Attaques dans l’Aude : Radouane Lakdim, un terroriste suivi par la DGSI
Attaques dans l’Aude : Radouane Lakdim, un terroriste suivi par la DGSI
Par Soren Seelow
Fiché pour radicalisation, le terroriste faisait partie du « haut du spectre ». Mais aucun signe ne laissait envisager un « passage à l’acte », selon le procureur de la République de Paris.
Les forces de l’ordre déployées devant le domicile de Radouane Ladkim, vendredi 23 mars en fin de journée. / ULRICH LEBEUF / MYOP / « Le Monde »
L’auteur de l’attaque terroriste qui a fait trois morts à Trèbes et Carcassonne, vendredi 23 mars dans l’Aude, a été identifié comme étant Radouane Lakdim, un petit dealeur de 25 ans vivant à Carcassonne. Condamné pour usage de stupéfiants, il avait été signalé pour sa radicalisation, en raison notamment de son activité sur des forums salafistes. Il était à ce titre inscrit au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et avait fait l’objet d’un suivi par les services de renseignement en 2016 et 2017.
« Nous l’avions suivi et nous pensions qu’il n’y avait pas de radicalisation », a expliqué à la presse le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, évoquant « un solitaire » qui serait « passé à l’acte brusquement ». Une source proche des services de renseignement nuance à peine ce constat, précisant que cet « objectif » était « faiblement radicalisé ». Lors d’un point presse en fin de journée, le procureur de la République de Paris, François Molins, a varié d’un degré, expliquant que son « suivi » pour radicalisation « n’avait mis en évidence aucun signe précurseur laissant présager un passage à l’acte ».
La complexité de la tâche des services antiterroristes tient tout entière dans ces subtiles variations : à partir de quel degré de « radicalisation » un individu peut-il être considéré comme dangereux ? Près de 20 000 personnes sont aujourd’hui inscrites, comme Radouane Lakdim, au FSPRT. Sur nombre, 11 000, les plus sensibles, sont « pris en compte » par les services, 4 600 dossiers étant « clôturés » et 3 500 « en veille ». Aucun Etat démocratique n’étant en mesure d’assurer la surveillance de plusieurs milliers de citoyens, l’analyse de leur dangerosité constitue une étape cruciale pour prévenir les passages à l’acte.
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Un objectif potentiellement dangereux
Or, selon les informations du Monde, Radouane Lakdim faisait partie des « objectifs » du FSPRT « pris en compte » par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il correspondait donc au « haut du spectre », qui regroupe les individus potentiellement dangereux, les profils moins lourds étant suivis par le renseignement territorial. Le premier diagnostic sur sa dangerosité a donc été le bon. C’est durant son suivi que cet objectif semble avoir floué les services.
Radouane Lakdim est-il passé à l’acte sur un coup de tête, comme le laisse entendre le ministre de l’intérieur ? Est-ce son profil hybride de petit dealeur qui a conduit à sous-estimer la menace ? Etait-il passé maître dans l’art de la taqqya, cette doctrine coranique justifiant la dissimulation pour duper l’adversaire ? L’enquête devra l’établir. « Il y a encore une incompréhension des profils mixtes, analyse une source proche des services de renseignement. On semble continuer à penser qu’un petit dealeur ne peut pas être un dangereux djihadiste. »
Depuis le début de l’insurrection syrienne, la menace terroriste en France a muté. Endogène et diffuse, elle est de plus en plus indépendante de la chaîne de commandement de l’organisation Etat islamique (EI). Parmi les auteurs des seize projets d’attentat conçus en France depuis juillet 2017, aucun n’avait ainsi mis les pieds en Syrie. Et aucun des deux derniers terroristes à être passés à l’acte – une attaque à la voiture-bélier le 9 août contre des militaires à Levallois-Perret, et l’assassinat de deux femmes à Marseille, le 1er octobre – n’était connu des services de renseignement.
L’attaque de vendredi a été rapidement revendiquée par l’organe de presse semi-officiel de l’EI, AMAQ. Le texte, publié en arabe, en français et en anglais pour une publicité optimale, évoque un « soldat de l’Etat islamique » ayant répondu « à l’appel de l’Etat islamique à frapper les pays de la coalition ». Cette formulation désigne généralement les attentats inspirés par la propagande, et non pilotés depuis la Syrie. Un élément de langage qui confirme un des succès de l’organisation : si l’EI a perdu son projet territorial, il a conquis les esprits et n’a plus besoin de passer ses ordres pour susciter des vocations.