Des étudiants argentins à Paris se disent victimes de « répression politique »
Des étudiants argentins à Paris se disent victimes de « répression politique »
Par Manuel Ausloos
Des résidents de la Maison de l’Argentine s’estiment réprimés par la direction pour leur mobilisation en faveur de la légalisation de l’IVG en Argentine, ce que la direction de la Maison conteste.
Le jour de la manifestation en faveur de la légalisation de l'IVG en Argentine, le 13 juin, devant les grilles de la Cité universitaire. / Comité des résidents de la Maison de l'Argentine
Des étudiants hébergés à la Maison de l’Argentine de la Cité internationale universitaire de Paris (CIUP) accusent la direction de l’établissement de ne pas avoir renouvelé une douzaine de baux pour des « raisons politiques ». Le Comité des résidents dénonce des expulsions qui ne disent pas leur nom et les attribuent à une manifestation en faveur de la légalisation de l’IVG en Argentine (rejetée le 9 août par le Sénat argentin), organisée le 13 juin près de la Maison.
« C’est de la discrimination, de la persécution politique, affirme une membre du comité, qui a requis l’anonymat. Ce n’est pas pour des raisons académiques que nous sommes expulsés, c’est parce que nous sommes membres du comité des résidents » qui a organisé la manifestation. Des membres affirment d’ailleurs que le directeur de la Maison, Juan Manuel Corvalan Espina, les a menacés d’expulsion alors qu’ils se trouvaient dans la bibliothèque de l’établissement, peu de temps avant la manifestation, ce que ce dernier dément.
Il affirme s’être alors contenté de rappeler au comité que le règlement de la Maison, qui dépend du ministère argentin de l’éducation, ne permet pas de manifestations à caractère politique dans son enceinte ou celle de la CIUP.
Il précise aussi qu’aucun critère politique n’est entré en compte dans la sélection des candidats à l’hébergement. D’après lui, les candidatures sont de plus en plus nombreuses et la priorité est donnée aux nouveaux arrivants : « Cette année, nous avons eu 129 candidatures dont 83 ont été retenues, soit presque deux fois plus de candidatures qu’en 2014. Il faut faire un choix. »
La CIUP est un campus privé situé dans le sud de Paris qui regroupe quarante résidences universitaires – dont certaines sont gérées par des Etats étrangers, comme la Maison de l’Argentine – qui accueillent quelque 6 000 étudiants, chercheurs, artistes ou sportifs du monde entier. Les baux durent une année universitaire et sont renouvelables jusqu’à deux fois.
« C’est une question d’admissions »
Interrogé par Le Monde, M. Corvalan Espina souligne qu’il est un partisan assumé du projet de légalisation de l’avortement dans son pays, qu’il a organisé un débat sur ce thème en novembre 2017 et qu’il était présent à la manifestation du 13 juin. « Le ministre de l’éducation argentin a dit son opposition à la loi, tandis que j’avais montré publiquement mon soutien. S’il y avait des persécutions politiques au gouvernement, je serais le premier licencié », affirme-t-il.
Pour protester contre les non-réadmissions et demander des explications sur le processus de sélection qu’ils jugent opaque, une trentaine de résidents et anciens résidents avaient occupé le salon commun de la Maison de l’Argentine, du samedi 4 au lundi 6 août au soir. La police avait été appelée par la direction, en accord avec la CIUP, pour expulser les non-résidents, et l’occupation avait alors pris fin.
L’expulsion faisait suite, selon le directeur, à des plaintes d’autres résidents de la Maison incommodés par la présence des occupants dans les espaces communs. « La manifestation et l’occupation sont le fait d’un petit groupe de personnes, insiste Angel Benitez, un résident opposé à l’action du comité. J’étais contre et je connais plusieurs personnes qui l’étaient aussi. Nous ne voulons pas participer à ce type de mobilisations, nous sommes venus ici pour étudier et nous avons assez de soucis à gérer, entre le travail et les études. »
Liberté d'expression pour les @ComiteCasaArg 🤐🤐🤐💚✊🏾 les résidents de la Maison de l'Argentine vivent une persécutio… https://t.co/PplZhGZ486
— ComiteCasaArg (@Comité de Residentes - Casa Argentina en París)
Le comité affirme de son côté que l’usage à la Maison était de réadmettre les étudiants qui le souhaitaient pour la poursuite de leurs études et que la procédure de cette année, qui privilégie les primo-arrivants, est inhabituelle, bien que conforme au règlement de la CIUP et de la Maison.
C’est aussi ce qu’affirme l’ancien directeur de la Maison Marcelo Balsells, en poste de 2012 à 2016, contacté au téléphone. « Peut-être y a-t-il eu un changement dans la réglementation [du ministère de l’éducation], note-t-il. Mais lorsque j’étais directeur, nous donnions priorité à ceux qui habitaient déjà là, plutôt qu’aux nouveaux candidats. Personne ne pouvait être surpris par une décision, puisque nous informions au préalable les étudiants afin qu’ils puissent s’organiser. »
Le comité déplore également le bref délai laissé aux étudiants qui n’ont pas obtenu le renouvellement de leur bail pour trouver un logement. « Les personnes qui doivent quitter la Maison avant le 31 août ont trois semaines pour trouver un endroit où vivre, alors que nous sommes étudiants et qui plus est étrangers », déplore l’une des membres du comité. « J’avais demandé une prolongation de deux mois pour finir ma thèse de master, explique un autre. Je pensais pouvoir me concentrer là-dessus, mais maintenant je dois finir ma thèse et en même temps chercher un logement. »
D’après les étudiants dont l’hébergement n’a pas été renouvelé, ces événements font suite à une série de conflits autour de questions politiques entre eux et le directeur de la Maison de l’Argentine, depuis sa prise de fonctions en 2016. Le directeur, lui, dément. « Ils essaient de politiser une question qui n’est pas politique. C’est une question d’admissions. »
L’ancien directeur, Marcelo Balsells, refuse de se prononcer sur l’origine du conflit, mais il émet un constat : « Ce qui me surprend et me peine, c’est l’absence de dialogue entre le directeur et les étudiants. Comment n’est-il pas possible de parler avec une dizaine de personnes, pour éviter une situation extrême où la police doit être appelée ? Je crois que l’esprit de la Maison qui s’est bâti au fil des ans est altéré en ce moment. »