Gagner ou pouponner : les sportives de haut niveau françaises ne veulent plus choisir
Gagner ou pouponner : les sportives de haut niveau françaises ne veulent plus choisir
Par Maud Obels
Pendant des décennies, une grossesse signifiait pour elles la fin de leur carrière. Mais au sein des fédérations sportives les choses semblent toutefois évoluer.
Salaire, médiatisation… les inégalités entre les sports masculins et féminins ne manquent pas. Sans parler de l’une des principales : le droit de fonder une famille sans renoncer à une carrière. Sur ce plan, les choses sont toutefois en train de changer. Car, à l’image de la joueuse de tennis américaine Serena Williams, qui, de retour sur le circuit après sa grossesse, a obtenu un statut de tête de série à Wimbledon – statut privilégié que lui avait refusé à la fin de mai l’organisation de Roland-Garros –, les femmes ne veulent plus avoir à choisir entre leur vie de sportive et leur vie de famille. « Avant les années 1990, les sportives arrêtaient leur carrière avant d’avoir un enfant, explique Aurélie Ledon, docteur en psychologie du sport. Maintenant, elles ne laissent plus le choix au staff. »
Pas si simple : la grossesse est encore souvent vue comme une rupture signant la fin des performances, et nombreuses sont celles qui attendent de terminer leur carrière pour fonder une famille, quitte à faire des enfants tard et à quitter précocement leurs terrains de jeux.
Les sportives se retrouvent souvent bien seules pour surmonter ce moment délicat de leur carrière. « Rien n’est adapté pour les accompagner », reconnaît Marie-Françoise Potereau, présidente de la Femix’Sports, organisation de promotion du sport féminin, et vice-présidente de la fédération de cyclisme.
L’ancienne volleyeuse Victoria Ravva a eu des jumelles en 2006 et a mis un terme à sa carrière en 2015, après avoir gagné dix-huit fois la Coupe de France, avec le RC Cannes. / VALERY HACHE / AFP
Sandra Dijon, basketteuse championne d’Europe et plusieurs fois vice-championne de France, a fait cette expérience tôt dans sa carrière, enceinte à 21 ans, en 1997, alors qu’elle n’était encore que semi-professionnelle. Un enfant imprévu qu’elle a élevé seule, et qui ne l’a pas empêchée de mener une carrière professionnelle de 24 ans à 42 ans. « Sincèrement, on est livré à soi-même, estime-t-elle. Rien n’est prévu pour les sportives. »
Elevant son enfant seule, elle a dû non seulement se remettre en condition physique mais également prévoir et financer la garde de son fils pendant les longs déplacements à l’étranger. « S’il existait un accompagnement, beaucoup plus de filles qui se sont arrêtées auraient repris. Un coach pourrait par exemple permettre de ne pas prendre trop de poids pendant la grossesse et de retrouver plus rapidement une bonne condition physique. »
Jacques « Jacky » Commères, dirigeant des équipes nationales à la fédération nationale de basket-ball, nuance. Selon lui, si les dispositifs d’accompagnement sont peut-être insuffisants dans les clubs, la fédération est plus à l’écoute. « Nous sommes attentifs à ces choses-là, cela fait partie de la vie. L’accompagnement existe, par exemple le statut de joueuse internationale permet d’avoir une période de soin et de réathlétisation avant l’intégration en équipe nationale. »
Performances post-partum
Les fédérations sportives ont en fait tout à gagner à accompagner leurs joueuses dans leur choix de vie, car la grossesse peut avoir des vertus et les exemples de performances plus élevées post-partum ne sont pas rares. Selon Carole Maître, gynécologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), « la grossesse augmente la capacité aérobie de 20 % à 30 %, dès le deuxième mois. Si cet apport est entretenu, il peut perdurer jusqu’à un an après l’accouchement ».
Ainsi, la biathlète Marie Dorin-Habert a été sacrée double championne du monde de biathlon en mars 2016, six mois seulement après la naissance de sa fille. Mélina Robert-Michon, lanceuse de disque qui vient d’avoir, début juin, sa deuxième enfant, a quitté l’entraînement seulement trois ou quatre mois pour la naissance de sa première fille, en 2010, alors qu’elle avait 30 ans.
