Les cinq jours qui ont fait de l’affaire Benalla un scandale d’Etat
Les cinq jours qui ont fait de l’affaire Benalla un scandale d’Etat
Enquêtes judiciaire et parlementaire, travaux législatifs paralysés, président déstabilisé… retour sur une affaire sans précédent depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron.
Affaire Benalla : la vidéo qui accuse
Durée : 02:06
En cinq jours, les révélations du Monde sur l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, ont bousculé les agendas politique et judiciaire. Alors que le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, doit être auditionné lundi 23 juillet à 10h par la commission des lois de l’Assemblée, constituée pour l’occasion en commission d’enquête, retour sur le déroulé des événements depuis mercredi.
18 juillet : l’identification
Après plusieurs semaines d’enquête, Le Monde révèle qu’Alexandre Benalla, un proche collaborateur du président de la République, est l’auteur de violences filmées visant deux manifestants, en marge du défilé du 1er mai, place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement de Paris.
Une vidéo, mise en ligne le 1er mai et largement partagée depuis, montrait un homme avec un casque tirer par le cou une jeune fille, puis revenir s’en prendre violemment à un jeune homme, déjà à terre, entouré par des CRS. Lorsque Le Monde l’identifie plus de deux mois après, Patrick Strzoda, le directeur de cabinet de la présidence, reconnaît avoir été informé à l’époque des actes de M. Benalla et avoir aussitôt prévenu le président de la République. Une sanction avait alors été prononcée : une mise à pied de quinze jours, avec suspension de salaire, ainsi qu’une rétrogradation de statut à un poste administratif. Des mesures trop clémentes selon l’opposition, qui somme l’Elysée de donner des explications au plus vite.
19 juillet : les enquêtes
Jeudi matin, l’Elysée finit par réagir par la voix de son porte-parole, Bruno Roger-Petit, qui, auprès de la presse, met l’accent sur les mesures prises, affirmant qu’elles constituent « la sanction la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l’Elysée ». Un autre homme présent ce jour là et également suspecté de violences, Vincent Crase, avait lui aussi été sanctionné : gendarme réserviste et salarié de La République en marche, il s’était alors vu notifier la « fin » de « toute collaboration entre lui et le président ».
Dans le même temps, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire sur les chefs de violences par personne chargée d’une mission de service public, usurpation de fonctions et usurpation de signes réservés à l’autorité publique. Une enquête est confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). En parallèle de l’enquête ouverte par le parquet de Paris, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, annonce avoir saisi l’inspection générale de la police nationale (IGPN), afin de « déterminer dans quelles conditions » les deux hommes ont pu assister aux manifestations aux côtés des forces de l’ordre
Dans la soirée, trois responsables de la préfecture de police de Paris sont suspendus, suspectés d’avoir transmis à M. Benalla, le soir des révélations du Monde, une vidéo de la scène, captée par des caméras de vidéosurveillance.
Ce matin 21 juillet 2018, la commission des lois s'est réunit à l'Assemblée nationale suite à l'affaire Alexandre Benalla, proche collaborateur de Macron. Après la réunion, dans l'hémicycle, des députés En Marche. / LAURENCE GEAI POUR LE MONDE
En déplacement en Dordogne, Emmanuel Macron affiche lui un silence résolu, se limitant à assurer que « la République est inaltérable », tandis qu’à l’Assemblée, la confusion règne chez les députés LRM, face à une opposition qui dénonce « un scandale d’Etat » et un « climat d’impunité ».
Alors que les députés étaient en plein examen du projet de loi sur la révision constitutionnelle, plusieurs élus d’opposition, dont le communiste Sébastien Jumel ou le chef de file des députés Les Républicains (LR), Christian Jacob, montent au créneau dans l’après-midi pour réclamer la création d’une commission d’enquête sur les violences du 1er-Mai dans la capitale.
Le soir même, les membres de la commission des lois décident de se doter des prérogatives d’une commission d’enquête pour un mois afin de faire la lumière sur « les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er-Mai 2018 ».
20 juillet : l’emballement
Après vingt-quatre heures de crise qui ont fait tanguer la Macronie, l’Elysée finit par céder à la pression et engage une procédure de licenciement à l’encontre de M. Benalla. Sans donner plus de détails, la présidence justifie cette décision par le fait que celui-ci, « aux fins de prouver son innocence, […] aurait été destinataire d’un document de la préfecture de police qu’il n’était pas autorisé à détenir ».
Dans la même journée, alors que MM. Benalla, Crase et les trois cadres de la préfecture sont placés en garde à vue, Le Monde révèle que l’ancien « M. Sécurité » du président de la République a déclaré être domicilié depuis le 9 juillet dans un logement de fonction, dans une dépendance de l’Elysée, quai Branly.
Supérieur hiérarchique de M. Benalla à l’Elysée, le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, est par ailleurs entendu comme témoin ; c’est lui qui avait délivré une autorisation à Alexandre Benalla pour assister en tant qu’« observateur » à la manifestation parisienne du 1er-Mai.
Si l’enquête avance, les débats parlementaires sont, eux, paralysés par l’affaire. Les élus d’opposition réclament la suspension du débat constitutionnel, les députés de La France insoumise proposent à tous les parlementaires de déposer ensemble une motion de censure du gouvernement quand d’autres encore accusent Gérard Collomb de « mensonges », demandant que le ministre de l’intérieur, voire le premier ministre, vienne s’expliquer devant les élus. Après son homologue de l’Assemblée, la commission des lois du Sénat décide à son tour de se doter des prérogatives d’une commission d’enquête, pour une durée de six mois.
21-22 juillet : la paralysie
Samedi matin, tandis que les cinq gardes à vue sont prolongées, le domicile d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) de M. Benalla est perquisitionné. L’enquête est ensuite confiée à un juge d’instruction et les suspects sont tous mis en examen et placés sous contrôle judiciaire. Cinq chefs d’accusations sont retenus contre M. Benalla, dont ceux de violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail et d’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique.
De leur côté, les deux victimes présumées présentes sur la vidéo, identifiées, ont fait savoir qu’elles acceptaient d’être entendues, mais ultérieurement.
Sur les bancs de l’Assemblée, où l’examen de la réforme constitutionnelle ne cesse d’être perturbé, des députés d’opposition demandent des explications après avoir découvert qu’Alexandre Benalla jouissaient d’un badge d’accès à l’hémicycle depuis le 24 juillet 2017. Face à l’impossibilité de poursuivre les débats sereinement, le président de l’Assemblée, François de Rugy, annule la séance nocturne.
Cinq jours après les premières révélations, l’affaire Benalla aura eu raison, au moins provisoirement, du projet de révision constitutionnelle voulu par Emmanuel Macron : à la reprise de la séance, dimanche matin, le gouvernement suspend officiellement les travaux jusqu’à nouvel ordre, après un blocage inédit de l’Assemblée nationale.
Dans la soirée, l’entourage du président communique un message laconique, assurant qu’« il n’y a pas eu et il n’y aura pas d’impunité » pour des faits jugés « inacceptables ». Après une réunion à l’Elysée rassemblant plusieurs membres du gouvernement, un participant rapporte que le chef de l’Etat « condamne à la fois le comportement des fauteurs et les dysfonctionnements qui ont permis à Alexandre Benalla de faire cela ».