’épauler dans sa quête. Ceci, en plus des 60 euros que coûte déjà le jeu.

L’auteur de l’article de Polygon tempère toutefois : « Je suis sûr qu’il est possible de terminer [ce mode de jeu] sans dépenser un centime, tant que vous êtes patient et persévérant. » Chez PC Gamer, son confrère Andy Kelly assure que « je n’ai jamais eu, tout au long de l’histoire principale, l’impression de manquer de quoi que ce soit. Je n’ai jamais pensé à ces microtransactions. » Chez Warner Bros. Interactive, l’éditeur du jeu, on assure d’ailleurs que « la quête principale et la progression ont été réglées et affinées en prenant pour référence un joueur qui ne se connecterait pas » à la boutique en ligne.

Contrairement à la plupart des jeux de tir multijoueurs, les coffres de « Battlefront II » ne renferment pas que du contenu cosmétique. / BattlefrontUpdates

Si le doute, dans le cas de L’Ombre de la guerre, est toujours permis, un autre jeu provoque ces jours-ci une levée de boucliers comparable. Les joueurs ayant commandé Star Wars : Battlefront II (sortie prévue le 17 novembre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One) peuvent en effet en tester certains modes de jeu depuis le 4 octobre. Et ceux-ci ont eu la surprise de découvrir que le jeu d’Electronic Arts réserve des récompenses, théoriquement gratuites mais plus faciles (et rapides) à obtenir en payant, qui confèrent des avantages loin d’être négligeables au combat. Certains craignent déjà qu’au lancement du jeu, les joueurs plus riches n’aient un avantage sur ceux moins dépensiers, et qu’il faille nécessairement mettre la main au portefeuille pour rester au niveau.

Un nouveau modèle économique

Mais ce n’est pas le seul reproche fait à LOmbre de la guerre et à Battlefront II. Car contrairement aux classiques extensions payantes et autres microtransactions que proposent la plupart des jeux à gros budgets, les achats, dans les titres de Warner Bros. Interactive et d’Electronic Arts, s’apparenteraient à des jeux de hasard. Le joueur n’y achète en effet pas les troupes et améliorations de son choix, mais des « coffres » virtuels dont il est impossible de connaître le contenu à l’avance : tout ce que le joueur peut faire, c’est dépenser son argent… et croiser les doigts.

Sur les réseaux sociaux ou les forums de Reddit, des joueurs craignent que Battlefront II et L’Ombre de la guerre ne soient que les premiers avatars d’une transition économique : celle qui verrait les jeux payants à gros budgets adopter les codes des jeux mobiles gratuits.

D’autres, comme le vidéaste John « Totalbiscuit » Bain, s’interrogent quant à un potentiel recours juridique, se demandant si ces jeux ne s’apparenteraient pas à des jeux d’argent, et ne devraient pas en conséquence être déconseillés aux mineurs voire interdits.

I will now talk about Lootboxes and Gambling for just over 40 minutes
Durée : 42:25

Dans un récent article de PC Gamer sur ces « coffres » au contenu aléatoire, Luke Clark, directeur du Centre de recherche sur les jeux de hasard de l’université de la Colombie-Britannique, au Canada, expliquait ainsi que les jeux modernes « multiplient les couches de récompenses aléatoires » qui, en jeu vidéo comme dans les authentiques jeux d’argent, « stimulent fortement la création de dopamine » généralement associée à la consommation de drogue.

La Chine légifère déjà

En Chine, les autorités ont déjà pris la décision de légiférer concernant ces « coffres ». Ainsi, depuis le 1er mai, la loi chinoise oblige les éditeurs de jeux à révéler « le nom, les propriétés, le contenu, la quantité et la probabilité de tirage de tous les objets virtuels et services » qu’ils peuvent contenir. Les résultats des tirages doivent également être rendus publics, de façon à ce que les joueurs puissent comparer les probabilités réelles avec celles annoncées par l’éditeur.

Blizzard, l’éditeur d’Overwatch, qui fait un usage intensif de ces coffres, a dévoilé pendant quelques semaines les taux de probabilité de tirer tel ou tel objet dans chacun de ces coffres, avant de trouver la parade : désormais, en Chine, l’éditeur ne vend plus directement de « coffres », mais propose en revanche d’échanger des yuans contre une monnaie virtuelle qui, elle, permet ensuite de se fournir en précieuses pochettes-surprises.