Et c’est après cet heureux événement qu’elle a réalisé ses meilleures performances : vice-championne du monde en 2013, vice-championne d’Europe en 2014, vice-championne olympique en 2016… « J’avais besoin d’une coupure, de faire autre chose. Et je me suis rendue compte que ça me manquait, explique-t-elle. Cela a également été l’occasion de faire des changements techniques, de se fixer de nouveaux objectifs. »
Mélina Robert-Michon, lanceuse de disque, a réalisé ses meilleures performances après la naissance de sa première fille, en 2010. / BEN STANSALL / AFP
« Mon coach a vu ma fille comme une force, confirme Marie Martinod, skieuse acrobatique. Quand tu laisses ton enfant pour partir en compétition, tu ne veux pas que ce soit pour rien, tu as les crocs. » « J’étais beaucoup plus épanouie après la naissance de mes jumelles, estime également Victoria Ravva, championne de volley-ball multititrée. La gestion du stress est plus facile, ça aide à mener une carrière plus sereinement. »
Le risque de perdre club et sponsors
Malgré ces exemples de réussite, la décision de faire un enfant demeure un risque important pour les sportives de haut niveau. Le risque de ne pas retrouver de club dans les sports collectifs : « Mon club, le Racing club de Cannes, m’a soutenue et a prolongé mon contrat, raconte Victoria Ravva. Mais cela faisait déjà onze ans que j’y jouais. Cela n’aurait sans doute pas du tout été la même chose si je venais d’arriver. Certaines filles se retrouvent sans contrat, et donc sans boulot, avec un enfant à charge. »
Le risque de perdre ses sponsors pour les sports individuels : « Lorsqu’on arrête pendant un an, les partenaires ne pensent plus à nous », explique la skippeuse Samantha Davies. Elle est partie en quête d’un nouveau sponsor pour le Vendée Globe de 2012 alors qu’elle était enceinte. Difficile de convaincre les directeurs d’entreprise qu’elle serait sur le pont à peine quelques mois plus tard. « Mes partenaires ont signé quand mon fils avait à peine trois semaines. »
La skippeuse Samantha Davies a profité d’une période entre deux Vendée Globe pour donner naissance à son fils. Elle sera à nouveau au départ de cette course en 2020. / DAMIEN MEYER / AFP
Une fois les capacités physiques retrouvées, la principale complexité vient de l’organisation quotidienne, qui repose encore majoritairement sur les épaules des femmes, d’autant que les compagnons des sportives sont souvent eux-mêmes des sportifs. « Au niveau français, pas grand-chose n’est fait pour les aider à avoir un enfant pendant leur carrière, contrairement aux pays anglo-saxons, explique le docteur Aurélie Ledon. Par exemple il existe une seule crèche pour les enfants de sportives à l’Insep et elle n’accepte les enfants qu’à partir de 18 mois. »
Les pays anglo-saxons sont régulièrement cités comme exemple par les sportives. Ainsi, la footballeuse Sonia Bompastor, qui a joué deux ans aux Etats-Unis, expliquait dans une interview pour le site Foot Mercato, en 2015, que, là-bas, « lors des mises au vert et des rassemblements en groupe, que ce soit en club ou en sélection, il est autorisé que le mari et les enfants puissent venir au même hôtel que les joueuses. Elles peuvent passer du temps avec leurs enfants et leurs conjoints. En France, on reste en groupe et on évite que des personnes puissent venir interférer. » Même discours de Camille Abily pour le magazine Surface, qui a évolué au sein de la Women’s Professional Soccer et qui raconte que « le club payait la place pour les enfants » et même qu’« une nourrice était prévue par le club adverse pour les garder ».
Obliger les instances à réagir
Si cette question commence à émerger de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est surtout grâce à la mobilisation des sportives. Ainsi, la boxeuse, championne olympique, Estelle Mossely a créé un Observatoire européen du sport féminin. « Les sportives revendiquent l’importance que cette question a sur leurs performances sportives. Les instances vont être obligées de réagir », estime Aurélie Ledon.
« La réflexion d’un statut particulier sera menée, prévoit Marie-Françoise Potereau, de la Femix’Sports. Mais il y a déjà une évolution. Il y a vingt ans, une grossesse en cours de contrat était considérée comme une faute professionnelle. »
Difficile pourtant de se faire entendre quand on est si peu nombreuses, une dizaine chaque année en France dans le très haut niveau, selon Aurélie Ledon. Ces femmes espèrent devenir des exemples. « Pour cela, comme pour le reste, dans les sports à haut niveau, il faut une grande force mentale, explique Samantha Davies. Mais on peut y arriver. » Mélina Robert-Michon, qui prévoit de reprendre l’entraînement en septembre, s’y prépare déjà : « Je sais que ça va être dur, mais je serai contente d’y retourner. »
Les femmes encore largement minoritaires dans le haut niveau
Un siècle après la création des premières sections sportives féminines, en 1917, il est toujours difficile pour une femme de se faire une place dans le haut niveau. En 2014, la part des femmes dans les collectifs de haut niveau se situait encore largement en dessous de celle des hommes : 37,8 % contre 62,3 %, selon le ministère des sports.
Ce chiffre cache une très grande disparité entre les sports. Ainsi, si la natation comptait, en 2016, 124 sportives de haut niveau pour 133 hommes, il n’y en avait que 70 dans le cyclisme, pour 165 hommes.
Dans l’encadrement également, les femmes peinent à s’imposer : en 2016, parmi les 1 600 conseillers techniques sportifs, seules 285 étaient des femmes, et on dénombrait 11 présidentes de fédération sportives, sur 115.