Les joueuses de base-ball de Gaza veulent changer le regard sur les femmes
Les joueuses de base-ball de Gaza veulent changer le regard sur les femmes
Depuis un an, Mahmoud Tafesh entraîne des Gazaouies au base-ball. Face au Hamas, il ne baisse pas les bras et caresse l’espoir que son équipe franchira les postes frontières et jouera à l’étranger.
L’équipe féminine de base-ball de Gaza. / ASHRAF AMRA / safaimages
Quand on évoque le base-ball, on pense aux Yankees de New York, aux Red Sox de Boston, au joueur qui court de base en base, à la foule en délire qui hurle « Home Run ! » et, parfois, aux séquences inévitables des comédies romantiques américaines où il est commun de voir un premier baiser entre les protagonistes alors qu’ils s’entraînent à rattraper la balle.
Ce sport typiquement américain vient pourtant de franchir les frontières pour aller s’exporter dans un endroit que nul n’aurait pu prédire : la bande de Gaza. Ici, 1,8 million d’habitants s’entassent sur 365 kilomètres carrés. Enclavé entre l’Egypte et Israël, ce petit morceau de terre gouverné par le mouvement islamiste Hamas depuis 2007 est l’un des nœuds du conflit israélo-palestinien. Depuis quelques mois, c’est un autre vent de controverse qui souffle sur la région, car il y a désormais une équipe féminine de base-ball à Gaza.
Au commencement, c’est une idée saugrenue qui a germé dans la tête de Mahmoud Tafesh : entraîner des femmes gazaouies au base-ball. Pour cet ancien joueur de football professionnel – il a fait partie de l’équipe de Palestine de football durant seize ans – cette envie prend naissance en Egypte, en octobre 2016. Il rencontre l’un des trois entraîneurs de l’équipe nationale irakienne qui le familiarise avec les rudiments de ce sport et qui lui donne des cours de coaching express. « J’étais impressionné, relate Mahmoud Tafesh. J’ai immédiatement eu envie de diffuser le base-ball en Palestine. » Aussitôt dit, aussitôt fait. « Dès que je suis rentré, j’ai commencé une large campagne d’information dans mon entourage, auprès de mes amis », continue le coach, tout en sachant qu’il accumulait lui aussi les lacunes dans ce sport.
Autorisation familiale
Il regarde alors des dizaines d’heures de vidéos sur YouTube pour se familiariser avec les mouvements, les stratégies et le nom des équipes de la Ligue majeure de base-ball. Une technique d’apprentissage qu’il réutilisera plus tard avec ses joueuses, qui n’ont jamais vu un match de base-ball en vrai. Se pose alors deux questions épineuses pour Tafesh, étroitement liées à la réalité du gouvernement du Hamas, considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne.
Comment recruter des joueuses et comment s’équiper ? Car le cœur du problème est bien là, la loi rigoriste du gouvernement ne voit pas d’un bon œil les femmes qui font du sport. Après que le Hamas a pris le contrôle de Gaza, de nombreuses activités – et notamment le sport – ont été suspendues par peur des représailles. Aujourd’hui, la situation s’est un peu adoucie mais les femmes ne peuvent toujours pas pratiquer un sport en présence d’hommes. Pour échapper aux pressions, Mahmoud Tafesh est allé frapper à la porte de l’unique école sportive de Gaza.
Valentina Al-Shaer.
« Ces jeunes femmes étaient ma cible principale car elles ont déjà, en tant qu’étudiantes sportives, l’autorisation familiale de pratiquer un sport », explique Tafesh. Surprise, 20 filles répondent à l’appel de la batte et le coach monte sa petite équipe tout en bénéficiant d’une bienveillance inespérée de la part des familles. Sur le terrain, comme le veut la loi en vigueur, c’est en hijab, manches longues et pantalons amples qu’elles s’exercent, courent et tapent la balle. « Nous voulons jouer, comme peuvent le faire les hommes. On est destinées à autre chose qu’à la cuisine et au ménage ! », s’emporte Valentina Al-Shaer, l’un des premières femmes à avoir rejoint l’équipe de Mahmoud Tafesh. Pour autant, une frange de la société gazaouie voit cette émancipation féminine d’un mauvais œil.
