Le Premier ministre turc Binali Yildirim, le 29 novembre, à Ankara. | ADEM ALTAN / AFP

Le premier ministre turc, Binali Yildirim, a annoncé, jeudi 8 décembre, l’ouverture d’une ligne de crédit de 250 milliards de livres turques (68 milliards d’euros) au secteur privé, touché de plein fouet par la crise. L’instabilité géopolitique, les relations tendues avec l’Union européenne, la perspective d’un dollar fort sont à l’origine de la tourmente qui secoue l’économie.

Délais pour le paiement des charges, restructuration des crédits, octroi à chaque PME d’un crédit de 50 000 livres turques remboursable sur trois ans : il s’agit de stimuler le secteur privé, mis à mal par le ralentissement de la croissance (3,1 % contre 4,7 % en rythme annualisé au premier trimestre) et la baisse de la livre turque (– 10 % par rapport au dollar), devenu la plus volatile des monnaies émergentes.

Cinq mois après la tentative de putsch, suivie par une vague de purges drastiques (39 274 personnes mises en examen et écrouées), l’économie est entrée dans une zone de turbulences. La production industrielle a chuté de 4,9 % en juillet et encore de 3,1 % en octobre, la fréquentation touristique, source importante de devises, a baissé de 37 % par rapport à 2015. L’inflation est à 7 % l’an, loin des 5 % prévus par les autorités. Le chômage étant revenu à son niveau de 2010 (11,3 % en août), le gouvernement a annoncé le financement de formations professionnelles pour un demi-million de personnes.

Dépréciation

Véritable colonne vertébrale de l’économie, les PME, qui pèsent 39 % du PIB, 76 % des emplois et 54 % des investissements, sont au cœur de la tourmente. Endettées à court terme en devises étrangères, elles peinent à rembourser. D’autant que la livre turque ne cesse de se déprécier. Depuis 2012, elle a perdu 45 % de sa valeur par rapport au dollar et autant par rapport à l’euro.

Malgré l’intervention de la banque centrale, qui a relevé, jeudi 24 novembre, son principal taux directeur de 7,5 % à 8,5 %, rien ne semble pouvoir enrayer la chute de la monnaie turque. Jeudi soir, juste après les annonces du premier ministre, la livre est repartie à la baisse (3,49 pour un dollar contre 3,41 en début de journée), comme si le plan gouvernemental ne suffisait pas à rétablir la confiance des investisseurs. Ceux-ci ont soldé pour 2,4 milliards d’euros d’actions et d’obligations en novembre. La Banque centrale a dû injecter des liquidités (1,5 milliard d’euros) en puisant dans ses réserves de change.

La crise qui s’installe est très mal venue pour le président Recep Tayyip Erdogan, hanté par son projet d’« hyperprésidence ». L’avenir politique du pays est ainsi suspendu au référendum qu’il veut convoquer, à l’été 2017, pour se tailler un costume de leader à la mesure de ses ambitions. Jusqu’ici, la prospérité économique était la clé du succès électoral de sa formation politique, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), le PIB du pays ayant triplé depuis son arrivée au pouvoir en 2002. La crise actuelle fait du référendum un exercice à risques.

L’arme du patriotisme économique brandie par M. Erdogan ne suffira pas à renverser le cours des choses. « Si tu aimes cette patrie, cette nation, alors toi aussi passe à la livre turque », a-t-il déclaré récemment, enjoignant à la population de convertir ses dollars en livres. Depuis, certains commerçants proposent à ceux qui peuvent justifier de la vente de leurs devises, qui une coupe de cheveux à l’œil, qui une pierre tombale gratuite. En réalité, les Turcs semblent s’être plutôt jetés sur les devises, avec 1 milliard de dollars achetés dans la dernière semaine de novembre.

La confiance est ébranlée. La responsabilité de la direction politique est pointée du doigt. Pour Erdal Saglam, commentateur économique du quotidien Hürriyet, les déclarations anti- occidentales de M. Erdogan ces dernières semaines ont renforcé le climat d’instabilité. « La mauvaise conduite des affaires du pays et l’autoritarisme du président sont à l’origine de la crise. Son autoritarisme augmente, car il sent que les choses lui échappent », écrit Nuray Mert, dans une tribune publiée par Hürriyet le 5 décembre.