Les présidents tchadien et ougandais impliqués dans une affaire de corruption aux Etats-Unis
Les présidents tchadien et ougandais impliqués dans une affaire de corruption aux Etats-Unis
Par Christophe Châtelot
Un ex-chef de la diplomatie sénégalaise et un ancien premier ministre de Hongkong sont soupçonnés d’avoir versé des pots-de-vin aux chefs d’Etat contre des avantages commerciaux.
Les présidents tchadien Idriss Déby Itno et ougandais Yoweri Museveni. / LUDOVIC MARIN/AFP et GAEL GRILHOT/AFP
Les noms des présidents tchadien, Idriss Déby Itno, et ougandais, Yoweri Museveni, apparaissent en rouge dans un acte d’inculpation dressé le 16 novembre par la justice américaine dans le cadre d’une vaste affaire de corruption. Les faits incriminés s’étalent sur « plusieurs années » et portent « sur plusieurs millions de dollars » pour le compte d’une société pétrolière chinoise.
L’ancien ministre sénégalais des affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio (61 ans), ainsi qu’un ancien ministre de l’intérieur de Hongkong et secrétaire général d’une ONG fondée par le pétrolier chinois en question, Chi Ping Patrick Ho (68 ans), ont été arrêtés samedi 18 novembre aux Etats-Unis, officiellement inculpés et entendus par un juge. Ils sont soupçonnés d’avoir versé des pots-de-vin aux deux chefs de l’Etat africains en échange d’avantages commerciaux illicites.
Pots-de-vin de 2 millions de dollars
L’accusation la plus spectaculaire liée à des faits remontant à octobre 2014 concerne Idriss Déby Itno. Le chef de l’Etat tchadien, au pouvoir depuis 1990, aurait perçu des mains de Cheikh Tidiane Gadio un pot-de-vin présumé de 2 millions de dollars.
Le ressort de cette affaire est l’ambition commerciale d’une société pétrolière chinoise privée. Bien qu’elle ne soit pas nommée dans les documents américains, tout désigne la CEFC China Energy, une société de Shanghaï dirigée par Ye Jianming. Acteur récent sur la scène pétrolière internationale, relativement inconnu mais très introduit dans les cercles du pouvoir chinois, il a défrayé la chronique, début septembre, en rachetant pour 9 milliards de dollars 14,6 % de la major pétrolière russe d’Etat, Rosneft, détenus jusqu’alors par un fonds du Qatar et le groupe suisse Glencore. La CEFC détient des blocs pétroliers au Tchad ainsi que dans plusieurs Républiques d’Asie centrale.
Selon la plainte américaine, « Patrick Ho a engagé Cheikh Tidiane Gadio – qui avait une relation personnelle avec le président tchadien – pour aider la Compagnie d’énergie à avoir accès au président tchadien ». « L’objectif initial » des deux hommes, selon les enquêteurs, était de résoudre un différend opposant le gouvernement tchadien et la Compagnie pétrolière d’Etat chinoise (CPC) à laquelle la CEFC a finalement racheté des blocs d’exploitation gaziers et pétroliers au Tchad en 2016. « L’objectif ultime, ajoutent-ils, était d’obtenir des opportunités pétrolières pour la Compagnie [la CEFC] au Tchad. »
L’acte inculpation explique que Patrick Ho, agissant sur les conseils de Cheikh Tidiane Gadio, a incité, par courriel, la [CEFC] à gratifier le président tchadien « d’une belle enveloppe ». En fait, un pot-de-vin de 2 millions de dollars, sous couvert de « don pour des causes caritatives ». L’ancien ministre sénégalais (de 2002 à 2009) aurait perçu 400 000 dollars, virés en deux fois sur un compte à Dubaï, pour ses services rendus.
« “Don” à la réélection de Museveni »
Le dossier ougandais s’ouvre également en octobre 2014 à New York par un discret rendez-vous dans les couloirs du siège des Nations unies, entre Patrick Ho et le ministre ougandais des affaires étrangères de l’époque, Sam Kutesa. Mandaté par son pays, il présidait alors pour une année la 69e assemblée générale de l’ONU. Histoire de lever l’ambiguïté portant sur l’identité de la « compagnie d’énergie chinoise basée à Shanghai » citée dans l’acte d’inculpation, une photo diffusée à l’époque par Radio Chine Internationale montre Sam Kutesa et Ye Jianming, souriants, après la nomination de ce dernier en tant que « conseiller spécial honoraire » du premier.
« Patrick Ho et le ministre ougandais des affaires étrangères ont discuté d’un “partenariat stratégique” entre l’Ouganda et la [CEFC] pour diverses entreprises commerciales, formées une fois (…) de retour en Ouganda », peut-on lire dans le document à charge. En février 2016, « après qu’il eut repris ses fonctions de ministre et que sa belle-famille ait été réélue à la présidence de l’Ouganda, il a fait virer 500 000 dollars par l’intermédiaire d’une banque à New York. Dans ses communications, Ho a diversement qualifié ce paiement de “don” à la campagne de réélection du président de l’Ouganda ». En fait, ce paiement était un pot-de-vin afin de permettre à la CEFC d’obtenir des avantages commerciaux et autres contrats dans le secteur financier (rachat d’une banque) et énergétique en Ouganda.
Inculpés pour corruption et blanchiment d’argent, Patrick Ho et Cheikh Tidiane Gadio sont passibles de plusieurs dizaines d’années d’emprisonnement.