Des battes façonnées avec des bouts de bois
Il y a un an, les passions se sont déchaînées sur Facebook, sous les premières photos de ces femmes considérées rebelles. « Certains ont dit que des femmes comme nous devraient aller en enfer, d’autres que nous ferions mieux de rester à la maison, révèle Valentina. Nous voulons prouver que nous sommes comme les hommes. » L’autre difficulté est matérielle. Inexistants jusqu’alors dans la bande de Gaza, les équipements sportifs ne sont pas nombreux dans la région. Avec les blocus israéliens et égyptiens instaurés depuis la prise du pouvoir du Hamas, les échanges marchands sont quasi nuls entre Gaza et ses voisins. Tafesh a trouvé un unique gant de base-ball au ministère des sports et en a fait faire des répliques par un tailleur local. Impossible, en revanche, de mettre la main sur une batte. Qu’à cela ne tienne, il en a façonné lui-même à partir de bouts de bois. Du do it yourself suffisant pour que les filles commencent leurs entraînements.
Aujourd’hui, Mahmoud Tafesh veut voir plus loin et il a un rêve : créer une équipe nationale qu’il pourra emmener jusqu’aux championnats de base-ball du continent asiatique, organisé par la Fédération d’Asie de base-ball. Une ambition qui semble bien au-delà du réalisable dans cette enclave où le sport reste quasi interdit aux femmes. En 2013, le groupe islamiste a interdit la participation féminine lors du Marathon de Gaza, contraignant l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency – « Office de secours et de travaux des Nations unies » pour les réfugiés de Palestine) à annuler la course. Contactés par Le Monde, les organisateurs ont refusé de s’exprimer sur le sujet. Pour autant, des associations s’échinent à développer les activités sportives dans la région, comme avec l’organisation d’un tournoi de foot féminin à Gaza, qui a eu lieu en février.
Un événement tellement plébiscité par la population locale que l’Unicef, organisatrice de la rencontre, entend bien ne pas s’arrêter là. « Après le succès du tournoi, nous allons mettre la pression sur le ministère de la jeunesse et des sports et la Fédération de football de Palestine pour qu’ils organisent des événements plus réguliers et qu’ils envisagent plus d’opportunités sportives pour les femmes », a ainsi déclaré Mohammed Abu Solimann, administrateur de programme au sein de l’Unicef.
Entraînement de l’équipe féminine de base-ball à Gaza. / DR
« Montrer que les femmes peuvent faire du sport à Gaza »
Pour l’heure, l’urgence pour les femmes de cette équipe de base-ball pas comme les autres, c’est le financement. « Depuis un an, j’utilise mes fonds personnels pour louer les terrains, payer les quelques équipements et diffuser ce sport, mais ça va vite devenir ingérable car les fonds se tarissent », expose l’entraîneur. Considéré comme le quatrième pays arabe à pratiquer ce sport (après la Tunisie, l’Irak et l’Egypte), Mahmoud lance un appel aux dons : « Je ne trouve aucun support officiel », dit-il dans un soupir.
En l’espace d’un an, sa campagne de recrutement a fait son effet, d’autres femmes se sont jointes à l’équipe. Ce ne sont aujourd’hui pas moins de 100 « base-balleuses » que Tafesh entraîne. Récemment, l’entraîneur a reçu l’approbation du ministère de la jeunesse et des sports pour la création de la première Union palestinienne de base-ball et de softball. Il espère par la suite pouvoir lancer une Ligue officielle de base-ball composée de cinq divisions pour organiser des matchs de grande envergure.
Ces femmes, comme beaucoup de sportifs, rêvent de franchir les postes frontières pour jouer à l’étranger. « Nous partageons tous le même but : représenter la Palestine et montrer au monde que les femmes peuvent faire du sport à Gaza », ajoute Iman Mughaier, une « base-balleuse » de 25 ans. Mais tant que les fonds seront insuffisants et que le Hamas contrôlera Gaza, Mahmoud Tafesh ne perd pas de vue son doux espoir et continue à entraîner ses filles, batte et ongles.