Cannes 2018 : « Euforia », le bonheur d’être deux
Cannes 2018 : « Euforia », le bonheur d’être deux
Par Véronique Cauhapé
Dans la section Un certain regard, Valeria Golino suit avec une tendresse infinie deux frères, dont la maladie de l’un les conduit à se rapprocher.
Riccardo Scamarcio à l’hôtel Marriott à Cannes, le 15 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
En 2013, Valeria Golino, actrice de plus de soixante-dix rôles, passait réalisatrice avec un premier film, Miele, qui fut présenté à Cannes : l’histoire d’une jeune femme qui aidait, dans le secret, des malades à mourir. En 2018, l’Italienne revient au Festival pour son deuxième long-métrage, Euforia, sélectionné dans Un certain regard, la même catégorie que le précédent. Le récit, cette fois, de deux frères aux personnalités très différentes, que la maladie de l’un va conduire à se rapprocher et à mieux se connaître.
C’est dire si la mort apporte son ciment aux débuts derrière la caméra de Valeria Golino. Il ne faut cependant pas s’y méprendre. Le thème, si grave soit-il, ne sert pas de ferment à une quelconque tristesse larmoyante. Il est, au contraire, le prétexte à une accélération de la vie, dans ce qu’elle peut contenir de meilleur. Elle met en scène, dans Miele et Euforia, cette urgence à laquelle oblige la fin proche.
Valeria Golino sur le tournage de son deuxième long-métrage, « Euforia ». / ANDREA PIRRELLO/PANAME DISTRIBUTION
Matteo (Riccardo Scamarcio) et Ettore (Valerio Mastandrea) en font l’expérience, qui sont amenés à se retrouver après des années gâchées à s’éloigner l’un de l’autre. Et pour cause. Enfant de la dolce vita, Matteo vit à Rome, où, devenu entrepreneur à succès, il se dépense sans compter dans les fêtes, le sexe, l’alcool et la cocaïne. Ettore, lui, professeur de collège, n’a jamais quitté la petite ville de province où ils sont nés. Le premier est aussi flambeur et hâbleur que le second est modeste et discret. Pourtant, quand Matteo apprend qu’Ettore est atteint d’une tumeur au cerveau, il n’hésite pas à l’héberger, mettant tout en œuvre pour cacher à son frère et à toute la famille la gravité de la situation : Ettore n’a plus que quelques mois à vivre.
Euphoria (Euforia) new clip official from Cannes - 1/3
Durée : 01:01
Choc des cultures
L’arrivée de ce dernier dans le grand appartement de Matteo – design dernier cri, tableaux et objets d’art, équipement haute technologie – indique qu’il y a choc des cultures, la silhouette pudique et prudente d’Ettore semblant passer comme une ombre dans ce décor aux murs d’une blancheur immaculée. Un cadre luxueux dont le pendant austère nous apparaîtra plus tard, dans les chambres et les salles d’examen de l’hôpital où la haute technologie aura pour usage, non plus la mise en route de jeux vidéo, mais la détection des cancers. Ettore y aura toujours l’air d’une ombre.
Euphoria (Euforia) new clip official from Cannes - 2/3
Durée : 01:27
Quand son frère arrive, Matteo demeure fidèle à ce qu’il est, décide de tout, prend en charge les affaires courantes. L’autre rechigne, veut qu’on lui foute la paix. Héritiers d’une enfance complice dont ils gardent le souvenir, les frangins finissent cependant par s’abandonner aux confidences, partager des rires, partir en escapade. Chacun essayant d’entrer dans l’univers de l’autre, avec maladresse ou de manière fallacieuse. Ettore en s’achetant une montre hors de prix sur l’argent de Matteo. Matteo en ingérant des médicaments prescrits à Ettore ou en se faisant opérer des… mollets (qu’ils jugent trop fins). Ces tentatives de rapprochement modulent le ton du film, produisent une variété d’inflexions qui, si diverses soient-elles, demeurent dans une légèreté égale, tant dans l’émotion que dans la drôlerie.
Valerio Mastandrea à l’hôtel Marriott à Cannes, le 15 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »
Ce pas de deux que jouent les deux personnages principaux du film, Valeria Golino le tient sans jamais lâcher ses acteurs, qu’elle escorte au plus près en plans serrés, les séparant par des champs-contrechamps ou les réunissant dans le cadre, sans jamais en juger aucun, ou préférer l’un à l’autre. Ces deux frères – sur lesquels la réalisatrice pose un regard d’une infinie tendresse, relayé par une mise en scène classique – sont inséparables. « Et si tu n’existais pas/Dis-moi pourquoi j’existerais/Pour traîner dans un monde sans toi/Sans espoir et sans regret. » La bande-son de la chanson fredonnée par Joe Dassin au tout début du film (et qui reviendra de façon plus cocasse ensuite) ne dit pas autre chose.
Euphoria (Euforia) new clip official from Cannes - 3/3
Durée : 01:41
Film italien de Valeria Golino. Avec Riccardo Scamarcio, Valerio Mastandrea, Isabella Ferrari (2 heures). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.paname-distribution.com et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/euforia