« Dans le nouveau bac, le poids des humanités est plus important »
« Dans le nouveau bac, le poids des humanités est plus important »
Epreuves écrites, grand oral, fin des filières… quel impact auront ces nouveautés ? Notre journaliste Violaine Morin, spécialiste de l’éducation, a répondu à vos questions.
Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a présenté mercredi 14 février le visage du « nouveau baccalauréat ». Cette nouvelle mouture de l’examen bicentenaire sera mise en place en 2021, pour les élèves qui entrent en seconde en 2018. Aussi critiquée qu’attendue, elle suscite encore bien des questions, chez les élèves comme chez les enseignants. Dans un tchat, Violaine Morin, journaliste au Monde, a répondu à quelques-unes de ces interrogations.
Maman d’élève de 3e : On parle de contrôle continu mais n’est ce pas simplement une modification du calendrier des épreuves ?
Vous mettez le doigt sur l’une des vraies-fausses nouveautés de cette réforme. Le contrôle continu consistera bien, en effet, en des épreuves anticipées. Simplement, elles seront locales (corrigées dans l’établissement mais par d’autres profs, comme le bac blanc), et elles seront réparties au cours des deux années de première et de terminale. En revanche, l’examen du bulletin comptera pour 10 % dans la note finale – mais ce n’est pas énorme. C’était un point très délicat de la réforme, et nous pensons qu’il a été arbitré comme cela pour éviter de provoquer un tollé autour de la question de l’équité entre tous les lycéens.
Kaelh : Les sujets de ces épreuves anticipées seront-ils uniques par académie ou chaque lycée pourra-t-il faire les siens ?
Les sujets seront choisis dans une banque de sujets nationale.
Mohammed1999 : Les personnes qui passent le bac en juin 2018 seront-elles concernées par cette réforme ? Les matières seront-elles choisies par les élèves ? Et est-ce vraiment la fin des filières ?
Non, les personnes qui passent le bac en juin 2018 ne sont pas touchées par cette réforme, puisqu’elle se met en place progressivement pour les élèves qui arrivent en seconde en 2018 et passeront leur bac en 2021. Pour le dire autrement, les premiers élèves touchés sont aujourd’hui en classe de troisième !
Les matières ne seront pas toutes choisies par les élèves. Il y aura un tronc commun avec plusieurs matières obligatoires (français, histoire-géo, LV1, LV2, enseignement moral et civique, EPS, humanités scientifiques et numériques, puis en terminale le français s’arrête, car vous passez le bac français en première, et la philo s’ajoute). Ensuite, l’élève choisira trois spécialités en première et deux en terminale. Les spécialités possibles sont :
- arts
- écologie, agronomie et territoires
- histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques
- humanités, littérature et philosophie
- langues et littératures étrangères
- mathématiques
- numérique et sciences informatiques
- SVT
- sciences de l’ingénieur
- SES
- physique-chimie
AS : Les élèves pourront-ils choisir librement leurs « majeures » et « mineures », quel que soit leur niveau dans les différentes matières ?
C’est un peu difficile à dire à ce stade, mais on imagine mal comment l’orientation d’un élève (qui est le grand enjeu de la réforme) pourrait ne pas tenir compte de son niveau.
PM : Avons-nous des précisions sur les horaires du tronc commun par discipline ? Avec quinze ou seize heures pour ce tronc commun, peut-on dire que les heures d’enseignement vont être particulièrement réduites par rapport à aujourd’hui ?
Voici la maquette du tronc commun, en première :
- français : 4 heures
- histoire-géo : 3 heures
- enseignement moral et civique : 30 minutes
- langue vivante 1 et langue vivante 2 : 4 h 30
- EPS : 2 heures
- humanités scientifiques et numériques : 2 heures
En terminale, même schéma, sauf que le français est remplacé par la philo (4 heures), et les langues vivantes passent de quatre heures trente minutes à quatre heures.
Pour répondre à votre question, a priori personne n’est réellement perdant. Les élèves, en fonction de leurs « profils » (sciences humaines, lettres, arts, sciences dites « dures »…), choisiront des disciplines de spécialité aux horaires importants (trois spécialités de 4 heures par semaine en première, deux de six heures en terminale).
