Randy Gilbert responsable local du Parti républicain. / STEPHANIE LEBARS / LEMONDE

Randy Gilbert est confiant. Farfouillant dans le coffre de sa voiture, le sexagénaire en extirpe des petits drapeaux américains, des pancartes bleu-blanc-rouge au nom de son candidat et d’immenses bannières estampillées « Trump 2020, Keep America great ».

Le responsable du Parti républicain pour le 6e district de l’Etat de Virginie n’a aucun doute sur l’issue positive des élections de mi-mandat, mardi 6 novembre. Pas plus que sur la marche victorieuse de son président vers un deuxième mandat dans deux ans. Leurs convictions politiques fichées sur leurs T-shirts, leurs casquettes et leurs voitures, les militants qui l’entourent partagent son avis.

En ce dernier samedi de campagne avant le scrutin, la rue principale de Woodstock, une ville assoupie de la vallée rurale de Shenandoah s’anime tout à coup. Enthousiaste et volubile, Liza, une mère célibataire de 30 ans accompagnée de son père, un homme robuste au sourire édenté, s’empare du plus grand des drapeaux et s’en va l’agiter le long du trottoir. Sans surprise, la jeune serveuse récolte des coups de klaxon d’encouragement et des pouces levés de la plupart des propriétaires de pick-up qui passent à sa hauteur. L’un deux a peint en blanc sur sa carrosserie noire : « Merci à Dieu pour Trump. »

« Bienvenue chez les ploucs ! »

Bienvenue dans l’une des circonscriptions les plus trumpistes de Virginie, une succession de petites villes plantées dans une campagne parsemée de fermes et de forêts. Un comté pauvre aussi : dans la vallée, le revenu médian est l’un des plus bas de l’Etat. « Bienvenue chez les ploucs ! », lance avec sarcasme Diane Wiss, une ancienne employée de l’industrie minière « tuée par les réglementations d’Obama ». « On sait bien comment ceux de Washington nous considèrent : comme des paysans sans éducation », explique-t-elle, faisant danser dans le vent froid sa bannière pro-Trump.

Ici, en 2016, profitant d’un conservatisme historique et d’une situation économique morose, Donald Trump l’a emporté avec 24 points d’avance sur son adversaire Hillary Clinton.

Presque une anomalie, désormais, dans un Etat dirigé par un gouverneur démocrate, représenté à Washington par deux sénateurs du même parti et où l’évolution de la population – plus urbaine, aux origines ethniques plus diversifiées –, tire de plus en plus de circonscriptions vers le bleu (démocrate). Seuls les élus à la Chambre des représentants sont majoritairement républicains, mais quatre des onze districts de Virginie pourraient basculer dans le camp démocrate, contribuant à un changement de majorité au niveau national.

Mais cette réalité ne paraît pas avoir encore atteint les républicains de Woodstock, tout à la glorification de M. Trump et de « ses promesses tenues ». Tout juste M. Gilbert reconnaît-il que le candidat républicain Ben Cline n’a « que 12 points d’avance » sur sa rivale démocrate, Jennifer Lewis, alors que son prédécesseur, parti cette année à la retraite, l’emportait régulièrement avec une confortable marge de 25 points. Mais, pas d’inquiétude : les républicains de Woodstock sont « galvanisés » par le bilan du chef de l’Etat et déterminés à lui « assurer une majorité » pour qu’il poursuive son œuvre.

Dans ce bilan tout leur va. La situation économique ? « Maintenant, mes trois enfants ont la sécurité de l’emploi », explique M. Gilbert. La réforme fiscale ? « Je paye moins d’impôts et je peux consommer plus », assure Josh Wilberger, un jeune homme aux cheveux ras et lunettes de soleil réfléchissantes.

« Un pays sans frontière n’est pas un pays »

La nomination de deux juges conservateurs à la Cour suprême ravit aussi ces militants, qui y voient la garantie du respect de leurs convictions : liberté religieuse, opposition à l’avortement ou conservation du droit de porter des armes.

