La malnutrition n’épargne plus aucun pays dans le monde
La malnutrition n’épargne plus aucun pays dans le monde
Par Audrey Garric
Une personne sur trois souffre de ce fléau, qu’il s’agisse de retard de croissance chez l’enfant, d’anémie chez la femme en âge de procréer ou de surpoids chez l’adulte.
Une enfant souffre de malnutrition aiguë et son frère d’une pneumonie dans un camp de réfugiés au Bangladesh. / ADNAN ABIDI / REUTERS
Pour la première fois, la planète entière est confrontée à une crise de la malnutrition. Selon le rapport sur la nutrition mondiale 2017, publié samedi 4 novembre, la totalité des 140 pays étudiés est confrontée à au moins une des principales formes de ce fléau : le retard de croissance chez l’enfant, l’anémie chez la femme en âge de procréer et le surpoids chez l’adulte. Et 88 % sont lourdement touchés par deux ou trois de ces troubles.
Si rien n’est fait pour enrayer la tendance, aucun des dix-sept Objectifs de développement durable, adoptés fin 2015 par les Nations unies afin d’« éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous », ne sera atteint d’ici à 2030. En découlerait une menace pour le développement humain mondial. Voilà le constat très inquiétant livré par un panel d’experts internationaux indépendants dans la quatrième édition de cet état des lieux annuel, le plus complet sur le sujet.
Il y a d’abord les chiffres bruts, qui donnent le tournis. Dans le monde, 2 milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments essentiels, comme le fer, la vitamine A ou l’iode ; 155 millions d’enfants de moins de 5 ans (23 %) présentent un retard de croissance, essentiellement en Afrique et en Asie, et 52 millions d’entre eux sont atteints de maigreur extrême ; 1,9 milliard d’adultes sont en surpoids ou obèses (32 % des hommes, 40 % des femmes), de même que 41 millions d’enfants de moins de 5 ans. Au total, une personne sur trois souffre de malnutrition, qualifiée de « nouvelle norme » par les auteurs – qui se basent sur les données des agences de l’ONU et des pays.
815 millions de personnes ont faim
Mais ce sont aussi les tendances qui inquiètent. Les chiffres sur la faim dans le monde évoluent dans la mauvaise direction : aujourd’hui, 815 millions de personnes se couchent le ventre vide, un chiffre en augmentation par rapport aux 777 millions de personnes recensées en 2015, comme l’a dévoilé l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture dans son rapport de septembre. En outre, 38 millions d’entre elles sont confrontées à une insécurité alimentaire grave au Nigeria, en Somalie, au Soudan du Sud, au Yémen, en Ethiopie et au Kenya.
Le nombre d’enfants de moins de 5 ans souffrant de malnutrition – responsable de près de la moitié des décès dans cette tranche d’âge – a certes diminué dans de nombreux pays, mais cette baisse n’est pas assez rapide pour atteindre l’objectif d’y mettre fin d’ici à 2030. Le nombre de femmes de 15 à 49 ans souffrant d’anémie a augmenté depuis 2012, pour atteindre 38 %, une pathologie qui entraîne des impacts à long terme sur la santé de la mère et de l’enfant.
Enfin, le surpoids et l’obésité sont en hausse quasiment partout, aussi bien dans les pays à fort revenu que dans les autres. Sur le continent nord-américain, un tiers des hommes et des femmes sont obèses, tandis que 10 millions d’enfants africains présentent une surcharge pondérale.
Echapper à la pauvreté
« Il est urgent de réagir à cet enjeu planétaire majeur, alerte Corinna Hawkes, la coprésidente du groupe d’experts à l’origine du rapport, qui dirige le Centre for Food Policy de l’université de Londres. Il s’agit dorénavant de lutter contre toutes les causes de malnutrition de manière intégrée, ce qui profitera par ailleurs à l’ensemble des Objectifs de développement durable. » La malnutrition coûte très cher – 10 % du PIB mondial. Mais, à l’inverse, chaque dollar investi offre un retour sur investissement de 16 dollars, indique le rapport.
