A l’université de Tours, les étudiants ont voté la fin du blocage
A l’université de Tours, les étudiants ont voté la fin du blocage
Par Caroline Pain
A l’issue d’une assemblée générale clivante, les étudiants de Tours ont voté, vendredi,à 194 contre le blocage, 168 pour, et une vingtaine d’abstentions.
Environ 300 étudiants étaient rassemblés, vendredi 6 avril, devant le site des Tanneurs bloqués depuis mardi. / Caroline Pain / Le Monde
« Vous savez où a lieu l’AG ? », interroge Adam, étudiant en droit, en arrivant devant le bâtiment principal du site des Tanneurs de l’université de Tours. « On va se mettre ici devant les marches, au soleil », lui répond-on. Des étudiants commencent à se regrouper sur la petite esplanade, à deux pas des berges de la Loire, où des banderoles « Non à la sélection » ont été accrochées entre les arbres. Il est 13 h 50, vendredi 6 avril, l’assemblée générale pour discuter du futur de la mobilisation va commencer.
Depuis mardi 3 avril, le site qui rassemble les UFR d’arts, sciences humaines, lettres et langues est bloqué. Une cinquantaine d’étudiants, du collectif étudiant contre la loi Vidal, à l’origine de la mobilisation, se relaient pour assurer l’occupation du bâtiment Thélème, le dernier encore ouvert sur le site.
Même si ce n’est pas son UFR, Adam a décidé de venir pour se renseigner et voir ce qui allait être décidé pour la suite. Son amie Lydie, étudiante en droit aussi, mais qui compte rejoindre le site des Tanneurs à la rentrée prochaine pour étudier l’histoire, est assez partagée : « C’est important qu’ils puissent défendre leurs idées, c’est vrai que, dans la loi [Vidal], il y a des choses choquantes comme le fait pour les professeurs d’évaluer les élèves sur leur personnalité… Mais ils veulent défendre les étudiants et leurs droits et les empêchent d’aller en cours, c’est un peu contradictoire. »
Etudiant en histoire sur le site des Tanneurs, Clément les accompagne. Il explique que « l’université a réagi rapidement et s’est organisée pour qu’on puisse assister aux cours et premiers partiels ». Les cours ont été délocalisés dans d’autres bâtiments, souligne-t-il, évoquant les emplois du temps mis à jour en ligne et des e-mails d’information très fréquents. Mais à l’approche des partiels, il déplore la fermeture de la bibliothèque, où il a l’habitude de travailler.
Les cours et examens délocalisés
Les trois camarades se rapprochent des marches, où d’autres se rassemblent. « Salut à tous, bienvenue à cette AG, annonce Rachel, une membre du collectif. On va s’occuper de modérer les tours de parole, donc, si vous voulez parler, venez ici donner votre nom. Est-ce que quelqu’un s’y oppose ? » Face à elle, environ 300 personnes, pas de réaction, l’AG commence.
Premier sujet abordé, la manifestation menée par des étudiants le matin même. Ils racontent s’être faits « coursés par des flics matossés qui tapaient tout le monde et ont étranglé certains, trois personnes ont fait des malaises ».
Clément, l’étudiant en histoire, prend la parole. « Sans vouloir légitimer la violence, il faudrait peut-être préciser que vous étiez sur la route à ce moment-là et que, parmi vous, il y avait des lycéens, donc des mineurs. » Il est applaudi par les étudiants défavorables au blocage et hués par ceux favorables. Deux camps se dessinent et vont s’exacerber pendant le reste de l’après-midi.
