« 3 Billboards » : une soif de vengeance désespérée
« 3 Billboards » : une soif de vengeance désespérée
Par Isabelle Regnier
Le film de Martin McDonagh approche le formalisme à l’ironie mordante des frères Cohen, mais fait aussi preuve d’une certaine désinvolture.
En choisissant de remettre un Golden Globe à Frances McDormand pour sa performance dans 3 Billboards, Les panneaux de la vengeance, les journalistes de la Foreign Press Association, ne se sont pas trompés. S’il y avait un prix à décerner à cette comédie noire qui galvanisa, en septembre 2017, les publics de Venise et de Toronto, c’était bien celui de la meilleure actrice. Le rôle qu’elle y interprète, celui de Mildred Hayes, une femme qui se bat pour que justice soit rendue à sa fille, violée et assassinée quelques mois plus tôt, aurait sans doute pu être joué par d’autres. Mais le projet de Martin McDonagh, cinéaste irlandais, remarqué en 2008 pour Bons baisers de Bruges et auteur, en 2013, de Sept psychopathes, qui se voit aujourd’hui propulsé dans le grand bain de l’auteurisme chic à l’américaine, en aurait été altéré.
Exercice d’admiration du cinéma des frères Coen, 3 Billboards en épouse le formalisme, les grands motifs et l’ironie mordante, tandis qu’il puise dans Fargo ses éléments de contexte : le décor – une petite ville perdue dans les grands espaces du Midwest –, des personnages de flics dont le niveau d’incompétence, de je-m’en-foutisme et de conservatisme obtus, a fait sauter tous les compteurs, et l’actrice Frances McDormand. La mémoire de l’inoubliable fliquette qu’elle y jouait alors, héroïne butée, futée et sans chichi, noyée dans un océan d’inculture et de bêtise, infuse le film de McDonagh, dont elle est, pour cette raison même, à la fois l’âme et le socle.
L’histoire commence quand Mildred Hayes, découvrant trois immenses panneaux publicitaires en voie de décomposition sur le bord d’une route de campagne, que plus personne n’emprunte depuis qu’une autoroute a été construite à côté, a l’idée de les louer à l’année pour y inscrire, en lettres noires sur fond carmin, un message scindé en trois parties : « Violée pendant qu’elle agonisait il y a plusieurs mois/Toujours pas la moindre arrestation/Pourquoi, shérif Willoughby ? » Le genre d’événement incongrus qui, chez les frères Coen, déclenche une cascade de catastrophes dont chacune relance le scénario dans une nouvelle direction, toujours plus surprenante. La tonalité abrasive du message de Mildred, qui hurle l’horreur des faits pour empêcher que ce crime dont a été victime sa fille se dissolve comme tant d’autres dans le silence et l’oubli, donne à ce début de film une tonalité féministe offensive, que renforcent les allégations sur les violences racistes commises dans l’enceinte du commissariat par un certain Dixon (Sam Rockwell).
Deus ex machina
Mais cette veine politique va tendanciellement s’effriter. A mesure que la personnalité du shérif Willoughby (Woody Harrelson) se révèle très différente de celle de l’affreux redneck Dixon, le geste de Mildred se teinte d’une forme d’arbitraire qui, s’il peut se justifier par la cause qu’elle défend, n’en paraît pas moins cruel. Père de famille et mari aimant, modèle d’intelligence et de bonté, Willoughby se sait atteint d’un cancer incurable. Non contente d’avoir déclenché l’ire de la police, Mildred se met ainsi toute la ville à dos. Il n’y a guère que Red Welby, le publicitaire qui lui a loué ses panneaux (formidable Caleb Landry Jones, vu dans Twin Peaks, Get Out et The Florida Project), et James, le nain de la ville qui en pince pour elle (Peter Dinklage, alias Tyrion Lannister de la série Game of Thrones), pour prendre son parti.
Electrisée par des décharges de violence intenses, étoffée par une galerie de personnages hauts en couleur, la mécanique scénaristique, bien huilée de bout en bout, entraîne le film dans un flot rocambolesque où la brave Mildred, confite de douleur et de culpabilité, s’abandonne à une soif de vengeance désespérée. Mais, à la différence des frères Coen, qui poussent généralement la noirceur absurde à sa limite ultime, Martin McDonagh choisit de la dissoudre au bout d’un moment dans un bain de miel, à la faveur d’une série de deus ex machina inattendus.
Si les choses se révèlent moins évidentes qu’elles n’y paraissent, elles ne sont pas complexes pour autant. C’est là la limite de ce film qui, comme les précédents de l’auteur, masque sous la virtuosité une relative désinvolture. En troquant ce qui ressemblait à un point de vue politique acéré contre un bréviaire moral simpliste (la haine de l’autre étant fille de la souffrance, il suffirait de renoncer à sa colère pour faire du monde un lieu de justice et d’harmonie), le cinéaste se débarrasse à bon compte des questions brûlantes qu’il soulevait au début de son film.
3 Billboards, Les Panneaux de la Vengeance | Bande Annonce [Officielle] VF HD | 2017 #1
Durée : 02:38
Film américain de Martin McDonagh. Avec Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell (1 h 55). Sur le web : www.facebook.com/ThreeBillboardsOutsideEbbing,
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 16 janvier)
- The last family, film polonais de Jan P. Matuszynski (à ne pas manquer)
- Alice Comedies volume 2, programme de quatre courts-métrages américains de Walt Disney (à voir)
- Enquête au paradis, documentaire français et algérien de Merzak Allouache (à voir)
- 3 Billboards, les panneaux de la vengeance, film américain de Martin McDonagh (à voir)
- La surface de réparation, film français de Chris Régin (à voir)
- Ami-Ami, film français de Victor Saint Macary (à voir)
- Le rire de ma mère, film français de Colombe Savignac et Pascal Ralite (pourquoi pas)
- Last Flag Flying, film américain de Richard Linklater (pourquoi pas)
- In the fade, film allemand de Fatih Akin (on peut éviter)
- L’Enfant de Goa, film indien, hollandais et français de Miransha Naïk (on peut éviter)
- La juste route, film hongrois de Ferenc Török (on peut éviter)
Nous n’avons pas pu voir
- Brillantissime, film français de Michèle Laroque
- Femme et mari, film italien de Simone Godano
- Notre créativité oubliée, film français de Etienne Gary
- Trois Silences, film français de Diane Rudychenko, Nilolaus Roche-Kresse
- 24h Limit, film américain de Brian Smrz
- Winter War, film français de David Aboucaya