A titre personnel, mon seul vrai doute est sur la philo. Certes, elle augmente pour les S, qui n’avaient que trois heures auparavant et qui en auront quatre de tronc commun désormais. Mais pour ceux qui la prennent en option (ils ne sont pas légion, il y a 15 % de bacheliers L sur les séries générales…), la philo a donc quatre heures de tronc commun, et six heures d’une nouvelle matière hybride, « humanités, littérature et philosophie ». C’est à la fois beaucoup et peu, puisque dans cette matière hybride, on ne connaît pas la part de la philosophie. Auparavant, les bacheliers L avaient huit heures de philo par semaine…
Sissi : Pourquoi une épreuve finale de philo pour tous ?
La philosophie a été retenue dans le projet de réforme comme étant une « discipline universelle », qui doit aider les élèves à apprendre à réfléchir par eux-mêmes pour devenir des citoyens éclairés. Sans remettre en cause ce principe, on peut aussi risquer une analyse politique : il paraîtrait insensé qu’un ministre qui se revendique de la philosophie des Lumières songe à rendre facultative la philosophie.
Noizay : Est-ce que les professeurs de philosophie auront à corriger l’épreuve de spécialité philosophie en avril-mai et l’épreuve généraliste de philosophie en juin ?
Le détail des heures de service pour les enseignants n’est pas détaillé à ce stade. Vous avez cependant raison de poser la question : si le nouveau bac a été pensé pour alléger le poids de l’examen terminal, il y a une discipline pour laquelle le résultat est un peu discutable, c’est la philo. Seuls les enseignants de philosophie et de lettres (qui corrigent le français anticipé en première) auront potentiellement deux épreuves à corriger.
Thomas : Que penser du fait que les mathématiques aient un volume horaire si faible dans le tronc commun (deux heures… partagées avec les autres matières scientifiques) alors que le rapport rendu par Cédric Villani préconise au contraire de mettre l’accent sur cette matière et d’en faire une priorité nationale ?
En réalité, les mathématiques sortent plutôt renforcées de cette réforme, si vous regardez bien : dans le tronc commun, il n’y a effectivement que deux heures partagées avec les autres disciplines scientifiques. Donc les littéraires auront peu de mathématiques, mais c’était déjà le cas auparavant. En revanche, pour les profils scientifiques qui prendront les maths en spécialité, il y aura quatre heures en première et six heures en terminale, auxquelles il faut ajouter deux options destinées à ceux qui veulent poursuivre une formation scientifique, « mathématiques expertes » ou bien « mathématiques complémentaires » (on ne peut en choisir qu’une seule, pour trois heures par semaine).
Gascogne : Bonjour, comment pouvez-vous dire que les mathématiques sortent renforcées ? Il n’en est rien : le poids des humanités toutes combinaisons opérées est exorbitant. Les sciences expérimentales sortent très affaiblies en poids horaire par rapport à l’existant (décapitées en seconde). Et puis passer une majeure scientifique au bac en février laisse craindre que l’année s’arrête là pour les lycéens. Et on sait ce que valent les « options facultatives »…
Je voulais dire que les maths restent obligatoires pour tous (au sein de l’enseignement « humanités numériques et scientifiques ») et que les scientifiques peuvent garder des maths en terminale même s’ils choisissent physique et SVT, voire ajouter une option de mathématiques renforcées.
Les sciences disposent de quatre heures chacune en première pour un élève qui choisirait physique, SVT et maths en spécialité. Et les sciences expérimentales ne sont pas décapitées en seconde, puisque l’année de seconde est inchangée.
Par contre, là où vous avez raison, c’est lorsque vous dites que le poids des humanités toutes combinaisons opérées est plus important. C’est exact : même en prenant le parcours le plus scientifique possible, on arrive autour de 40 % d’humanités dans le poids total du bac. Je vous renvoie à ce titre à notre article sur les craintes des enseignants à la veille de la remise de la copie. Les professeurs de SVT et de physique-chimie étaient les plus inquiets.