Un membre du collectif à l’origine de la mobilisation explique les raisons du mouvement de blocage, alors que les étudiants sont venus voter pour ou contre celui ci. / Caroline Pain / Le Monde
Arrive ensuite la question des raisons du blocage. Une étudiante demande au collectif d’expliquer clairement ses revendications et surtout : « pourquoi s’opposer maintenant à la loi alors qu’elle a été votée ? »
Un membre du collectif répond : « On refuse qu’une sélection soit mise en place à l’entrée de l’université, en plus, imaginez pour les lycéens comme c’est compliqué, les lettres de motivation, faire les bons choix, etc. A côté de ça, il y a la question du financement de la recherche, les fameux labels IDEX [initiative d’excellence] qui vont faire mourir les petites facs comme la nôtre. »
« Laissez-nous étudier ! »
Le point central du débat reste la question de l’accès aux cours et aux examens. « On ne veut pas 10/20 à nos partiels, lance un représentant du syndicat UNI venu prendre la parole. On veut simplement aller faire nos examens. » « Donne une solution alors ! », l’interpelle une étudiante dans la foule. « Voter la fin du blocage ! » rétorque-t-il. Et d’ajouter, sur un ton provocateur : « Laissez-nous étudier pour qu’on puisse réussir nos partiels, nous, au moins ! »
Comme un match de ping-pong, chaque camp se renvoie la balle. Des propositions sont lancées : occupation un jour sur deux et révisions communes pour une membre du collectif ; barrage filtrant et dépénalisation des heures sur tous les UFR pour un autre étudiant ; ou encore reconduite du blocage du site, ainsi que blocage de la préfecture et des « actions et manifestations plus théâtrales ».
Il est 16 h 15, après plus de deux heures d’assemblée, certains s’impatientent et prennent la parole à la volée. Des éclats de voix tonnent. « Allez, on vote !, scande un étudiant en polo bleu et lunettes de soleil. Vous attendez juste qu’on finisse par partir pour gagner le vote… »
« A gauche ceux pour et à droite ceux contre le blocage »
La foule s’agite, les modérateurs demandent d’écouter les dernières prises de parole. Une étudiante monte sur les marches. « J’entends que vous défendiez des causes, mais je vais vous donner quelques chiffres : j’ai un abonnement de train qui me coûte déjà 70 euros, si en plus je dois ajouter 20 euros par semaine de bus pour aller sur les autres sites, ça commence à faire un peu cher, j’ai clairement pas les moyens… »
Léa, présente dans la foule, acquiesce. « Pour les étudiants qui, comme moi, travaillent à côté, ça demande une organisation supplémentaire. Je fais des heures dans un restaurant à Orléans, où mes parents habitent et je suis dans la réserve de la gendarmerie à Tours, donc quand je leur dis à plusieurs reprises que j’ai finalement un cours ou un examen à la dernière minute, je ne suis pas très bien vue », sourit l’étudiante en première année de psychologie.
Place au vote : « à gauche ceux pour et à droite ceux contre le blocage », annonce un modérateur. Pour assurer un vote juste et équitable, le collectif propose que deux personnes de chaque camp comptent le groupe adverse. Une technique simple se met alors en place : tout le monde se tient debout et au fur et à mesure qu’on décompte les étudiants chacun s’assoit.
Au moment du vote, deux groupes se forment, à gauche les contre et à droite les pour. / Caroline Pain / Le Monde
Après deux décomptes, le verdict tombe. 194 contre le blocage, 168 pour, une vingtaine d’abstentions. Quelques cris de victoire s’élèvent dans le camp des contre. Et rapidement, la foule se disperse. « Je suis contente d’être venue, conclut Lydie. C’était bien de participer, il y avait des bons arguments des deux côtés, avec des temps de parole. »
Rachel, membre du collectif, approuve. « L’avantage du blocage, c’est qu’on a le temps de discuter, d’échanger. Mardi, quand on a voté pour la première fois, c’était moins le cas puisqu’un cours allait avoir lieu dans l’amphi où on était. » Malgré la déception, la jeune femme n’en démord pas : « On va sûrement reproposer le blocage lors d’une prochaine AG, la mobilisation ne s’arrête pas. » A quelques mètres, un groupe d’étudiantes se salue. « A lundi, alors ! », lance l’une d’elles avec un clin d’œil.