Car une bonne alimentation soutient le développement économique. Les enfants qui mangent à leur faim et sainement ont 33 % de chances en plus d’échapper à la pauvreté à l’âge adulte. En raison d’un meilleur développement cognitif, ils enregistrent des performances scolaires supérieures, puis un taux de rémunération plus élevé. La nutrition est de ce fait corrélée à la hausse du PIB. « La prévalence du retard de croissance chez l’enfant diminue d’environ 3 % pour chaque tranche d’augmentation de 10 % du revenu par habitant », notent les auteurs.
Le système de santé s’avère également gagnant. Améliorer la nutrition permet de réduire les maladies chroniques d’origine nutritionnelle, qu’il s’agisse du diabète, des maladies cardio-vasculaires, de l’hypertension, mais aussi de plusieurs formes de cancer (de l’œsophage, du côlon, du rectum, des reins).
Approche multisectorielle
Que faire, alors, pour favoriser cet enjeu si central ? Pour les experts, tous les leviers doivent être activés : assurer une production alimentaire durable, améliorer les infrastructures qui acheminent les aliments du champ à l’assiette pour réduire le gaspillage alimentaire (30 % de la nourriture produite) et le mauvais assainissement (responsable de 50 % des cas de sous-alimentation), encourager l’allaitement, s’appuyer sur des systèmes de santé plus efficaces, favoriser l’équité, notamment vis-à-vis des femmes, lutter contre la pauvreté et réduire les risques de conflits ou de catastrophes.
« Nous devons mener des actions à double ou triple fonction. Par exemple, lutter à la fois contre la sous-alimentation et l’obésité implique de donner suffisamment de calories dans les cantines scolaires mais surtout de bonnes calories, explique Corinna Hawkes. Ou encore, favoriser l’accès à l’eau potable réduit les diarrhées et par conséquent le risque de sous-alimentation, tout en constituant une alternative aux boissons sucrées associées à la prise de poids. »
Pour lutter contre cette malnutrition, le Sénégal vient par exemple d’élaborer un plan quinquennal (2018-2022) qui fait intervenir douze ministères. « Il s’agit notamment de soutenir une agriculture familiale pour s’assurer que les ménages les plus vulnérables pourront produire, à partir de leur jardin, des aliments à haute valeur nutritive », détaille Abdoulaye Ka, coordinateur national de la cellule de lutte contre la malnutrition au Sénégal.
« Nous allons aussi intégrer des modules d’éducation nutritionnelle tout au long de la scolarité, poursuit l’expert, membre du comité qui a conseillé les auteurs du rapport. Au niveau du système de santé, les actions peuvent porter sur les consultations prénatales, pour assurer une bonne nutrition aux femmes enceintes et promouvoir l’espacement des naissances. Des services de proximité doivent également suivre la croissance des enfants en les pesant et en les mesurant tous les mois. » Coût du dispositif : 300 millions d’euros.
Financement insuffisant
C’est là que réside un défi majeur : dans le financement de ces mesures et le suivi des engagements. Or, ils s’avèrent insuffisants, selon le rapport. Les bailleurs de fonds ne consacrent que 0,5 % de l’aide publique au développement à la sous-alimentation, et 0,01 % à la lutte contre l’obésité et les maladies liées au régime alimentaire. Au total, 867 millions de dollars (746 millions d’euros) ont été alloués à la nutrition en 2015, huit fois moins que l’enveloppe qui serait nécessaire (70 milliards de dollars sur dix ans).
Le sommet mondial sur la nutrition qui se tient à Milan samedi a ainsi pour objectif de mettre davantage à contribution les gouvernements, les agences internationales, les fondations, les organisations de la société civile et du secteur privé. Ces acteurs devaient annoncer de nouveaux financements à hauteur de 640 millions de dollars, portant la somme totale à 3,4 milliards pour les prochaines années. Des promesses qu’il faudra ensuite honorer.