Coupe du monde 2018 : promis, le groupe vit bien
Coupe du monde 2018 : promis, le groupe vit bien
Par Adrien Pécout (Istra, envoyé spécial)
Depuis le début, les joueurs de l’équipe de France, malgré l’écart générationnel, cohabitent de façon idyllique.
Après l’ouverture du score sur penalty d’Antoine Griezmann face à l’Australie, le 16 juin,à Kazan. / SERGIO PEREZ / REUTERS
Il faut tout le sang-froid du farceur. Dans l’avion, un jeune homme tout sourire prend la pose devant un autre en train de dormir, main sur la joue. Le premier s’appelle Kylian Mbappé, le second Paul Pogba, qui tous deux portent le survêtement frappé du coq. Celui de l’équipe de France. D’autres vidéos existent, fragments d’un même discours : ici, des coéquipiers tapant le carton, là, chantant ou dansant en plein vol.
Bref, le groupe vit bien, comme on dit. L’expression veut tout dire et rien à la fois. Rien, le plus souvent, tant cette formule ressemble à une phrase creuse. De celles que se refilent les communicants du football comme autant de viatiques, dans une Coupe du monde où il faut aussi naturellement « prendre les matchs les uns après les autres » et où « tout se joue sur des détails ».
Sauf que là, insistent les joueurs, promis, le groupe vit vraiment bien ! Il y a des signes, soit. Ce plaisir qu’ils ont à prendre l’avion ensemble, peut-être. Cette envie primordiale de gagner ensemble, surtout. Après déjà six victoires en Russie, les Bleus en espèrent une septième qui les ferait tout simplement entrer dans l’histoire de leur sport : ils affronteront la Croatie en finale du Mondial, dimanche 15 juillet, à Moscou.
Pétanque et jeux vidéo
Les victoires engendrent-elles la bonne humeur, ou bien l’inverse ? Sans résoudre le paradoxe de l’œuf et de la poule, Kylian Mbappé se contente de souligner que le groupe a déjà deux mois de vie commune derrière lui. « Deux mois ensemble, si vous ne vous appréciez pas, c’est long. » Or, « c’est passé vraiment vite », sourit-il, regardant tantôt la caméra de TF1, tantôt son coéquipier Benjamin Mendy, qui tentait de le chambrer après la victoire (1-0) sur la Belgique en demi-finales.
Ces Bleus partagent le même huis clos depuis leur rassemblement à Clairefontaine (Yvelines) en vue du Mondial, le 23 mai. Tout juste en ont-ils aujourd’hui changé le cadre : ils vivent depuis le début du tournoi dans leur camp de base d’Istra, à une heure de Moscou sans embouteillages (une rareté). Avec plusieurs passe-temps : jeux vidéo, entre autres, pour les plus jeunes ; pétanque pour les trentenaires Olivier Giroud et Hugo Lloris comme pour Didier Deschamps, sélectionneur à l’adresse redoutable, selon Le Parisien. « On passe le temps ensemble, et franchement on ne s’ennuie pas », insiste le défenseur Raphaël Varane, 25 ans, dont on ignore à ce jour le passe-temps favori.
Guy Stéphan, entraîneur adjoint, salue ce groupe où cohabitent plusieurs générations sous un même toit. « Il y a beaucoup de tranches d’âge. Et donc il faut fonctionner avec tous ces joueurs, avec un canal différent. » Un groupe parmi les plus jeunes du tournoi, avec tout de même un bel écart entre le benjamin Kylian Mbappé (19 ans, déjà trois buts à son actif) et Steve Mandanda (33 ans, gardien remplaçant).
Le technicien a un exemple précis : « Ce qui est intéressant, c’est de voir la réaction des joueurs qui ne jouent pas quand il y a un but. C’est extraordinaire de vivre ça depuis le banc. Ça montre que ce n’est pas un cliché de dire que le groupe vit bien. » Il fallait voir, oui, l’attroupement après le premier des deux buts de Kylian Mbappé contre l’Argentine. Les Bleus ont été menés au score pendant seulement neuf minutes durant le tournoi, en l’occurrence lors de ce huitième de finale.
Comment réagira l’équipe, à l’avenir, si la situation se complique ? Paul Pogba présume qu’elle fera bloc. « Il n’y a pas d’ego, et c’est ça qui fait de cette équipe une grande équipe, assure le milieu. Chacun reste à sa place, chacun connaît les qualités de l’autre, on travaille très bien ensemble. » Discours intéressant, à l’heure des statistiques encourageant surtout les individualités. Ou au vu de la « PogSérie », un programme sur Canal + consacré à l’univers du joueur. Pendant le Mondial, Kylian Mbappé défend lui aussi cette vision de l’équipe. Le phénomène déclare vivre « caché derrière le collectif » malgré l’engouement autour de sa très jeune personne. « Kylian passera après », ajoute-t-il, modeste, mais à la troisième personne du singulier.
Tout est affaire d’équilibre entre intérêts individuels et collectifs, résume Antoine Griezmann, l’air de rien : « Nous, on est un peu égoïstes, on veut jouer toutes les minutes, tous les matchs », reconnaît l’attaquant au nom de tous ses coéquipiers. Tout en soulignant aussi la bonne ambiance dans le groupe : « Ça rigole énormément, on se réunit dans une chambre pour parler de tout. J’espère que cette mentalité, cet état d’esprit vont rester le plus longtemps possible. » Même esprit de corps quand il s’agit de faire front contre les critiques de journalistes : « Ne touchez pas à mon Grizou », demandait ainsi Paul Pogba, après des débuts compliqués dans le tournoi.
« Kyky », « Mark Landers » et les autres
L’harmonie dépend en partie de Didier Deschamps. « Le coach a vingt-trois joueurs, il doit essayer de tous bien les gérer », poursuit Griezmann. « DD » défendait sa logique de groupe dès l’annonce de sa liste, le 17 mai. Manière, aussi, d’assumer certains choix contestés : la récente mise à l’écart du milieu parisien Adrien Rabiot juste avant le Mondial et celle, plus ancienne, de l’attaquant madrilène Karim Benzema.
A l’inverse, même remplaçant, Benjamin Mendy peut apprécier sa chance. Malgré une longue blessure à un genou, le défenseur figure bien dans l’effectif. « Une bande de potes avec une cohésion très forte », apprécie le défenseur. A 24 ans, le joueur a toujours gardé le lien avec certains de ses coéquipiers, connus dès les équipes de jeunes. Merci Internet : « Maintenant, avec tous les réseaux, on est souvent en contact. Honnêtement, avant la Coupe du monde, on en parlait déjà un peu entre nous. »
Cela devait arriver en pareille circonstance, quelques chanceux ont même gagné des surnoms. Le défenseur Benjamin Pavard a d’abord eu droit à celui de « Jeff Tuche », pour sa ressemblance capillaire avec l’acteur Jean-Paul Rouve. Puis à celui de « Mark Landers », pour sa reprise de volée surréelle contre l’Argentine, digne d’un dessin animée. « Même si Kylian n’aime pas trop “Kyky”, ça va rester », s’amuse Griezmann. En cas de victoire contre la Croatie, « Kyky », « Mark Landers » et les autres auront alors aussi gagné un titre.