Et, malgré des réalisations en demi-teinte sur la santé et l’immigration, les supporteurs de M. Trump s’en contentent. Ainsi, Liza se félicite que l’assurance-santé ne soit plus obligatoire. « On n’a plus à payer pour les autres », explique la jeune femme, qui reconnaît néanmoins que ses deux enfants bénéficient de la couverture Medicaid… financée par les fonds publics.

Liza, serveuse, votera pour le Parti républicain. / STEPHANIE LEBARS / LEMONDE

Sans surprise non plus, la persistante rhétorique anti-immigration du locataire de la Maison Blanche, réactivée en cette fin de campagne, fait mouche. « Un pays sans frontière n’est pas un pays », martèle M. Wilberger. Accroché au revers de son col, un fusil d’assaut miniature complète la collection de messages politiques qu’il arbore sur sa veste : une faucille et un marteau barrés de rouge, un hommage aux anciens combattants. « On est contre l’immigration illégale et on nous traite de racistes, mais ça n’a rien à voir. Si les immigrés suivent les procédures ils sont les bienvenus car on a besoin de travailleurs étrangers. Pas comme ces gens de la caravane [des milliers de personnes d’Amérique centrale qui traversent le Mexique, en direction des Etats-Unis] ».

« Trump a raison de fermer la frontière ; il faut empêcher les gangs de venir ici », renchérit M. Gilbert, pour qui « la sécurité dans la vallée est primordiale ». Lui se félicite de la promesse récente du président de supprimer le droit du sol pourtant inscrit dans la Constitution. « Il avait été créé pour les esclaves. Aujourd’hui, des millions de personnes viennent accoucher ici et en profitent. Cela doit cesser. »

Au-delà de ses accomplissements politiques, la personnalité de M. Trump trouve aussi grâce aux yeux de Diane Wiss. « C’est une vraie personne. Quand il fait des erreurs, il les corrige. Surtout, il trouve toujours le moyen de tenir ses promesses. » Rien à dire non plus de son rapport distant avec la vérité. « Ce n’est pas lui qui ment, ce sont les médias et la gauche. »

« S’il conserve le Congrès, Trump va se déchaîner »

La gauche, justement, est là, brandissant ses pancartes sur les trottoirs de Main Street, au coude-à-coude avec les militants républicains. Des télescopages hebdomadaires qui se déroulent, de l’avis général, en toute courtoisie.

De ce côté également, Donald Trump monopolise les conversations. « Il est mon président mais il m’embarrasse tous les jours, il ment, il s’entend avec des dictateurs… », se désole Don Hindman, un médecin à la retraite. Cet indépendant espère donc une « vague bleue » pour rétablir un contrôle sur les institutions. La vague en question passera peut-être à côté de sa circonscription : la candidate démocrate est sans expérience et les républicains bien implantés, reconnaît-il. Mais elle devrait frapper dans le district voisin.

Don Hidman, médecin à la retraite et démocrate. / STEPHANIE LEBARS / LEMONDE

Surtout, rompant avec leur discrétion lors des élections précédentes, qu’ils pensaient perdues d’avance, les démocrates ont cette année décidé de se montrer. « C’est l’effet Trump, reconnaît Mark Pierce, un urgentiste, posté au coin d’une rue avec une immense pancarte figurant une vague bleue. Si des gens comme nous ne s’expriment pas, alors Trump et sa base vont nous voler notre pays. » Ce démocrate habituellement « passif » ne cache pas son inquiétude : « Si les républicains conservent le Congrès, Trump va se déchaîner. »

Un sentiment d’urgence alimenté par « les sympathies du président pour l’autoritarisme » et la crainte de voir la polarisation de la société américaine, « nourrie par Trump », perdurer.

A quelques mètres de là, comme subjuguée par un occupant du bureau Ovale « fantastique », Liza continue de prédire un « tsunami rouge » (républicain). Deux Amériques arpentent un même trottoir. Sans plus vraiment se voir ni se parler.

Midterms 2018 : qui va l’emporter aux élections américaines ?
Durée : 04:48