Comprendre la nature et les risques de la « marée noire » en mer de Chine
Comprendre la nature et les risques de la « marée noire » en mer de Chine
Par Eléa Pommiers
Près d’une semaine après le naufrage du pétrolier iranien, la nappe d’hydrocarbures continue de s’étendre en mer de Chine, près de la principale zone de pêche du pays.
Le naufrage du pétrolier Sanchi pourrait être à l’origine d’une des plus importantes pollutions marines de ces dernières années. Ce bateau iranien, chargé de 136 000 tonnes de condensat, a percuté un navire commercial hongkongais en mer de Chine orientale le 8 janvier et a brûlé durant une semaine avant de sombrer, le 14 janvier.
Lundi 22 janvier, les autorités chinoises ont alerté sur une nappe d’hydrocarbures de plus de 330 kilomètres carrés qui continuait à se répandre au large de la Chine.
Le naufrage du Sanchi constitue le premier accident impliquant un pétrolier transportant du condensat. A ce titre, ses conséquences sont particulièrement difficiles à anticiper.
Infographie Le Monde
Peut-on parler d’une « marée noire » ?
On parle généralement de « marée noire » pour désigner une pollution massive par des hydrocarbures noirs, bruts ou raffinés.
Dans le cas du Sanchi, seul le fioul destiné à l’alimentation du navire entre dans cette catégorie. Selon les autorités chinoises, le pétrolier iranien en contenait tout au plus 2 000 tonnes.
« On est loin des quantités qui génèrent classiquement ce qu’on appelle des marées noires », relève Christophe Rousseau, directeur du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE).
Le pétrole devrait cependant persister à la surface de l’eau et se transformer en « boulettes » qui pourraient s’échouer sur les côtes des pays avoisinants en fonction des courants maritimes.
Dans l’industrie, les hydrocarbures légers et incolores, comme le condensat libéré par le Sanchi, sont appelés « produits blancs ».
Le condensat est un produit issu des gaz contenus dans les puits et qui se transforment en liquide au moment de l’extraction, du fait des variations de températures et de la pression atmosphérique.
Comme l’explique Christophe Rousseau, il s’agit d’un produit très léger, particulièrement dans le cas du Sanchi, et encore moins soluble qu’une essence. La majeure partie va ainsi s’évaporer.
Les 136 000 tonnes déversées en mer de Chine ne provoqueront donc pas de « marée noire » au sens strict, comparable aux grands déversements de pétroles habituels. En revanche, du fait de sa légèreté, le condensat est un produit qui se répand très vite, d’où la taille croissante des nappes d’hydrocarbure.
Les condensats contenus dans le « Sanchi » répendent une nappe d’huile en surface qui s’étend très rapidement. / HANDOUT / REUTERS
En quoi le naufrage du « Sanchi » est-il particulier ?
Selon les recensements du CEDRE, il s’agit du premier accident d’un pétrolier transportant du condensat. Le caractère inédit de cet accident n’est « pas complètement surprenant, car le trafic de condensat augmente depuis une dizaine d’années du fait de l’exploitation commerciale des puits de gaz », souligne M. Rousseau. Il est également l’un des plus meurtriers, puisque 32 marins y ont perdu la vie.
En 2016, le CEDRE a recensé 38 événements ayant entraîné des déversements de polluants d’au moins 10 mètres cubes. Entre 2004 et 2015, la médiane annuelle de ces événements était de 29. Au regard de la flotte et du trafic maritime mondiaux, ces accidents sont donc rares.
En 2016, la conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement recensait plus de 90 000 navires de commerce, dont près de 28 % étaient des pétroliers, et plus de 10 milliards de tonnes de marchandises transportées.
Quels sont les principaux risques liés à cet accident ?
S’il ne pollue pas en profondeur, le condensat crée un risque de pollution atmosphérique en brûlant et en s’évaporant. Mais les autorités chinoises et les experts redoutent surtout les conséquences sur la biodiversité. En outre, cet accident survient alors que les eaux de la mer de Chine souffrent déjà d’une pollution existante due à l’important trafic maritime de la région et à la surpêche.
La Chine était toujours le principal producteur et exportateur de produits de la mer en 2014, selon le dernier rapport de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Entre 2013 et 2014, les volumes pêchés par la Chine ont augmenté de 300 000 tonnes.
La plus grande zone de pêche chinoise, Zhou Shan, se trouve en mer de Chine orientale. Selon Greenpeace, cette zone abrite de nombreuses espèces de poissons et est un lieu de migrations pour plusieurs espèces de baleines. En 2016, cinq millions de tonnes de poissons y ont été pêchées.
Le naufrage du Sanchi pourrait provoquer le déplacement des stocks de poissons, dans une zone déjà surexploitée où les ressources se font rares. Le condensat étant un produit particulièrement léger, il devrait rester en surface ou à quelques mètres sous la surface et affecter le plancton, d’après Christophe Rousseau.
Greenpeace a également souligné que le produit serait toxique tant qu’il ne serait pas assez dilué pour être « biodégradé », ce qui devrait toutefois être rapide en raison de sa « légèreté ». Cependant, il est pour le moment impossible de savoir quelle quantité de condensat a brûlé dans l’incendie du navire, ni quelle quantité s’est déversée en mer avant qu’il ne sombre, ce qui rend très incertain l’évaluation des risques.
Y a-t-il déjà eu des fuites d’hydrocarbures équivalentes ?
Sur les cinquante dernières années, une dizaine d’accidents ont provoqué le déversement de plusieurs milliers de tonnes d’hydrocarbures dans les eaux, mais aucun en mer de Chine.
Par exemple, en mars 1978, l’Amoco Cadiz, supertanker libérien, avait sombré au large du Finistère en déversant 227 000 tonnes de brut sur 400 kilomètres de côtes françaises.
En 1979, la collision entre l’Atlantic Empress et l’Aegean Captain, au large de Tobago, avait provoqué le déversement de 276 000 tonnes de pétrole (soit la plus grosse marée noire due à un pétrolier) et la mort de 30 marins.
Les quantités de pétrole déversé dans la mer ou dans l’océan à l’occasion de naufrages sont cependant incomparables avec les accidents sur des plateformes pétrolières.
En 1979, l’explosion du puits de pétrole Ixtoc Uno avait par exemple laissé s’écouler de 500 000 à 1 500 000 tonnes de pétrole dans le Golfe du Mexique.
Plus récemment, en 2010, l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, exploitée par BP dans le Golfe du Mexique, avait fait 11 morts et provoqué le déversement d’environ 800 000 tonnes de pétrole.
D’importantes marées noires ont également eu lieu malgré des niveaux d’hydrocarbures bien moindres. Ce fut le cas, par exemple, avec l’Exxon Valdez en Alaska en 1989 (38 500 tonnes), qui a causé une marée noire de plus de 7 000 kilomètres carrés, de l’Erika en France en 1999 (20 000 tonnes) ou du Prestige en Espagne en 2002 (64 000 tonnes).
NB : les chiffres relatifs aux quantités d’hydrocarbures déversées lors des différentes marées noires sont ceux indiqués par le CEDRE.