TV – « Une terre deux fois promise : Israël-Palestine »
TV – « Une terre deux fois promise : Israël-Palestine »
Par Antoine Flandrin
Notre choix du soir. Croisant les analyses et témoignages d’historiens des deux camps, Blanche Finger et William Karel proposent une lecture sobre et équilibré du conflit (sur Arte à 20 h 50).
Comment aborder l’histoire d’Israël, soixante-dix ans après sa naissance difficile ? Tant d’ouvrages et de documentaires l’ont racontée qu’on se demande s’il est encore possible de dégager de nouvelles analyses. Blanche Finger et William Karel proposent dans Une terre deux fois promise, film en deux parties, une lecture sobre, parfois poignante, du conflit israélo-palestinien, qui prend en compte le temps long. Le renouvellement perceptible dans ce documentaire ne repose pas tant sur le découpage chronologique – de 1896, date de la publication de L’Etat des juifs, du journaliste austro-hongrois Theodor Herzl, à la guerre des Six-Jours, en 1967 – que sur le dialogue équilibré que les auteurs ont réussi à construire entre une multitude d’historiens israéliens et palestiniens.
Aveuglement politique
Côté israélien, la parole est donnée à des intellectuels de sensibilités différentes. On trouve notamment Anita Shapira, professeure à l’université de Tel-Aviv, dont les travaux sur l’histoire du sionisme sont respectés, mais critiqués parce qu’ils font peu de cas de la question arabe. Dina Porat, historienne en chef du Centre international de recherche sur la Shoah de Yad Vashem, pointe le cynisme des dirigeants de l’Agence juive, qui se sont servis des survivants de l’Holocauste pour rallier l’opinion publique à la cause sioniste.
Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France (2000-2002), connu pour être un défenseur de la création d’un Etat palestinien, ne se montre pas moins très critique vis-à-vis des Palestiniens, qui, selon lui, n’ont pas réussi à organiser « une lutte intelligente et efficace » contre l’occupant israélien.
L’historien Shlomo Sand ne cache pas son hostilité à la politique israélienne, qu’il considère agressive sur le plan militaire et en grande partie responsable du conflit qui oppose le pays à ses voisins arabes.
Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948, par David Ben Gourion. / © ROCHE PRODUCTIONS
Côté palestinien, si moins d’historiens ont été sollicités, on retrouve ce même souci de mettre en avant une diversité de récits historiographiques. Avec beaucoup de recul, un Arabe de Palestine qui sait qu’il ne reviendra pas vivre sur sa terre natale, Elias Sanbar, raconte la Nakba, l’exode de la population palestinienne pendant la guerre israélo-arabe de 1948. L’universitaire Sari Nusseibeh dénonce l’attitude des dirigeants palestiniens, qui, selon lui, se sont accommodés de ce conflit inextricable.
Amneh Badran, professeure de science politique à l’université Al-Qods de Jérusalem, se veut sans concession, notamment lorsqu’elle revient sur les germes du conflit. Selon elle, le slogan des juifs qui s’installèrent en Palestine à la fin du XIXe siècle – « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre » – fut « le pire des mensonges ».
Intelligemment bâti autour d’un riche fonds d’archives, ce dialogue, qui croise des témoignages à la fois personnels et clairvoyants, permet de comprendre comment le conflit israélo-palestinien a débouché, des deux côtés, sur un aveuglement politique qui n’a fait qu’empirer après 1967.
Cette même lucidité transparaît dans les propos des dix écrivains israéliens, dont Amos Oz, David Grossman, Avraham B. Yehoshua et Zeruya Shalev, auxquels Blanche Finger et William Karel ont donné la parole dans un second film intitulé Histoires d’Israël. Ceux-ci racontent avec humour, sensibilité et lucidité leur pays, à la fois hédoniste et hanté par l’Holocauste, le traumatisme des guerres et le quotidien sous tension. Le film, qui rend compte du bouillonnement que connaît la scène littéraire israélienne, offre, là encore, grâce à la finesse du montage, un portrait à la fois passionnant et inquiétant de la société israélienne. Les auteurs interrogés ont le sentiment que leurs compatriotes vivent comme si l’occupation des territoires palestiniens n’existait pas.
Non moins stimulant, le film de Duki Dvor, Mossad : des agents israéliens parlent. D’anciens espions et responsables de haut rang évoquent leurs états de service. Rafi Eitan raconte comment il a capturé Adolf Eichmann à Buenos Aires en 1960, une opération qui fit la réputation des services secrets israéliens. Danny Yatom, ancien directeur du Mossad, revient pour sa part sur le fiasco que fut la tentative d’empoisonnement de Khaled Mechaal, à Amman, en 1997. L’agent Mishka Ben-David explique qu’il a dû donner l’antidote pour sauver la vie du leadeur du Hamas après que les agents, qui l’avaient aspergé de poison dans la rue, avaient été arrêtés et remis aux autorités jordaniennes. Si la mise en scène de ce film est par moments un peu lourde – il en rajoute volontiers sur l’obsession des agents interrogés à ne pas entrer dans les détails –, celui-ci ne manquera pas de ravir les amateurs d’histoires d’espionnage.
Une terre deux fois promise : Israël-Palestine, de Blanche Finger et William Karel (Fr., 2017, 110 min). Suivi, à 22 h 55, de Mossad : des agents israéliens parlent, de Duki Dvor (All., 2017, 35 min).
Histoires d’Israël, de Blanche Finger et William Karel (Fr., 2017, 55 min), le mercredi 25 avril, à 22 h 35.