Le scandale des carburants pour l’Afrique
Le scandale des carburants pour l’Afrique
Editorial. Il n’y a aucune fatalité à ce que l’Afrique soit condamnée à utiliser des carburants nocifs fabriqués par des groupes peu scrupuleux, encouragés par des normes laxistes.
A Lagos, en décembre 2017. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP
Editorial du « Monde ». Le scandale dure depuis des dizaines d’années. Des multinationales du négoce de produits pétroliers livrent en toute légalité un poison invisible en Afrique. Il s’agit de carburants de basse qualité volontairement mélangés à des produits chimiques à la toxicité bien connue. Il en ressort un sinistre cocktail de diesel et d’essence extrêmement polluant, émettant de grandes qualités de particules fines et à la teneur en soufre parfois 1 000 fois supérieure aux normes européennes.
La police environnementale des Pays-Bas vient de publier un rapport d’enquête sur le « dirty diesel », confirmant les résultats d’une étude rigoureuse publiée par l’Organisation non gouvernementale (ONG) suisse Public Eye, deux ans plus tôt. Le business des carburants toxiques tourne à plein régime et est pratiqué sans retenue par des grands groupes pétroliers et des mastodontes du négoce, aussi discrets qu’impitoyables dans leurs pratiques commerciales dépourvues d’éthique. C’est l’Afrique, se disent-ils sans doute. Le fait que les courtiers utilisent les termes de « qualité africaine » n’a rien d’anodin.
Un poison qui se répand partout en Afrique de l’Ouest
Leurs firmes ne se contentent pas de produire ce « dirty diesel » à quai ou en pleine mer, pour être plus discrètes. Elles l’exportent à bord de leurs tankers les plus vétustes, le distribuent à travers leurs réseaux de stations essence, parfois mis en place à l’issue de négociations opaques avec les dirigeants, de qui elles ont obtenu des parts dans des champs pétroliers et des pipelines.
Ce poison se répand ensuite partout en Afrique de l’Ouest, car il est recraché sous forme d’émissions polluantes par des voitures hors d’âge dont l’Europe se débarrasse, parce qu’elles ne sont plus aux normes occidentales. Ce scandale s’ajoute à d’autres fléaux : guerres, coups d’Etat, affaires de corruption, tragédies environnementales, dont l’or noir est systématiquement à l’origine. C’est, par exemple, ce qui se déroule au sud du Nigeria, dans la région du delta du Niger, ravagée par le pétrole, source de richesse potentielle devenue venin. Des milliers de fuites des exploitations du géant anglo-néerlandais Shell ont souillé peut-être à jamais l’un des écosystèmes les plus fragiles et précieux du continent.
Derrière le business du « dirty diesel », des grandes sociétés qui n’ont cure de l’environnement et de la santé des populations et tirent un maximum de profit de la faiblesse des normes en vigueur en Afrique. Ici s’applique la loi cynique de l’offre, qui s’adapte à une demande peu exigeante, parce que moins solvable. Rien d’illégal dans tout cela, car, jusqu’à présent, il n’est pas interdit d’exporter des carburants hautement soufrés.
Toutefois, les choses commencent enfin à bouger. La plupart des Etats d’Afrique de l’Ouest, incités par le Programme des Nations unies pour l’environnement, se sont engagés à réduire drastiquement la teneur en soufre autorisée dans le diesel et appliquent peu à peu des standards internationaux. Mais ce mouvement est encore trop timide, car il se heurte à la pression des lobbys pétroliers et au renchérissement du prix à la pompe qu’il implique.
Du côté européen, il faut miser sur la crainte d’une mauvaise publicité pour que les acteurs pétroliers arrêtent de se livrer à ces pratiques peu reluisantes et pour que les gouvernements cessent de fermer les yeux. Il n’y a aucune fatalité à ce que l’Afrique soit condamnée à utiliser des carburants nocifs fabriqués par des groupes peu scrupuleux, encouragés par des normes laxistes.