Colis piégés : la presse américaine accuse la « violence rhétorique » de Donald Trump
Colis piégés : la presse américaine accuse la « violence rhétorique » de Donald Trump
Par Pierre Bouvier
Au lendemain d’envois d’engins explosifs artisanaux à plusieurs personnalités démocrates et à CNN, la presse américaine met en cause la « responsabilité » du président.
Un cordon de police à proximité du centre de tri postal, où un colis piégé adressé à Joe Biden a été intercepté, jeudi 25 octobre. / Matt Rourke / AP
En pleine campagne électorale pour les élections de mi-mandat du 6 novembre, des colis piégés contenant des engins explosifs artisanaux ont été envoyés, mercredi 24 octobre, à Barack Obama, Hillary Clinton, au milliardaire George Soros, à des élus démocrates et la chaîne CNN, qui toutes et tous incarnent l’opposition à Donald Trump.
Dès le lendemain, alors que de nouveaux colis ont été envoyés jeudi à l’acteur Robert De Niro et à l’ancien vice-président démocrate Joe Biden, la presse américaine consacrait ses « unes » à cet épisode. Le site d’information politique Axios le résume d’un rapprochement historique saisissant : les Etats-Unis se retrouvent au « milieu de la plus grande campagne de terrorisme par voix postale depuis 2001, menaçant d’éclipser Unabomber », le surnom de Theodore Kaczynski, qui avait terrorisé l’Amérique avec ses colis piégés entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980.
Photos of the bomb and package sent to CNN https://t.co/nBq3ArtChJ
— Acosta (@Jim Acosta)
Une grande partie de la presse américaine désigne un coupable : Donald Trump. Le Washington Post résume ainsi la situation d’une phrase lapidaire : « Dans une rhétorique incendiaire, les personnes ciblées par les mots de Trump deviennent des cibles de bombes. » Le quotidien rappelle qu’au cours des derniers jours, le président Donald Trump a comparé les démocrates au « mal », les qualifiant de « trop dangereux pour gouverner ».
Le président américain s’est ainsi attaqué à une élue de la Chambre des représentants, Maxine Waters, la qualifiant de débile (« individu à faible QI »). Il a également violemment critiqué l’ancien directeur de la CIA John Brennan et le financier milliardaire George Soros. Enfin, il a qualifié les médias d’« ennemis du peuple », et les reportages de CNN de « fausses nouvelles ». Cette semaine, « les cibles de la rhétorique de Trump sont devenues les cibles d’une violence réelle », martèle le quotidien.
« La découverte de bombes artisanales ciblant d’éminents politiciens démocrates et CNN fait peser une menace de violence en période électorale jusqu’alors inconnue aux Etats-Unis et repose la question de la rhétorique au vitriol des dirigeants politiques », rebondit l’agence AP.
Diabolisation des opposants
CNN s’interroge : « Dès les premières bombes, le débat sur le rôle de la violence dans le discours politique a commencé. Mais ce débat a commencé depuis un bon moment, comme en témoigne l’éloge qu’a fait le président Trump » de Greg Gianforte. Dans le Montana, ce candidat républicain avait molesté un journaliste du Guardian, ne supportant pas qu’il lui pose une question avec insistance. M. Gianforte avait été condamné à six mois de prison avec sursis et quarante heures de travaux d’intérêt public.
Dans le New York Times, c’est Alexander Soros, le fils de George Soros qui tire le signal d’alarme. Il rappelle son histoire familiale, son père grandissant sous la menace nazie, puis communiste, avant de fuir vers les Etats-Unis. « Les bombes (…) sont le résultat de la diabolisation des opposants dans la politique ».
