« L’Armée oubliée » : le souvenir occulté des Chinois des tranchées
« L’Armée oubliée » : le souvenir occulté des Chinois des tranchées
Par Antoine Flandrin
Simon Chu raconte l’histoire de ces travailleurs venus épauler les Britanniques dans les Flandres, pendant la Grande Guerre.
En 1916, les Britanniques enregistrent de lourdes pertes sur le front. Il leur faut des hommes pour creuser des tranchées, nettoyer les chars d’assaut et porter des munitions aux troupes massées en première ligne. Un accord conclu avec les autorités chinoises leur permet d’employer près de 100 000 travailleurs pour une bouchée de pain. Le réalisateur Simon Chu raconte l’histoire du Chinese Labor Corps (CLC), cette « armée » de travailleurs recrutés à Weihai, concession britannique située dans la province du Shandong.
Lorsqu’ils signent leur contrat d’une durée de trois ans, aucun d’entre eux ne sait qu’au terme d’un voyage de quatre mois, il sera jeté dans les tranchées de Flandres. Logés dans des camps pouvant contenir jusqu’à 10 000 hommes, ceux que les Britanniques appellent les « coolies » n’ont pas le droit de nouer des contacts avec la population locale. Après l’armistice du 11 novembre 1918, ils sont chargés de nettoyer les champs de bataille. Le ramassage des cadavres et des obus coûtera la vie à plusieurs milliers de Chinois. Ce travail inhumain provoquera des mutineries durement réprimées.
Brutalité et préjugés racistes
Le dénommé Kong sera ainsi fusillé, avant d’être enterré dans un cimetière militaire près de Calais. Le réalisateur y conduit sa petite-fille. Face à la tombe de son ancêtre, elle peine à comprendre la brutalité et les préjugés racistes des soldats britanniques de l’époque. Des historiens – l’Américain Mark Levitch et le Belge Dominiek Dendooven – replacent ces comportements et ces représentations dans leur contexte, celui d’un monde dominé par les puissances impérialistes européennes. Convaincus que l’empire du Milieu doit rester un Etat faible, les Britanniques céderont le Shandong au Japon lors du traité de Versailles. L’engagement des travailleurs chinois sera ensuite complètement oublié.
Si le film réussit à combler ce trou de mémoire, on regrettera qu’il s’enferme dans une vision anglo-centrée. Ainsi, le grand affrontement sur le front occidental en 1917 a eu lieu à Passchendaele en Belgique – pas un mot sur le Chemin des Dames. Plus gênant : il ne consacre aucun développement aux 40 000 Chinois employés par la France, également à partir de 1916, pour travailler dans ses usines d’armement, ses ports, ses mines et ses forêts.
L’Armée oubliée, de Simon Chu (GB, 2017, 46 min). www.histoire.fr