Au Cameroun, « je mène une véritable bataille pour payer la scolarité de mes enfants »
Au Cameroun, « je mène une véritable bataille pour payer la scolarité de mes enfants »
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
La classe africaine (11). Même si son salaire ne suffit pas, Luc Herric Mbenoun préfère placer ses enfants dans le privé que dans le public où « il n’y a aucun suivi ».
Luc Herric MBenoun et les bulletins de notes de ses quatre enfants. / Josiane Kouagheu
Les enfants jouent dans la cour poussiéreuse. Les adultes, assis à l’ombre d’un arbre, les observent avec inquiétude. « Les congés de Noël sont presque finis. Il faut vite trouver de l’argent pour payer la deuxième tranche de leurs frais de scolarité », soupire Moïse Epée, 58 ans. En face de lui, son neveu, Luc Herric Mbenoun, secoue la tête, le regard perdu. Ce grand gaillard de 43 ans, casquette vissée sur la tête, est le père de quatre enfants âgés de 7, 9, 10 et 12 ans, inscrits respectivement en CP, CE1, CM1 et 5e.
Comme de nombreux parents de Ngodi Bakoko, quartier situé à l’entrée est de Douala, la capitale économique du Cameroun, Luc Herric doit se battre pour envoyer ses enfants à l’école. « Je mène une véritable bataille durant toute l’année scolaire, avoue-t-il. Tous mes enfants sont scolarisés dans des établissements privés qui sont assez chers. Les frais de scolarité vont de 60 000 francs CFA [91 euros] pour chacun des trois enfants inscrits à l’école primaire, à 140 000 francs CFA pour ma fille aînée qui est au collège. C’est dur, car je suis l’unique source de revenus de toute la famille. »
« Grâce à Dieu, on m’accorde des moratoires »
Entraîneur d’arts martiaux, Luc Herric Mbenoun gagne 70 000 francs CFA par mois, soit deux fois le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) camerounais. Une somme qui lui permet de payer son loyer de 40 000 francs CFA, de régler ses factures d’eau et d’électricité, et de nourrir sa famille. A la fin du mois, il peine à faire des économies.
Infographie "Le Monde"
« Je suis alors obligé de faire d’autres jobs comme celui de conducteur de moto-taxi pour survivre, précise-t-il. Avant, j’étais employé à plein temps dans une structure en tant que formateur d’agents de sécurité. Malheureusement, j’ai été licencié. » A chaque rentrée scolaire, Luc Herric fait face au même problème : après l’achat des fournitures, chaussures et uniformes scolaires, l’argent manque pour les frais de scolarité de ses quatre enfants.
« Grâce à Dieu, on m’accorde des moratoires depuis des années. Je paie leur scolarité par petites tranches de 10 000 ou 20 000 francs CFA, à des dates bien définies dans le contrat que je signe avec les responsables de leur établissement respectif », lâche-t-il, en tournant les pages du bulletin de sa fille aînée. Malgré ces faveurs, le père de famille ne parvient pas à honorer ses engagements et ses enfants passent « entre trois et cinq jours malheureux à la maison chaque trimestre », le temps pour lui de réunir l’argent nécessaire.
L’école publique, école des « vraiment pauvres »
Pourtant, selon un décret présidentiel du 19 février 2001, l’école primaire publique est gratuite pour tous les élèves au Cameroun. Pourquoi ne pas y inscrire ses enfants ? « L’école publique, c’est de la merde, tranche Luc Herric avec colère. Il n’y a aucun suivi. J’y ai inscrit mes enfants une année. Ils étaient livrés à eux-mêmes et les enseignants, déjà insuffisants, venaient quand ils voulaient, sans compter les sommes d’argent injustifiables que réclamaient les responsables de ces écoles. »
Les établissements publics rencontrent de nombreuses difficultés au Cameroun. Au-delà de la pénurie d’enseignants, les syndicalistes dénoncent les salaires de misère dans la profession, la vétusté des infrastructures et les effectifs pléthoriques dans des établissements où l’on compte parfois plus de 100 élèves par classe.
Comme Luc Herric, nombreux sont alors les parents qui privilégient le privé, convaincus d’offrir la « meilleure » éducation à leur progéniture. Selon lui, dans les écoles privés, les effectifs sont « très moyens » et les enseignants « donnent des devoirs, les corrigent et suivent l’enfant sur la durée ».
Pour Emmanuel Mbassi Ondoa, secrétaire général de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (Fecase), le secteur éducatif privé est mieux équipé matériellement et propose un meilleur environnement aux éducateurs et apprenants. Cet enseignant assure que ce sont les parents « vraiment pauvres » qui choisissent alors le public.
« Les parents des classes moyenne et aisée misent sur le privé, où les frais de scolarité dépassent parfois les 150 000 francs CFA. Ils savent qu’en sortant de là, leurs enfants seront mieux lotis. Pour trouver du travail, il faut avoir des compétences », dit-il.
Assis sur une table basse, Luc Herric Mbenoun feuillette, sourire satisfait aux lèvres, les quatre bulletins de notes de ses enfants. « Ils ont tous réussi au premier trimestre. Je suis prêt à tout pour leur offrir une bonne éducation. Dans des écoles privées ! », lance-t-il, déterminé.
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.