Alexander Soros met lui aussi directement en cause Donald Trump : « Des suprémacistes blancs, des antisémites comme David Duke ont soutenu sa campagne. » Il évoque notamment le dernier clip de campagne M. Trump, le 4 novembre 2016, aux relents antisémites : « Il a libéré un [mauvais] génie [de l’antisémitisme] qui ne sera pas facilement remis à sa place, et pas qu’aux Etats-Unis. »
Donald Trump s’est empressé de dénoncer ces envois de colis piégés. « Dans des moments comme celui-ci, nous devons nous rassembler », a-t-il déclaré depuis la Maison Blanche. « Les actes et les menaces de violence politique, de quelque nature que ce soit, n’ont pas leur place aux Etats-Unis. Nous sommes très en colère », a-t-il ajouté, promettant de « faire toute la lumière » sur cette affaire.
Si le New Yorker note que la condamnation par Donald Trump de ces envois est la bienvenue, il rappelle au président ses déclarations passées, insistant sur le fait que la frontière entre l’incitation et la violence politique est ténue. « A moins que Trump n’y donne suite en changeant de comportement, ses paroles resteront vides de sens. Va-t-il maintenant cesser ses attaques contre les médias ? », s’interroge le magazine.
Pompier pyromane
Politico rappelle le passé de pompier pyromane du président qui avait laissé entendre, en août 2016, que les « défenseurs du second amendement » pourraient prendre les choses en main si Hillary Clinton venait à remporter les élections. Un an plus tard, il avait tweeté une vidéo de lui-même s’attaquant à un homme avec un logo CNN superposé sur son visage, sous le hashtag #FraudNewsCNN.
#FraudNewsCNN #FNN https://t.co/WYUnHjjUjg
— realDonaldTrump (@Donald J. Trump)
Jeudi 20 octobre, au lendemain de ses phrases d’apaisement, le président n’a pas manqué de rechuter sur son compte Twitter : « Une grande partie de la colère que l’on voit aujourd’hui dans notre société est provoquée par les informations délibérément fausses et inexactes des médias traditionnels, que je qualifie de fake news. C’est devenu si négatif et haineux qu’il n’y a plus de mots pour les décrire. Les médias traditionnels doivent changer d’attitude, VITE ! »
Après la découverte des premiers envois, républicains et démocrates ont fait front commun : Steve Scalise, député pour la Louisiane à la Chambre des représentants, blessé par balle en juin 2017, a tweeté : « La violence et la terreur n’ont pas droit de cité dans notre vie politique, ni ailleurs dans notre société. » Même Eric Trump, le fils du président, généralement pugnace sur Twitter, s’est fendu d’un message condamnant ces envois.
Théories complotistes
D’autres partisans du président n’hésitent pas à agiter la théorie du complot. Rush Limbaugh, le porte-parole radiophonique de la droite américaine, évoque à sa façon la « surprise d’octobre » censée bouleverser le cours de l’élection, rapporte le Daily Beast. L’animateur de radio a suggéré que ces envois avaient un « but » politique, soulignant « cela se passe en octobre. Il y a une raison à cela ». Poursuivant dans sa logique, Rush Limbaugh a tranché : « Les républicains ne font pas ce genre de chose… »
Ces rumeurs trouvent tout naturellement un écho sur les sites d’extrême droite : « Ces soi-disant “envois suspects” arrivent à point nommé avant les élections de mi-mandat », a ainsi tweeté Jacob Wohl, un des contributeurs du site d’extrême droite The Gateway Pundit.
Michael Flynn Jr, le fils de Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump et personnage actif derrière le « pizzagate » – délire viral autour d’un réseau pédophile qui aurait été dirigé par des proches d’Hillary Clinton dans une pizzeria de Washington – s’est lui aussi interrogé, à grand renfort de sous-entendus, sur le rapport entre ces envois et les élections de mi-mandat.
Ce sont certes des figures de l’extrême droite, mais elles sont loin d’être marginales. Rush Limbaugh a un public nombreux et le président Donald Trump en a été l’invité, le 1er août, tandis que Michael Flynn Jr. a été membre de l’équipe de transition entre l’administration Obama et l’administration Trump.