Chili : démission d’un ministre qui avait critiqué le musée des victimes de la dictature
Chili : démission d’un ministre qui avait critiqué le musée des victimes de la dictature
Par Angeline Montoya
Le ministre de la culture Mauricio Rojas avait écrit dans un livre, publié en 2015, que le Musée de la mémoire « utilise sans vergogne et de manière mensongère une tragédie nationale ».
Au Musée de la mémoire, à Santiago du Chili, en octobre 2017. / MARTIN BERNETTI / AFP
Il ne sera resté que quatre jours en poste. Le président chilien, Sebastian Piñera, a accepté lundi 13 août la démission du ministre de la culture, l’écrivain Mauricio Rojas, qu’il venait de nommer, après que le journal La Tercera a reproduit des propos polémiques qu’il avait tenus il y a trois ans sur un musée dédié aux trois mille victimes de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).
« Nous ne partageons pas ses opinions et ses déclarations sur le sens et la mission du Musée de la mémoire, qui réunit les témoignages, les expériences, les preuves et les enseignements d’une période très sombre de notre pays », a expliqué le président de droite, qui a pris ses fonctions en mars. Mais, a-t-il ajouté, « nous ne partageons pas non plus l’intention de certains secteurs du pays qui veulent imposer une vérité absolue, qui ne font preuve d’aucune tolérance ou qui ne respectent pas la liberté d’expression et d’opinion de tous nos compatriotes ».
Revirement idéologique
Le Musée de la mémoire, avait écrit Mauricio Rojas trois ans plus tôt dans son ouvrage Dialogo de Conversos (2015, non traduit), est « un montage dont l’objectif, somme toute réussi, est de choquer le visiteur, le laisser stupéfait et l’empêcher de raisonner (…). C’est une utilisation sans vergogne et mensongère d’une tragédie nationale qui a touché durement et directement tant d’entre nous ».
Cet extrait a provoqué la colère de l’opposition, des associations de défense des droits de l’homme et de nombreuses personnalités du monde de la culture, qui ont immédiatement appelé à sa démission pour avoir « relativisé » les atrocités commises par les militaires.
« Je n’ai jamais minimisé, ni justifié les inacceptables, systématiques et gravissimes violations des droits humains ayant eu lieu au Chili », s’est défendu Mauricio Rojas sur Twitter.
Las declaraciones de hoy en La Tercera sobre el Museo de la Memoria provienen de una entrevista antigua que no refl… https://t.co/leoaYDvwVF
— MauricioRojasmr (@Mauricio Rojas)
Le titre du livre en question, « Dialogue de convertis », fait référence au revirement idéologique de ses deux auteurs, Mauricio Rojas et l’écrivain et actuel ministre des affaires étrangères, Roberto Ampuero, deux militants de gauche dans leur jeunesse – M. Ampuero lui-même a dû s’exiler pendant la dictature – et qui défendent aujourd’hui des thèses néolibérales.
Dans le livre, Roberto Ampuero critique aussi le musée : « Rien ne justifie la violation des droits humains pendant la dictature, mais le Musée de la mémoire n’explique pas dans quelles circonstances a éclaté l’horreur que nous condamnons (…). Ce n’est pas un musée national, c’est un musée de la mauvaise mémoire. »
Projet emblématique
Des membres de l’opposition ont aussi demandé la démission du ministre des affaires étrangères. La porte-parole du ministère, Cecilia Pérez, citée par le journal La Tercera, a affirmé que « certains de ceux qui critiquent [le ministre] sont de féroces critiques des dictatures de droite, mais restent silencieux quand il s’agit de condamner les violations des droits humains des dictatures de gauche ».
Le Musée de la mémoire a été inauguré en 2010 par l’ancienne présidente socialiste Michelle Bachelet, à la fin de son premier mandat. Il fut l’un des projets emblématiques de la première femme qui gouverna deux fois le Chili, et qui fut incarcérée et torturée sous la dictature à la Villa Grimaldi, un centre de détention et de torture de Santiago.