Reprise : avec Antonio, Marcello déchirait son image de « latin lover »
Reprise : avec Antonio, Marcello déchirait son image de « latin lover »
Par Murielle Joudet
Le film de Mauro Bolognini, avec Mastroianni et Claudia Cardinale, ressort en salle en version restaurée.
De retour dans sa ville natale de Catane en Sicile, Antonio Magnano (Marcello Mastroianni) jouit d’une solide réputation d’homme à femmes. Ses parents, qui ont contribué à nourrir cette image de coureur de jupons, ont arrangé un mariage entre leur fils et la belle et sage Barbara Puglisi (Claudia Cardinale), la fille du notaire. Les deux tourtereaux fraîchement mariés s’installent à la campagne, mais c’est alors que la rumeur se propage : le mariage n’aurait pas été consommé, et la famille de Barbara menace d’annuler cette union.
Le Bel Antonio, dont le scénario, coécrit par Pier Paolo Pasolini, est tiré d’un roman de Vitaliano Brancati, accomplit l’étonnante et comique prouesse de ne parler, pendant une heure quarante-cinq, que de sexualité, tout en reconduisant la formule qui dit que ceux qui en parlent le plus sont ceux qui le font le moins.
Prisonnier de sa réputation
Et c’est surtout la vie sexuelle d’Antonio qui est au cœur des conversations, mâle dominant salué sur son passage par tous les habitants de Catane. A travers lui s’exalte une certaine idée de la masculinité : être un homme, c’est être fertile, volage, viril.
Antonio est à ce point célébré qu’une inquiétude finit par poindre : serait-il autre chose qu’un coq dans une basse-cour ? Là où il passe, l’homme fait l’objet de commentaires élogieux et de compliments, comme si sa vie sexuelle, dont il est absolument dépossédé, était semblable à un match de foot que tout le monde aurait regardé la veille. Par cette invraisemblable logorrhée collective aussi comique qu’effrayante, le brûlot ne se fait pas attendre. Car à travers cette caricature, c’est la société italienne qui est visée : l’Eglise catholique, l’asphyxiante cellule familiale et le voile d’hypocrisie qui crée un profond déséquilibre entre l’expérience des hommes et l’immaturité sexuelle des femmes.
Celles-ci, victimes d’une vision puritaine, se divisent d’ailleurs en deux catégories : il y a celles avec lesquelles on prend du plaisir, et celles, sacralisées, avec lesquelles on se marie ; la vision puritaine et dissociée de la femme entre la maman et la putain.
C’est de cette impossible réconciliation entre deux images que souffre Antonio. Un détail en rend compte : l’homme tombe amoureux de sa future femme sans l’avoir jamais vue, si ce n’est en photo. Barbara est une icône, un « ange », comme Antonio aime à l’appeler, elle est donc intouchable. Et c’est pourtant elle qui se plaint de ne pas être « honorée » par son mari. Si bien qu’on ne sait plus ce que signifie respecter une femme : la toucher ou la tenir à distance.
Très habilement, et sous les atours d’une fable qui évoque à beaucoup d’égards le cinéma de Luis Buñuel et une version inversée de Cet obscur objet du désir, Le Bel Antonio parvient à faire remonter à la surface tout cet arrière-fond de forces contraires qui hante un homme au point qu’il ne puisse plus jouir.
Etonnante actualité
Antonio, prisonnier de sa réputation, c’est aussi Marcello Mastroianni qui, de concert avec Mauro Bolognini, s’amuse à déchirer l’image de latin lover qui lui a toujours collé à la peau, à la manière d’un Cary Grant qui aimait à mettre en scène sa part féminine et bisexuelle dans les films de Howard Hawks – Le Bel Antonio sort quelques mois après La Dolce Vita.
D’une étonnante actualité, le film raconte de manière très limpide que la sphère la plus intime, la sexualité, n’est pas un monde hors-sol. Elle est soumise à l’air du temps. Peut-être est-ce là une des constantes du cinéma italien de l’époque, qui n’a cessé de mettre en scène cette bataille entre l’individu et le collectif, tentant de faire reculer la famille, la société et la religion, pour qu’enfin puissent triompher l’intimité, l’imaginaire, le fantasme.
Le Bel Antonio - Bande annonce (Version restaurée 2018) HD VOST
Durée : 01:28
Film italien de Mauro Bolognini (1961). Avec Marcello Mastroianni, Claudia Cardinale, Pierre Brasseur, Tomas Milian (1 h 45). Sur le Web :